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Affaire Yirgou:Nous avons décerné 180 mandats d’amener 12 personnes ont été interpellées(Procureur)

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Voilà bientôt un an (le 1er janvier 2020) que les burkinabè apprenaient avec consternation le massacre de Yirgou dans la région du centre nord. À quelques jours de l’anniversaire douloureux de cet évènement qui a causé plusieurs morts, Libreinfo.net est allé à Kaya à la rencontre de Abdoul Kader Nagalo, procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Kaya pour savoir l’état des lieux du dossier judiciaire. Il nous a accordé cet entretien le vendredi 20 novembre décembre 2019.

 

Propos recueillis par Soumana Loura, stagiaire

Libreinfo.net (Li): Où est-ce qu’on est avec le dossier de Yirgou ?

Abdoul-Kader Nagalo (AKN) : Le dossier est au niveau du cabinet d’instruction, chez le juge d’instruction qui est en train de poser les actes nécessaires à la manifestation de la vérité.

Revenant aux faits, il y a toujours une polémique quant au nombre de personnes tuées. Alors que les chiffres officiels font état de 49 personnes tuées, le Collectif contre l’Impunité et la Stigmatisation des communautés (CISC) lui évoque 210 personnes. Qu’est-ce qu’il en est à votre niveau ?

Les chiffres dont nous disposons diffèrent de ceux que vous venez de donner. En effet, les officiers de police judiciaire (OPJ) chargés de l’enquête ont constaté par eux-mêmes 50 corps. En plus de cela, 66 personnes ont été portées disparues selon les informations lors des auditions au niveau de la brigade territoriale de la gendarmerie de Barsalogho.

On est donc loin des 210 morts tels qu’évoqués par le CISC ?

C’est comme je vous le dis, les OPJ ont constaté 50 corps par eux-mêmes. Les 66 autres disparues sont du fait de déclarations des témoins.

Comment expliquez-vous un tel écart entre les différentes sources ?

En matière de justice, pour se prononcer sur une situation donnée, il faut avoir des preuves. Si certaines personnes sont de bonne foi, elles savent que la brigade territoriale de Barsalogho était la sous-unité de police judiciaire qui était chargée de diligenter l’enquête. Elles auraient dû faire leur déposition à ce niveau ou du moins diriger les personnes qui ont fait ces déclarations vers les structures chargées de l’enquête.

Nous avons appris qu’il y a eu des interpellations. Qu’est-ce qu’il en est au juste ?

Affirmatif ! Il y a eu des interpellations. Je tiens à formuler que nous avons lancé un mandat d’amener contre tous ceux qui avaient été identifiés dans cette affaire. L’exécution de la sentence de ces mandats d’amener relève de la police judiciaire. À ce jour, 12 personnes dont des chefs Koglweogo ont été mis en examen et des mandats d’amener est à leur encontre.

Combien y a-t-il de personnes impliquées dans cette affaire de Yirgou ?

Nous avons décerné en tout 180 mandats d’amener. Seulement 12 personnes ont été pour le moment interpellées.

A propos d’interpellations, vous aviez un temps évoqué le risque d’embrasement à vouloir arrêter certaines personnes. Est- ce la raison pour laquelle celles-ci tardent de la sorte ?

J’aime dire que, c’est le terrain qui commande la manœuvre. Ce sont plutôt les personnes qui ont la charge d’exécuter les mandats d’emmener qui peuvent répondre à cette question. Ce que je puis dire, c’est que la situation sécuritaire est assez difficile. Il va de soi que ça bloque l’instruction.

Quelles sont les charges retenues contre elles ?

Les mis en examen sont poursuivis pour les chefs de génocide, d’assassinats, de coups et de blessures ayant entrainés des blessures permanentes, destructions volontaires de biens aggravés, menaces sous conditions, détentions illégales d’armes à feu et de munitions, recel de cadavres, vols aggravés et toutes autres infractions que l’information viendrait à révéler.

Où est-ce que l’on en est avec l’instruction ?

L’instruction suit son cours. À ce jour, le juge d’instruction a auditionné une quarantaine de personnes, parties civiles et témoins y compris, en plus des 12 personnes arrêtées et détenues à la Maison d’arrêt de Kaya.

Le CISC estime lui, que tous les éléments entrant dans la définition d’un génocide sont réunis. Êtes-vous d’avis ?

L’information est en cours.

Pour ce qui est de l’instruction, les informations font état de personnes relâchées. Dans quel cadre, ces libérations s’inscrivent-elles ?

Ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas. Il s’agit des rumeurs. Personne n’a été libérée.

Le procès pourra-t-il se tenir bientôt ?

