Les autorités burkinabè ont dénoncé le 18 janvier 2023, l’accord qui autorise la présence des forces spéciales françaises sur le territoire du Burkina. Ces militaires avaient donc un mois pour quitter le pays. Dans cette interview accordée à Libreinfo.net, le secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs du Burkina (CGTB), Dr Moussa Diallo a salué ce départ des soldats français qui, selon lui, est « conforme» aux attentes des syndicats. Selon lui, après Sabre «il faut démanteler la base d’écoutes américaines ».
Propos recueillis par Valérie Traoré
Libreinfo.net : Les autorités burkinabè ont exigé le départ de la force française « Sabre » du pays. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
Dr Moussa Diallo : Je voudrais juste rappeler que cette décision est conforme à nos attentes parce que depuis très longtemps la Confédération générale du travail du Burkina (CGTB) avec d’autres organisations ont institué ce qu’on appelle les Journées anti-impérialisme.
Et il y a eu trois sessions de ces Journées-là au Burkina Faso avec des invités internationaux. Au cours de ces Journées, nous avons toujours exigé le départ des troupes françaises de notre sol.
Mais il faut ajouter à cela la base d’écoutes américaines qu’il faut aussi démanteler. Entre autres revendications aussi figure l’un des plus importants, la question de la monnaie, du franc CFA ; nous avons estimé que c’est aussi un problème et qu’il faut que les autorités des différents Etats Africains puissent avoir le courage de se retirer de cette monnaie coloniale maintenant néocoloniale et d’envisager la création d’une monnaie propre à chaque Etat ou à l’UEMOA, à la CEDEAO.
Il nous faudra quitter la monnaie franc CFA pour envisager la création d’une monnaie propre à nous.
Libreinfo.net : La présence française en Afrique de l’Ouest est de plus en plus décriée par la société civile. Quelle analyse faites-vous de cette montée du sentiment anti-français ?
Dr Moussa Diallo : Je dirai anti-impérialisme même si par moment on sent des confusions.
C’est comme si on était contre la France et qu’on est pour d’autres pays impérialistes mais au niveau de la Confédération nous faisons bien cette distinction.
Nous ne sommes pas dans la logique d’un sentiment anti-français mais plutôt du rejet de l’impérialisme sous toutes ses formes que ce soit impérialisme américain français, russe, nous ne sommes pas d’accord avec l’ingérence des puissances impérialistes dans les affaires des Etats.
Nous ne sommes pas d’accord qu’on puisse quitter un Etat impérialiste pour aller se mettre sous la domination d’un autre Etat impérialiste.
Nous voudrions bien que notre pays puisse conquérir sa souveraineté en se démarquant des puissances impérialistes et en s’affirmant comme Etat souverain dans les relations internationales.
Libreinfo.net : Est-ce que, selon vous, le départ des forces françaises des pays du Sahel, notamment le Burkina, ne risque pas de créer un vide dans la lutte contre le terrorisme ?
Dr Moussa Diallo : Je ris parce que là, vous êtes en train de dire que la présence des troupes françaises nous aidaient à lutter contre le terrorisme.
Or cela est un sentiment presque général- elles étaient là les troupes françaises, ils étaient là les militaires français, mais on nous attaquait quotidiennement et on les voyait pas agir du tout.
Donc, on ne peut pas parler de vide dans la mesure où on pouvait attendre beaucoup leur contribution, c’est peut-être le volet des renseignements mais là aussi vous avez suivi : on est venu attaquer notre état-major à Ouagadougou et l’ambassade de France même. Il y avait cette possibilité de donner des renseignements de façon précise…
Ça nous étonnerait que les djihadistes puissent entrer à Ouagadougou et aller attaquer même leur ambassade, du coup.
Je me dis que leur présence nous posait plutôt des problèmes parce que beaucoup de personnes se demandaient s’il n’y avait pas un double jeu de la France dans ce sens. Parce qu’on avait l’impression que les terroristes étaient plus renseignés que nos militaires.
Et on pensait que la France jouait le rôle d’agent de renseignement de ces terroristes-là. C’est pour ça que beaucoup d’ailleurs exigeaient leur départ.
Libreinfo.net : Les autorités de la Transition du Burkina ont décidé de diversifier leurs partenariats avec d’autres pays, notamment la Russie. Est-ce que cela pourrait contribuer à éradiquer le terrorisme au Burkina ?
Dr Moussa Diallo : Contribuer, peut-être ; mais nous, nous avons toujours dit, au niveau de la Confédération générale du travail du Burkina que nous devons d’abord compter sur nous-mêmes et de ce point de vue nous avions effectivement, à plusieurs reprises, soutenu l’idée qu’il faut permettre à la population de s’organiser à la base et de lui donner les moyens de s’auto-défendre.
C’est la première manière de combattre le terroriste de façon radicale parce que, comme nous l’avons dit, quand vous regardez ce qui se passe, des terroristes peuvent quitter un village pour traverser d’autres villages, librement, aller dans un village ciblé pour faire ce qu’il veulent et retourner où ils veulent .
Mais si au sein des villages les gens étaient organisés, les terroristes vont chercher à aller dans d’autres villages mais pas en traversant des villages déjà organisés.
Les gens pourraient se défendre de ce point de vue-là. Ce qui va faciliter la tâche à l’armée puisque si les terroristes ne sont qu’en brousse il est plus facile d’intervenir mais c’est quand ils se mêlent à la population que ça complique la tâche des militaires.
