Des témoins, pour la plupart des directeurs régionaux des transports, dans l’Affaire Vincent Dabilgou, ont été appelés à la barre au tribunal de grande instance Ouaga I, ce 27 juin 2023, pour dire leur part de vérité.
Par Nicolas Bazié
Le Tribunal est revenu sur la signature « de faux documents» par des directions régionales des Transports. Certains de leurs responsables ont témoigné ce 27 juin.
Et, dans leurs déclarations respectives, le nom de Ousmane Sigué, ex-comptable au ministère est plusieurs fois cité. Il est dit que c’est lui qui a fait appel aux directeurs régionaux pour qu’ils viennent signer des bons de carburant, afin de justifier des dépenses effectuées.
« Ousmane Sigué m’a fait comprendre qu’il avait des problèmes pour justifier les dépenses liées au carburant. Il m’a fait signer un document qui indique que nous avons reçu du carburant à pour 9 millions 315 mille en juillet 2020. Cela a continué en 2021» témoigne à la barre, Aristide Meda, directeur régional des transports de la région de la Boucle du Mouhoun, par ailleurs technicien supérieur en aménagement foncier.
« M. Sigué n’est pas votre supérieur hiérarchique, pourquoi obéissez-vous à ses ordres ? » a dit le procureur qui a voulu être mieux éclairé. « Il m’a dit que l’ordre vient du patron, je pense qu’il a voulu parler du ministre (Vincent Dabilgou, ndlr)» répond Aristide Meda.
« M. Meda, vous avez intérêt à dire votre part de vérité parce que, je vous dis que vous avez échappé aux poursuites» a dit le procureur . « Comment pouvez-vous signer de faux documents avec une telle légèreté » s’offusque-t-il.
Les mêmes questions ont été posées à Ali Ramdé, directeur des transports de la région des Cascades. Voici sa réponse : «J’ai été appelé par Ousmane Sigué qui m’a demandé de signer des documents qui prouvent que la direction a reçu du carburant à pour 16 à 17 millions de francs CFA».
Selon lui, M. Sigué lui a fait comprendre que l’ordre venait du patron (le ministre). « C’était des faux documents » reconnaît M. Ramdé qui affirme qu’il n’avait pas mesuré la gravité de l’acte qu’il a posé. «M. Ramdé, on devrait vous poursuivre en bonne et due forme. Vous devriez comparaître à cette barre comme prévenu » a dit le procureur à l’endroit du témoin. « Je regrette d’avoir posé un tel acte» se désole Ali Ramdé.
Ibrahim Sanfo était le directeur des transports de la région du Nord au moment des faits. Lui aussi a été contacté par Ousmane Sigué.
À la barre, il déclare ceci : « Je n’ai jamais rencontré le ministre Vincent Dabilgou, je l’avais une fois appelé mais il n’avait pas décroché. J’ai été aussi appelé pour signer les documents (faux documents de carburant, ndlr) sous prétexte que c’est le patron qui en a donné l’ordre. J’ai tout de suite pensé au ministre. J’ai signé trois documents mais j’avais conscience que l’acte que je posais n’était pas légal». « Est-ce que vous avez conscience que vous risquez la prison M. Sanfo?» interroge le procureur. Réponse de Ibrahim Sanfo: « Oui, j’en ai conscience M. le procureur ».
Selon l’un des avocats de la partie civile, Ibrahim Sanfo a été relevé de ses fonctions de directeur des transports de la région du Nord. Cela, pour avoir refusé de donner, chaque mois, une enveloppe (une contribution financière ) à Koela Emmanuel, ex-directeur de cabinet du ministre Vincent Dabilgou.
Si les premiers témoins sont passés à la barre et ont répondu posément aux questions, cela n’a pas été le cas avec Simon Abdoulaye qui était directeur des transports dans la région du Sud-Ouest. Visiblement très énervé, il a confessé qu’il en veut à M. Sigué.
