Enchaînement de réunions, lecture de centaines de pages, audition d’une soixantaine de personnes, envoi d’une soixantaine de courriers et de dizaines d’appels téléphoniques… Pendant 25 jours, soit du 26 novembre au 20 décembre 2021, la Commission des Affaires Générales, Institutionnelles et des Droits Humains (CAGIDH) de l’Assemblée nationale a travaillé d’arrache-pied pour relire et modifier 26 articles du code électoral. Cette course contre la montre s’est déroulée au cours de la 2ème session ordinaire de l’année 2021. Nous avons été autorisée à suivre les travaux à condition de ne rien enregistrer ni de prendre des photos. Plongée dans la fabrique des lois à l’Assemblée nationale.
Par Aminata Kaboré
Mercredi 15 décembre 2021. Il est 15h 00 minutes à l’Assemblée nationale. Des députés arrivent les uns après les autres à bord de leurs véhicules, accueillis par un harmattan qui souffle un léger chaud enveloppé dans une brume poussiéreuse. Quelque temps après, arrive un cortège à vive allure avec des agents de sécurité à bord. Il s’ébranle direction la salle des commissions située à l’extrême Nord du Parlement. A peine arrivé, les portières du véhicule escorté sont vite ouvertes. ce n’est pas un élu qui en descend mais le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité Maxime Koné. Habillé d’une tenue traditionnelle Faso danfani il s’engouffre immédiatement dans la salle des travaux.
Ce jour-là, il n’y avait pas de séance publique mais des travaux en commission sur le projet de loi portant modification du code électoral. Les travaux sont à la charge de la commission des Affaires Générales, Institutionnelles et des Droits Humains (CAGIDH). Le ministre Koné était venu au nom du gouvernement pour être auditionné par la commission. Il avait à ses côtés ses collaborateurs et des représentants du ministère de la Communication, des relations avec le parlement, de la Culture, des Arts et du Tourisme. Pour cette audition du gouvernement, 35 personnes étaient présentes : 13 membres sur 17 de la CAGIDH, 6 députés représentant les commissions saisies pour avis, le ministre Koné accompagné de 6 collaborateurs, 5 agents de la commission et des volontaires de l’Assemblée nationale.
15h 30 minutes. Début effectif des travaux. Vêtu d’une tenue Faso danfani à rayure noire et blanche, le président de la CAGIDH, le député Sayouba Ouédraogo présente l’ordre du jour avant de donner la parole au rapporteur de la commission, le député Khalil Bara. Celui-ci lit à voix haute le projet de loi portant modification de la loi N°014-2001/AN du 03 juillet 2001 portant code électoral. Après cette lecture, le président Ouédraogo propose le plan de travail ainsi qu’il suit qui est adopté : d’abord l’audition du gouvernement, ensuite le débat général et enfin l’examen du projet de loi article par article.
La parole est alors donnée au ministre Maxime Koné qui présente l’exposé des motifs du projet de loi. Ensuite commence le débat général au cours duquel les députés posent des questions et font part de leurs préoccupations. Puis la parole est redonnée au ministre pour qu’il apporte des éléments de réponses. Ce jour-là, 37 questions ont été adressées au ministre Koné.
18h 46 minutes, place à l’examen article par article. Visiblement la fatigue se lisait sur les visages. Mais pas question d’arrêter, c’est la qualité de notre démocratie qui était en débat. De temps en temps, les participants s’offraient des tasses de café ou de thé pour recharger les batteries. Il ne faut pas perdre sa rigourosité et sa vigueur de départ. Parfois les débats étaient si houleux que le président de la CAGIDH devait intervenir pour ramener le calme. Au rapporteur Bara, il dira pour ramener l’ordre : « Vous suivez non ! Bara il faut y aller. On est là pour le fond du dossier. Maintenant ceux qui sont là pour avis là, laissez-nous aller à la plénière et là-bas, vous pourrez aviser ». La fatigue commençait a se faire sentir. les positions assises et les postures courbées en disaient long et la patience de la CAGIDH était mise à rude épreuve. « mon ami Bara, il faut accélérer. Sinon, c’est ça qui occasionne les grands débats. J’ai dit d’accélérer ». finit-il par lâcher. Son téléphone ne cessait de sonner. Après plusieurs rejet de l’appel, il finit par dire à son interlocuteur de prendre son mal en patience parce qu’il était occupé pour le moment.
