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Burkina Faso: quand le procès Kamao vire à un cours de procédure pénale entre Procureur et avocats de la défense

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Le procès Ollo Mathias Kambou s’est tenu le 23 septembre 2022, au Tribunal de grande instance Ouaga I. Dès sa comparution, il a plaidé non coupable. Après la réquisition du procureur de six mois de prison dont trois mois ferme contre le prévenu, ainsi que la plaidoirie des avocats de la défense, le juge a décidé de mettre le dossier en délibéré pour le 30 septembre prochain.

Par Nicolas Bazié

Dans la chambre correctionnelle de computation directe du TGI I, que du monde le 23 septembre. La salle d’audience a refusé du monde , personne n’a visiblement voulu se faire raconter le procès Kamao. 

A 11h 53, Ollo Mathias Kambou est appelé à la barre, pour répondre des faits de « outrage à un dépositaire de l’autorité publique». Il plaide non coupable des faits qui lui sont reprochés. « Je ne me reconnais pas dans les faits», a-t-il lancé. 

Débat houleux entre le procureur et les avocats de la défense 

A peine le juge a commencé à interroger Kamao que ses avocats se sont précipités pour prendre la parole. Commence donc des cours de procédure pénale entre le procureur et une dizaine d’avocats de la défense.

« Ollo Mathias Kambou n’a pas été convoqué par la police judiciaire. Si tel avait été  le cas, et qu’il refuse de répondre , l’autorité judiciaire pouvait prendre d’autres mesures. Pourtant, le 5 septembre 2022, il a été arrêté de force et conduit dans les locaux de la police judiciaire à la Brigade centrale de lutte contre la cybercriminalité. Son interpellation a été irrégulière», a clamé la partie de la défense d’entrée de jeu. 

Selon elle, le prévenu devrait être interpellé et assisté d’un avocat . Ce qui n’a pas été le cas. Pour les avocats, les droits de leur client n’ont pas été respectés, et cela constitue pour eux une violation de la loi. 

Ils font observer qu’en Droit , lorsque que l’on agit sans base légale, il y a nullité de ce qui a été  fait. La procédure est donc nulle parce qu’elle n’est pas soutenue par une base légale. C’est notamment le cas du procureur, note la défense qui avance que le parquet n’a pas respecté la procédure normale. 

Pour Me Prosper Farama, l’un des avocats de la défense, l’action publique ne peut être mise action sans une plainte de la victime, c’est-à-dire la personne outragée. Or, le procureur a engagé la procédure à l’encontre d’Ollo Kambou sans tenir compte de ce paramètre. C’est ce que Me Farama a appelé, «l’infraction attitrée». 

« Heureusement que nous ne comprenions pas les textes de la même manière que le procureur. En procédure pénale, on convoque d’abord un mis en cause et lorsque la personne ne répond pas,  on notifier cela au procureur qui peut donc engager la force publique», a fait savoir Me Prosper Farama, en réponse au parquet qui a indiqué que le procureur peut décider de convoquer ou d’interpeller tout individu.

Il ajoute que dans un État de droit, on ne vient pas interpeller quelqu’un avec un cargo de 10 policiers. Me Guy Hervé Kam de conclure: « On ne peut  pas interpeller quelqu’un sans savoir ce qui lui est reproché». 

Le procureur et la procédure pénale 

Même la dizaine des avocats de la défense ne semble pas faire fléchir le procureur Dofini Noé Dakuo qui va aussi faire un cours de droit pénal. 

Pour lui, la démonstration de la défense est très astucieuse comme parade, mais n’est pas vraie. « Il y a des possibilités d’interpellation. Il n’y pas une hiérarchie pour interpeller quelqu’un dans le code de procédure pénale.  L’autorité judiciaire choisit la manière de faire venir un mis en cause pour être entendu. Ainsi, le parquet peut décider de procéder par une convocation ou par une interpellation», a fait observer le procureur Dakuo. 

Et de poursuivre: « On ne peut pas interpeller quelqu’un et lui dire en même temps qu’il est en garde à vue. Il doit être d’abord entendu et on décide de le mettre en garde à vue selon ce qui lui est reproché . Le procureur peut passer par tous les moyens pour intimer l’ordre à la police judiciaire d’interpeller  un individu».  

Le fond du dossier…

Les mots employés par Ollo Mathias Kambou dans ses écrits sont durs, indique le parquet. Il va même demander au prévenu de donner le sens de chaque mot qu’il a employé selon le contexte.  

Le 8 juillet 2022, le tapis rouge a été déroulé pour Blaise Compaoré qui pourtant est condamné à perpétuité dans l’affaire Sankara, aux yeux et à la barbe de la justice burkinabè. Ce qui a valu l’utilisation du mot «trahison» par Ollo Kambou. Il trouve que le président Damiba a trahi son serment parce que ce qu’il a fait est contraire à la constitution. 