Il est impossible pour moi de vous le dire. Dans une information judiciaire, on sait quand on y entre mais on ne sait pas quand on y ressort. À la fin de l’instruction, le dossier sera soumis au procureur général pour saisine de la Chambre d’Instruction. Cette chambre va montrer que l’instruction a été faite dans les règles de l’art sans oublier qu’elle peut décider de mettre en examen d’autres personnes contre lesquelles, il existerait des charges. Il y a des charges suffisantes contre les mis en examen, la chambre d’accusation va émettre un arrêt de mise en accusation. C’est cet arrêt de mise en accusation qui permet de saisir la Cour d’Appel de Ouagadougou qui a compétence pour juger ce dossier. Le jugement ne relève donc pas du Tribunal de Grande Instance(TGI).

A un moment vous aviez dit que vous manquiez de moyens pour mener à bien l’instruction. Est-ce toujours le cas ?

Effectivement, nous avons travaillé dans des conditions extrêmement difficiles. Certaines difficultés ont été résorbées, d’autres non ! Les difficultés sont d’ordre matériel, humain et financier. Tenez-vous bien, les parties civiles et témoins qui comparaissent sont démunies de presque tout. Lorsqu’elles défèrent aux convocations du juge d’instruction, ils n’ont ni logement, ni nourriture, ni de quoi assurer leur transport puisque la plupart d’entre eux sont des déplacés. C’est nous-mêmes entre collègues qui cotisons pour leur prise en charge. La hiérarchie a été saisie et il y a un début de résolution aussi modeste soit-elle.

Il y a aussi certains témoins notamment les conseillers municipaux qui n’arrivent pas à déférer aux convocations du juge d’instruction. Ils estiment que la situation sécuritaire ne leur permet pas de répondre aux convocations du juge parce qu’ils sont recherchés par les individus armés non identifiés.

Pour les besoins de l’exécution de nos mandats, un car de notre ministère a été dépêché spécialement depuis Ouagadougou avec des prises en charge de carburant et des éléments qui devraient aller sur le terrain. Malheureusement, les résultats sur le terrain ont été en deçà de nos attentes. Nous avons reçu des moyens informatiques, de la paperasse, etc. Un budget a aussi été affecté pour cette affaire malheureusement, ce budget est à la disposition de la DAF (direction des affaires financières) de notre ministère, ce qui ne facilite pas la tâche du juge d’instruction. Je ne sais plus le montant dudit budget. Il aurait été souhaitable que ce budget soit mis à la disposition du greffe du TGI de Kaya pour lui faciliter la tâche.

Beaucoup d’observateurs estiment en tout cas que la justice n’avance pas au rythme qu’il faut. Que dites-vous ?

Cette lenteur peut s’expliquer par plusieurs facteurs :

Primo, le manque de moyens humains dû à l’effectif restreint des magistrats qui animent les juridictions aussi bien de premier et de second degré que les juridictions supérieures. L’effectif des magistrats tourne autour de 500. Dans les zones qui relèvent du Tribunal de Grande Instance de Kaya, on a un seul juge d’instruction qui est chargé d’animer les cabinets d’instruction. Et dans son cabinet, il a naturellement plusieurs dossiers.

Secundo, il faut dire que les textes de lois expliquent aussi cette lenteur ! L’article 261-1 du code de procédure pénale dispose que l’instruction préparatoire est obligatoire en matière de crimes…Ce qui signifie que lorsque vous avez affaire à un crime, vous devrez saisir le juge d’instruction et dans ce cadre, la loi a entendu conférer des droits à toutes les parties qui peuvent faire des demandes ou des recours, qui peuvent faire appel devant la Chambre de l’Instruction, ce qui ne facilite pas la tâche du Procureur. De notre côté, si nous ne sommes pas d’accord avec la décision que rend le juge d’instruction dans son cabinet relativement à la mise en liberté d’un mis en examen, nous avons la possibilité de faire appel de la décision devant la Chambre de l’Instruction afin que celle-ci tranche.

Tertio, certains dossiers sont en eux-mêmes complexes. Prenez le dossier de Yirgou : il y a 180 personnes identifiées formellement. Lorsque vous prenez le nombre de témoins, lorsque vous prenez le volume du dossier lui-même. Je vous rappelle que le procès-verbal d’enquête fait 174 pièces et chaque pièce fait deux (02) copies, vous constaterez qu’il est vraiment complexe.

Je suppose que n’ayant pas eu avoir à faire à des dossiers aussi complexes, il vous sera difficile d’évaluer l’échelle de temps que la procédure va prendre…

Même si j’ai déjà eu à faire à ces genres de dossiers, les contextes ne sont pas pareils notamment du fait de l’insécurité.

N’y a-t-il pas d’autres entraves telles que les pressions allant dans le sens de ne pas aboutir à la vérité ?

Nous n’avons subi et ne subissons aucune pression. Du reste, le dossier est dans le cabinet du juge d’instruction même si nous travaillons en tandem avec lui.

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