« En réalité, moi j’en veux à Ousmane Sigué. Ma direction n’avait plus de carburant. Ousmane Sigué m’a appelé. Il m’a dit que dès que je serai à Ouagadougou de passer à son bureau avec mon cachet pour signer des documents de carburant. Je suis allé signer. Mais, nous n’avons même pas reçu de carburant. En tout cas, entre lui et moi, c’était devenu bizarre» a dit le témoin. M. Kouadima a pratiquement vécu la même chose que Simon Abdoulaye.
Voici son témoignage: « J’étais en mission à Ouagadougou. C’était en 2020. Je venais d’être nommé directeur des transports. Lorsque j’étais à Ouagadougou, M. Ousmane Sigué m’a appelé. Je suis passé à son bureau. Il m’a fait signer un document de carburant de 9 millions de francs CFA. J’ai crié, 9 millions de francs CFA de dotation en carburant? Il m’a dit d’aller voir Jean Gabriel Séré pour récupérer le carburant.»
Kouadima poursuit : « Lorsque j’y allais, Ousmane Sigué m’a rappelé pour me notifier qu’il y avait une erreur sur le montant. Je lui ai remis le document pour correction et je suis allé voir Jean Gabriel Séré. À mon retour, je n’ai plus vu Ousmane Sigué. Je suis reparti. Un jour, je suis revenu à Ouagadougou. Je suis passé dans le bureau de M. Séré. Je lui ai expliqué ce qui s’est passé avec M. Sigué. Jean Gabriel Séré m’a fait comprendre que la dotation n’est plus d’actualité.»
Le témoin ajoute que : « Lorsque l’ASCE-LC a commencé ses auditions, M.Sigué m’a rappelé pour me demander de revenir signer le bon de carburant. Ce que je n’ai pas accepté et je lui ai dit que Jean Gabriel Séré m’a précisé que cela n’était plus valable».
Agité devant le tribunal, Kouadima a été invité à se ressaisir. « Si vous nous agressez, nous allons vous agresser légalement et de façon légitime. Rappelez-vous, vous comparaissez ici en tant que témoin pour l’instant. Vous devriez être poursuivi» a dit le procureur à l’endroit du témoin qui a déclaré, avec un air colérique, ne jamais photographier un document de carburant et le transférer au ministre Vincent Dabilgou.
« La technologie a évolué. Le procès Marcel Tankoano et autres a montré qu’on peut faire ressortir des écrits faits sur WhatsApp. M. le juge, ce que moi je demande, c’est de prendre le téléphone de Vincent Dabilgou et de le fouiller. Vous ne verrez nulle part que j’ai envoyé une image au ministre. Je peux répéter ce que j’ai dit à l’ASCE-LC devant votre barre » a fait observer le témoin. Une constance que les avocats de Vincent Dabilgou ont saluée. Et au témoin de les recadrer en ces termes : « Je ne dis pas ceci pour votre intérêt ».
Appelé à la barre, l’ex-ministre Vincent Dabilgou ne se souvient pas avoir appelé Jean Gabriel Séré pour lui montrer une image envoyée par M. Kouadima. « Je n’avais jamais parlé d’un document de carburant à Jean Gabriel Séré » clame l’ancien ministre.
« Le ministre Vincent Dabilgou m’a une fois appelé…»
Après une suspension d’une heure, l’audience a repris avec le témoignage de l’administrateur général de la société de distribution de carburant Ildo Oil. Il s’agit de Souleymane Ilboudo.
C’est lui qui a délégué la signature des contrats de marchés à Alhoussaïni Ouédraogo, le directeur financier de la société. Alhoussaïni Ouédraogo, selon ce qui est ressorti de ce dossier, a donné 25 millions de francs CFA de carburant au ministère des Transports.
Le procureur avait également révélé que Alhoussaïni a donné de l’argent en espèces à d’autres institutions étatiques. À la barre, Souleymane Ilboudo a déclaré n’être au courant d’une telle distribution d’argent à des institutions de l’État. À l’écouter, il a délégué la signature de contrats de marchés à M. Ouédraogo parce qu’il lui faisait confiance.