Kamao dit avoir traité Damiba de « déshonneur» parce qu’il estime que  l’honneur c’est le respect de la parole donnée . Et, à l’écouter, Damiba en accueillant Blaise est un déshonneur et c’est contraire à l’éthique militaire.

« Lorsque je dis que le président Damiba est un promoteur de criminel, cela est en lien avec le fait qu’il ait accueilli une personne condamnée par la justice parce qu’il est reconnu coupable de la mort de Thomas Sankara (Blaise compaoré), le 8 juillet», explique Ollo Mathias Kambou

« Quand je dis que Damiba est un cancre, ce n’est pas une injure, mais une description de comportement. Car, la gouvernance du président Damiba sur le plan sécuritaire est catastrophique…

Je dis aussi que le MPSR est maudit parce que ses actes sont aux antipodes des valeurs de la cohésion sociale». 

Kamao s’est assumé dans tout ce qu’il a dit ou écrit. « Je suis l’auteur de ces écrits . Et les propos du 5 septembre sont adressés au chef de l’État Paul Henri Damiba après son bilan de cinq mois.  Je ne fuis pas les questions monsieur le procureur», a-t-il fait noter.  

Le réquisitoire du procureur 

Après avoir écouté attentivement le prévenu, le ministère public (procureur) a signifié que juridiquement parlant, ce dossier est très simple . « Il s’agit des propos outrageants d’un citoyen qui ont été portés à l’endroit du chef de l’État. Ce sont des propos qui ne peuvent être tenus à l’endroit d’un dépositaire de l’autorité publique», explique le procureur. 

Le parquet a tenu à montrer que la manière a manqué à Ollo Mathias Kambou pour dire ce qu’il pense. Il trouve aussi que l’infraction d’outrage est suffisamment constituée. 

Ce procès n’est pas fait contre la liberté d’expression, précise le procureur qui ajoute qu’il est fait parce qu’il y a eu un dépassement de la loi. « Ollo Kambou est allé au-delà de la limite de la loi. C’est du dosage », peste-t-il, indiquant qu’« On ne peut pas s’adresser au chef de l’État de la manière dont on s’adresse à n’importe qui». 

Ainsi, il a requis contre Ollo Mathias Kambou, six mois de prison dont trois mois fermes et une amende de 500 000 F ferme. 

La plaidoirie des avocats de la défense

Le parquet a pris le temps de lire la définition du mot  outrage dans le dictionnaire pour que chacun puisse bien cerner son sens. Sauf que la défense n’adhère pas à cette lecture. « Monsieur le président, allez-vous condamner à lecture du dictionnaire le Larousse du mot outrage? », interroge Me Guy Hervé Kam. 

Il va plus loin en indiquant que « si le parquet ne veut pas qu’on critique le chef de l’État Damiba, qu’on lui dise de retourner dans les casernes». 

« On a l’impression que le procureur se retrouve au moyen âge », a laissé entendre Me Prosper Farama. La défense revèle que « l’outrage à chef de l’État n’existe plus. C’est une infraction qui constitue en elle-même un vestige moyenâgeux de monarque . Même en France cette infraction n’existe plus».

Me Farama interroge : « Est-il vrai que c’est Paul Henri Damiba qui a renversé un président démocratiquement élu, qui se plaint aujourd’hui parce qu’il a été injurieux ? …Le baromètre de la démocratie c’est la liberté d’expression».

A ses dires, eux (Damiba et ses camarades), ils ont enfreint la loi en faisant un coup d’État, ils ont assassiné la démocratie, et aujourd’hui,  par la voie du procureur, ils se plaignent parce qu’on les a traités d’incompétents. « Demander à ce qu’on condamne quelqu’un a trois mois de prison ferme , parce qu’il a exprimé son ressenti sur un discours,  il y a de l’abus quelque part», dit Me Prosper Farama. 

« Le président Damiba lui-même n’est pas offensé, mais c’est le procureur qui est offensé à sa place. Comment expliquez-vous cela ?», a fait remarquer Me Farama. 

Dans son intervention, Me Moussa Sarr, avocat inscrit au barreau du Sénégal a déclaré que le réquisitoire du procureur a été plus politique que juridique. Il lui fait comprendre également que des propos peuvent être virulents mais pas infractionnels.  

La décision du juge 

A la fin des débats, le juge a décidé de mettre le dossier Ollo Mathias Kambou en délibéré pour le 30 septembre 2022. Sa demande de mise en liberté provisoire a été rejetée par le tribunal. 

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