Libreinfo.net : La suspension des activités des partis politiques par les autorités de la Transition suscite des réactions d’indignation au sein de la classe politique burkinabè. Quelle est la position de la CGT-B à ce sujet ?
Dr Moussa Diallo : Nous avons toujours soutenu l’idée des libertés et défendu les libertés individuelles et collectives donc les libertés politiques sont des libertés importantes.
De notre point de vue, depuis que la constitution a été rétablie le communiqué qui est évoqué ne doit plus être invoqué pour interdire des activités au Burkina Faso.
C’est parce qu’on avait suspendu la constitution , de notre point de vue que ce communiqué avait un sens.
Si on rétablit la constitution, la constitution reconnaît certains droits et garantit d’autres.
Et tant que cette constitution est en vigueur il y a pas de logique du tout d’un point de vue juridique, de dire qu’un communiqué issu d’un groupe putschiste, qui a rétabli la constitution par la suite, peut continuer à rivaliser avec la constitution en vigueur.
Libreinfo.net : Que pense la CGTB de la gouvernance actuelle du capitaine Ibrahima Traoré ?
Dr Moussa Diallo : Nous avons déjà aussi opiné au sein de l’Unité d’action syndicale (UAS) ; pour le moment, nous ne voyons pas de signe qui montre qu’on a changé de cap.
C’est vrai qu’il y a des actions qui sont posées dans le sens de la lutte contre la corruption mais ce qui nous laisse sur notre soif c’est la gouvernance globale, surtout au niveau de l’administration.
Vous voyez que depuis un certain temps la question des concours aussi bien professionnels que des concours directs fait couler beaucoup d’encre et de salive.
La gestion a été plus ou moins catastrophique. Si vous regardez aussi les questions de la carrière des travailleurs, des avancements et des reclassements, ce sont des dossiers qui continuent à traîner.
Il y a des gens qui ont été sanctionnés, ils ont été rétablis par la justice dans leurs droits pour opérationnaliser ses décisions on continue à observer ce qu’on appelle la lourdeur administrative.
De ce point de vue-là nous pensons qu’il n’y pas eu un changement de fond ; bien plus, on avait dit qu’on voulait dépolitiser l’administration publique.
Pour nous, nous avons compris qu’il fallait mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut mais nous avons aussi noté des nominations de complaisance de copains et de coquins.
Ce qui fait que nous pensons que dans la gouvernance globale, nous ne sentons pas le changement patriotique tant chanté.
Libreinfo.net : Quelle est la position de votre centrale syndicale quant aux efforts de mobilisation financière pour faire face au terrorisme ?
Dr Moussa Diallo : Non, nous n’avons pas de compréhension particulière dans la mesure où nous avons dit que l’Etat a les moyens d’exploiter les niches fiscales que nous avons signalées.
Il y a beaucoup d’argent à rechercher et c’est une de nos insatisfactions d’ailleurs pour nous.
Quand on vient avec l’idée de rupture, il faut effectivement que des gens constatent qu’il y a des efforts qui sont faits ; on a dit à des députés de rembourser mais nous avons dit que y a eu plus de 1000 milliards de F. CFA de “reste à recouvrer” par l’Etat.
Et c’est principalement des entreprises privées qui doivent à l’Etat et qui ne l’ont pas payé. Vous avez déjà entendu qu’une entreprise a été poursuivie jusque-là ?
Pour nous, c’est ça qui est important ceux qui ont déjà les moyens si on les laisse et on s’acharne sur les pauvres, sur ceux qui se cherchent, qui tirent le diable par la queue, il y a problème.
C’est pour ça que nous avons estimé, en son temps, que la retenue de 1% ne devrait pas être imposée aux travailleurs.
Libreinfo.net : Êtes-vous pour la contribution financière demandée aux travailleurs ?
Dr Moussa Diallo : Nous avons déjà répondu. Nous disons que pour nous, il y a suffisamment d’argent et qu’il faut d’abord chercher à mobiliser les ressources que les gens doivent à l’Etat ; si cela ne suffit pas, alors on peut demander un effort supplémentaire aux travailleurs.
Nous estimons que nous travailleurs nous faisons déjà suffisamment d’efforts. Avec la vie chère qui s’ajoute, l’inflation qui est la plus élevée de la sous-région, avec les augmentations successives du prix du carburant, on est en train de se demander si on n’est pas en train de contraindre le citoyen burkinabè à mourir de faim.
Libreinfo.net : Le Premier ministre burkinabè a évoqué le fédéralisme entre le Mali, la Guinée et le Burkina Faso. Que pensez-vous de ce projet politique régional ?
Dr Moussa Diallo : Je ne voudrais pas répondre à cette question en tant que CGTB ; par contre, je fais de la recherche et sur la question du fédéralisme ; il me semble qu’il y a un problème de fond qu’il faut d’abord résoudre.
Le fait que des Etats se mettent ensemble ne suffit pas pour qu’ils soient forts, il faut qu’ils aient les mêmes convictions, qu’ils aient la même vision ; c’est cela qui permet aux États fédérés de pouvoir se développer.
Mais ce que nous avons constaté dans le cas présent, c’est juste des Etats qui viennent de subir des coups d’Etat, donc des gouvernements issus de coups d’Etat qui se mettent ensemble pour lancer un projet dont la réalisation dépassent leurs capacités en termes de durée même de leur mandat.
Donc il reste évident, à mon avis, que c’est juste du populisme. Ils savent très bien qu’ils ne peuvent pas opérationnaliser cela ; en moins de deux ans il n’est pas possible de mettre en place une fédération des Etats entre le Burkina, le Mali et la Guinée.
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