A l’ouverture des travaux, les membres de la commission voulaient boucler le dossier le jour-même. Mais finalement cela ne sera pas le cas et le président Sayouba Ouédraogo n’eut d’autre choix que de suspendre les travaux à 20h 45mn pour les reprendre le lendemain à 15h, ce après quoi le Chef des travaux pipe mot.
« Les journalistes n’informent pas le public sur le vrai travail du député. Ils pensent que ça se limite à lever le doigt à l’hémicycle. Qui est « pour », on lève, qui est « contre », on lève, on adopte et c’est fini. Non. le député fait un travail de fond. Moi, en tant que président, à chaque fois que je suis saisi pour un texte, j’étudie moi-même le projet de loi pour comprendre. Et c’est comme ça pour chaque membre de la commission. Chacun va lire le projet de loi, faire ses recherches et venir maintenant faire part de ses compréhensions et incompréhensions du projet de loi. Et ensemble on va faire un débat. Vous avez vu comment c’était houleux ce soir. Nous nous approprions la loi à nous affectée. Mais nous ne sommes pas obligés d’avoir le même point de vue. C’est ce travail pluriel qui est un travail de fond. Vous voyez, il est 21 heures passées alors que nous sommes réunis depuis 15 heures », nous explique le président de la CAGIDH. Ces propos rappellent ceux tenus par des acteurs du parlement burkinabè au cours d’une formation des journalistes sur les enjeux de la 8ème législature, tenue en août 2021 à Tenkodogo. « Les députés reprochent aux journalistes la légèreté avec laquelle ils traitent l’information parlementaire », confiait Sylvain Vebamba, le Directeur général de la communication et des relations publiques de l’assemblée nationale Il faisait écho au Directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale, Emile Bazyomo pour qui, « quand un journaliste parle de projet de loi alors qu’il s’agit d’une proposition de loi, c’est juste une ignorance ».
Jeudi 16 décembre 2021. La reprise des travaux est prévue pour 15h. Mais le programme connaitra un changement. L’adoption de la loi de finance pour l’exécution du budget de l’Etat, exercice 2022 était aussi programmé le même jour dans la matinée en séance plénière. Cela pousse la CAGIDH a reporté ses travaux pour 19 heures. « nous sommes habitués à ce travail sous pression », nous confie le président Sayouba Ouédraogo.
19 heures. La CAGIDH reprend ses travaux d’audition du gouvernement sur les modifications du code électoral.. Après le président de la commission Sayouba Ouédraogo, le rapporteur de la commission fait le point des travaux. La commission est assistée de fonctionnaires parlementaires comme les experts et les administrateurs parlementaires entre autres.
Les différentes commissions bénéficient de l’apport de divers experts. La révision du code électorale, a bénéficié de l’expertise de Seydou Coulibaly, expert des questions parlementaires qui apporte son expérience depuis 22 ans au sein du parlement burkinabè. « Il m’est arrivé plusieurs fois d’éviter des lois mal faites. C’est un rôle de l’ombre. On ne bavarde pas. On écrit des rapports, on fait des suggestions, des recommandations au président de la commission qui dans certains cas peut même acheminer ces recommandations jusqu’au président du Parlement », dit-il l’air fatigué avant d’ajouter « Il faut aimer ce que l’on fait. Il faut toujours être dans la recherche parce que les disciplines sont évolutives. Il faut aussi connaître les législations des parlements des autres pays ».
La CAGIDH a aussi bénéficié de l’assistance de M. Moumouni Nana, administrateur parlementaire. Il assiste techniquement les élus. Mais plus particulièrement le rapporteur de la commission, le député Khalil Bara. « J’assiste le député rapporteur dans la rédaction du rapport. Je prépare le projet de rapport qu’il va lire en commission ou en séance publique». Explique-t-il avant d’ajouter « quand je suis arrivé ici, je n’avais pas un seul cheveu blanc. J’ai blanchi en moins de dix ans. J’ai mes professeurs d’Université qui m’ont tenu en première année en 2003 et qui n’ont aucun cheveu blanc. Ils sont ici en tant que députés. Mais je parais plus vieux qu’eux. Alors qu’il y a quinze ans d’écart en termes d’âge. C’est pour vous dire que ce n’est pas du tout reposant. C’est épuisant, mais on tient toujours quand on aime ce qu’on fait. Il nous arrive des fois de mener des travaux de commissions des séances qui vont jusqu’à minuit. Mais Dieu merci on arrive toujours à répondre à la fonction qui bien qu’épuisant, est aussi noble qu’exaltant ».