« Le ministre Vincent Dabilgou m’a une fois appelé pour me signifier que son ministère a signé un contrat avec Ildo Oil qui n’arrive pas à livrer du carburant » a fait savoir l’administrateur général de la Société Ildo Oil, Souleymane Ilboudo. « C’est ainsi que j’ai appelé Alhoussaïni Ouédraogo, mon directeur administratif et financier (DAF), pour comprendre» ajoute M. Ilboudo.
La société Ildo Oil a simultanément signé deux contrats de marché avec le ministère des Transports. C’était en 2020.
Le premier marché s’élève à 77 millions de francs CFA et le deuxième à 49 millions de francs CFA. Selon l’administrateur général de la Société Ildo Oil, livre de l’argent en lieu et place de carburant (comme Alhoussaïni Ouédraogo l’a fait, ndlr) est contraire à la procédure normale de la société.
Les sources de financement du NTD, refont surface
Tout comme à l’audience du 26 juin, le procureur a insisté sur les sources de financement du parti politique le NTD. Pour ce faire, Amadou Onadja, secrétaire à la trésorerie du parti a été appelé à la barre pour répondre à une série de questions.
« Les sources de financement du parti le NTD, sont généralement les cotisations, les dons, etc. (…) Le président du parti (Vincent Dabilgou) a une fois apporté des motos. Les cotisations au sein du parti ne pouvaient pas supporter les paiements des motos. Il faut que le premier responsable du parti intervienne. L’APMP a effectivement fait un don de 80 millions de francs CFA au NTD. L’argent m’a été remis » a affirmé Amadou Onadja,
Ce qui semble être flou, selon le procureur, c’est que le témoin avait déclaré à l’ASCE-LC qu’il avait reçu 5 millions de francs CFA. Interrogé, M. Onadja a confié qu’il s’était trompé.
Cela a amené les avocats de la partie civile à douter de la sincérité de Amadou Onadja. En fait, M. Onadja a déclaré avoir reçu 80 millions de francs CFA en une seule tranche, juste avant l’ouverture de la campagne électorale le 31 octobre 2020.
Sauf que le 26 juin 2023, à la barre, le témoin Clément Sawadogo, coordonnateur de l’Alliance des partis de l’ex-majorité présidentielle (APMP) avait affirmé que le don avait été fait en deux temps.
Pour la pré-campagne électorale, 30 millions de francs CFA ont été remis au NTD selon lui. Et, pour la campagne, ce sont 50 millions de francs CFA qui ont été remis selon toujours ses dires.
Pour le procureur, il y a de l’ambiguïté dans les déclarations de Amadou Onadja. Comment se fait-il que vous recevez 80 millions de francs CFA en septembre, pourtant, la décharge qui atteste que Vincent Dabilgou a reçu 50 millions date de novembre 2020? C’est la question que le procureur s’est posée. Une question qui n’a pas eu de réponse de la part de Amadou Onadja.
Dans son intervention, le procureur a fait observer ceci: « Premièrement, le parti le NTD n’a pas reçu de subvention de la part de l’État pour la campagne électorale de 2020. Deuxièmement, si l’on prend Amadou Onadja au mot, les cotisations et dons ne peuvent supporter les charges d’une campagne électorale au sein d’un parti comme le NTD. Troisièmement, le don de 80 millions de francs CFA selon le parquet frise le mensonge.»
Maintenant, comment le NTD a pu financer ses activités? S’interroge le procureur qui trouve que cela pourrait avoir une réponse dans cette histoire de retraits d’argent effectués sur le compte Ecobank du ministère des Transports.
Suite à ces doutes, les avocats de Vincent Dabilgou ont fait cette proposition : « Si vous voulez, on peut citer le président Roch Kaboré à comparaître pour savoir s’il a remis 80 millions de francs CFA au NTD ou pas ». Le parquet n’a pas trouvé d’inconvénient à la proposition. L’audience reprend le jeudi 29 juin 2023 au Tribunal de grande instance Ouaga I.