Mali, Burkina, Niger et maintenant Tchad ! Demain, sans doute le Sénégal ! Et le Gabon ? Et la Côte d’Ivoire ? La présence militaire française se réduit comme peau de chagrin en Afrique. Comme l’implacable signe des temps qui sonne, avec les tourments de la force militaire, la trompette d’un changement de paradigme pour « La Coloniale »…
… Et le Tchad accélère le rythme ! Alors que l’échéance du départ des troupes françaises de son sol était annoncée pour le 31 janvier 2025, le pays du tout nouveau maréchal Mahamat Idriss Déby Itno vient de donner un tour de vis au calendrier en ramenant cette échéance au 31 décembre 2024.
Épilogue, sans doute, de l’échec des négociations pour opérer ce retrait de façon progressive, jusqu’en mars 2025. Fermeté aussi du Tchad qui tient à conclure rapidement cette opération afin de mettre un terme à la présence militaire française sur son sol, au moment où un premier groupe de 120 militaires a déjà plié bagages. La France n’a donc plus qu’une petite semaine pour faire place nette et libérer sa base militaire de N’Djamena !
Cette volte-face tchadienne constitue un cinglant désaveu pour la présence militaire française en Afrique en général, quand on sait que cette base militaire permanente, la deuxième plus importante de l’Hexagone après Djibouti, est implantée dans le pays depuis quatre décennies. Il s’agit en effet d’une infrastructure géostratégique qui a servi pendant longtemps de centre névralgique, mais aussi de point de repli des opérations initiées notamment dans le Sahel.
Carton rouge de l’expulsion
Et comme un implacable signe des temps, le Tchad n’est pas seul sur cette posture de divorce. Les positions militaires françaises sur le continent tombent depuis ces deux dernières années comme des châteaux de cartes, les dirigeants actuels brandissant, tour à tour, le carton rouge de l’expulsion.

Ainsi du Sénégal, par exemple, qui a annoncé, le 28 novembre dernier par la voix de son président, Bassirou Diomaye Faye, sa volonté de clore le chapitre des 350 militaires français encore présents dans le pays. Quoiqu’il n’ait encore donné ni délai ni ultimatum, cette sortie présidentielle reste lourde de signification d’autant qu’elle intervient à l’avant-veille de la commémoration, le 1er décembre, du 80e anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye.
Davantage, elle résonne en écho à l’injonction du rastaphoulosophe ivoirien Alpha Blondy qui, en 1998 déjà, indiquait dans l’une de chansons magiques que… « les enfants des tirailleurs vous disent de vous en aller » ! Et d’enfoncer le clou : « En Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon, en Centrafrique, à Djibouti, à N’Djamena… nous ne voulons plus de vous ! » Alors, « Armée française, allez-vous-en ! Allez-vous-en de chez nous (car) nous ne voulons plus d’indépendance sous haute surveillance » !
Et si on inversait les rôles !
Vingt-six années déjà que ce titre, « Armée française » de Alpha Blondy, est sorti sur l’album « Yitzhak Rabin ». Une prémonition musicale qui s’exécute actuellement sous nos yeux, avec la force d’un dégagisme sans concession, qui tombe sous le sens. « Est-ce qu’en tant que Français, vous envisagez de nous voir dans votre pays avec des chars, des militaires sénégalais ? Quand vous inversez un peu les rôles, vous concevrez très mal qu’une autre armée, la Chine, la Russie, le Sénégal ou n’importe quel autre pays puisse avoir une base militaire en France ! », s’est fort justement exclamé le président Bassirou Diomaye Faye, alors qu’il répondait aux questions d’un journaliste sur une télévision française.
Ainsi, à l’image d’Aimé Césaire qui nous a enseigné en 1939 dans son célèbre Cahier d’un retour au pays natal « le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme », c’est assurément, à présent, le temps de prouver par l’action que « nous sommes des États indépendants et souverains ». Une éloquente manière, et même la seule, de redire à la France, sur les paroles de Alpha Blondy que, décidément… « votre présence militaire entame notre souveraineté, confisque notre intégrité, bafoue notre dignité… Et ça, ça ne peut plus durer » !
C’est, du reste, ce que claironnent certains chefs d’État africains, décidés à prendre les destins de leurs pays en mains et à en finir avec « La Coloniale ».
Ainsi, entre tensions sociopolitiques et crise sécuritaire aigüe, notamment liée à l’explosion du terrorisme au Sahel, l’on a assisté, ces dernières années, à une vague de contestations de la présence militaire française en Afrique.
Effets dominos
Un mouvement à effets dominos, qui a d’abord vu la France, ses partenaires européens et le Canada, quitter complètement le Mali en février 2022, après neuf ans de lutte presqu’infructueuse contre les djihadistes. Une triste fin pour les opérations militaires anti-djihadistes Barkhane et Takuba, qui n’ont pas réussi à inverser le rapport de force, ni à résorber, un tant soit peu, les attaques terroristes qui se sont multipliées dans la zone des trois frontières (Burkina-Mali-Niger), entraînant de nombreuses victimes et des millions de personnes déplacées internes.

Même posture au Burkina où, après avoir dénoncé les accords de défense le liant à la France, le gouvernement de Transition a acté, le 18 février 2023, la fin des opérations de la Force Sabre, à travers notamment « une cérémonie solennelle de descente de drapeaux ». L’action de cette Force, qui intervenait dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel, a été jugée inopérante. Et à la suite du Burkina, c’est le Niger qui montre la porte de sortie aux troupes françaises, suite au coup d’État du 26 juillet 2023. Les derniers soldats français ont ainsi quitté le territoire nigérien en décembre 2023.
On comprend donc bien qu’avec la récente décision du Tchad et la nouvelle posture du Sénégal sur cette question, la présence militaire française se réduit comme peau de chagrin en Afrique. Sinon même qu’elle devient ridicule !
Changement de paradigme
En effet, renseigne Tony Chafer, professeur d’études africaines et françaises au Centre de recherche en études européennes et internationales à l’université de Portsmouth, au Royaume-Uni, « la France a entrepris au moins 30 interventions militaires directes sur le continent entre 1964 et 1995 ». Cela, grâce notamment à « une série d’accords bilatéraux de défense et d’assistance militaire signés avec ses anciennes colonies et jusqu’à 10 000 soldats stationnés ou participant à des opérations militaires au cours des premières années suivant l’indépendance ».
Aujourd’hui, la France compte encore, apprend-on, quelques centaines d’hommes au Gabon et près d’un millier en Côte d’Ivoire. Il ne lui reste plus que sa base militaire de Djibouti, la plus importante en Afrique avec 1 500 soldats, tournée plutôt vers l’Océan Indien, la Mer Rouge et le Moyen-Orient. La visite du président français, Emmanuel Macron, qui y est allé le 20 décembre dernier pour partager, entre autres, un dîner de Noël avec ses troupes, est aussi le signe que l’heure du changement de paradigme a plus que sonné.
Un changement qui induit une reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique, voire une disparition complète, en ces temps où — répétons la profession de Alpha Blondy — cette forte présence de soldats de l’ancien pays colonisateur… « entame notre souveraineté, confisque notre intégrité, bafoue notre dignité »…