La CAGIDH a aussi bénéficié de l’assistance d’autres membres du personnel de l’Assemblée nationale dont 1 attaché administratif et une secrétaire parlementaire. C’est avec assistance de ces personnes ressources que le document a été minutieusement examiné article par article. Un véritable travail de fourmi parfois qui était marqué par des gorges chaudes empreintes de brins d’humour du président de la commission.
Les points d’achoppement ont essentiellement porté sur les points suivants : la validation des élections dans les zones à fort défi sécuritaire ; la mise en place des délégations spéciales dans les communes où les élections ne pourront pas se tenir ; le vote des personnes déplacées internes dans les communes d’accueil ; la clarification des articles du code électoral relatif au nomadisme politique et la campagne électorale déguisé.
Les discussions ont été particulièrement vives sur le vote au suffrage universel des Maires en 2027 et le vote des déplacés internes dans leurs communes d’accueil sur ces deux questions il n’y a pas eu d’accords entre députés. Poussant ainsi le ministre en charge des questions électorale à dire : « il faut permettre aux déplacés déjà meurtris de voter et de ne se sentir exclus. C’est ça l’idée. Ce n’est forcément pas là où on est né qu’on peut être candidat ou voté. Le principe est arrêté. Maintenant c’est le moment de la mise en œuvre qui fait débat. (…) tout le monde est d’accord avec le principe qu’il faut aller à l’élection du Maire de manière directe ».
A la fin des travaux, 26 articles ont connu des modifications. Sur les autres point de désaccord, notamment l’élection des Maires au suffrages universels, le président de la CAGIDH a demandé à ceux qui n’étaient pas d’accord de prendre leur mal en patience pour la suite qui passera à l’hémicycle en séance plénière. « L’exécutif nous a fait un projet de loi qui modifie certains articles de la loi précédente. Et dans ce cadre, la question dont les députés évoquaient n’est pas un sujet à débat. Puisque ce n’est pas proposé à modification. C’est l’ancien système que le projet consacre toujours. C’est-à-dire que c’est le vote indirect des présidents des conseils municipaux. Maintenant comme les députés veulent aller aux suffrages directs, le président de l’Assemblée les a signifié que ce n’est pas chose perdue. Nous pouvons toujours rattraper tout cela en faisant une proposition de loi. Là, c’est une émanation de l’Assemblée nationale ».
Les travaux de la CAGIDH ont commencé bien avant l’audition du gouvernement. Du 1er au 6 décembre, 29 acteurs, à l’exemption de l’opposition politique qui a refusé de donner suite aux sollicitations de la commission, ont été consultés. Ces consultations avaient pour objectif de recueillir leurs préoccupations et propositions. Elles ont permis de recueillir 37 questions qui portent sur le fond du document. C’est l’ensemble de ces préoccupations qui ont nourri les débats lors de l’audition du gouvernement.
Mais si la loi a été modifié par un vote majoritaire, le 20 décembre 2021, en plénière, le débat n’est pas clos pour autant parce qu’à travers leurs prises de parole, des députés demeuraient visiblement insatisfaits de la nouvelle révisions du code électorale. Le président de l’Assemblée nationale a déclaré que « Je voudrais rappeler à l’ensemble des députés que le vote de cette loi n’empêche pas l’Assemblée nationale de faire une proposition de loi. Les carottes ne sont pas cuites. C’est pas clos à jamais. Nous avons la latitude, soit d’amener le gouvernement à revoir la loi, soit que nous puissions, nous même faire une proposition de loi modificative. (…) Le législateur a tout prévu, heureusement d’ailleurs ». Les conditions définitives d’organisation des élections municipales de 2022 ne sont peut-être pas encore définitivement arrêtées.