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Burkina : Si le 4-Août savait, si le 5-Août pouvait …

Place de la Revolution

Le Burkina Faso, anciennement Haute-Volta, célèbre ce 5 août le 64e anniversaire de son accession à l’indépendance. Une commémoration qui intervient au lendemain du 40e anniversaire de la naissance, le 4 août 1984, du « pays des Hommes intègres », juste une année après le déclenchement de la Révolution démocratique et populaire. Aujourd’hui, cette terre d’espérance et de traditions, abritant plus de 22 millions d’habitants sur ses 274 200 km², fait face à de nombreux et redoutables défis dont la résolution appelle la participation sincère de tous. 

Par Serge Mathias Tomondji

« Neuf siècles d’histoire ont révélé au monde la valeur morale de l’homme voltaïque. Au nom de cette morale à partir de laquelle nous voulons bâtir notre nation, j’exprime ma profonde reconnaissance à tous les artisans de notre indépendance nationale. »

Ainsi parla Maurice Yaméogo, le 5 août 1960 à zéro heure, pour matérialiser l’accession de son pays à la souveraineté nationale et internationale. Le premier président de cette terre de 274 200 km² proclamait alors solennellement l’indépendance de la République de Haute-Volta « au nom du droit naturel de l’homme à la liberté, à l’égalité, à la fraternité ».

Cela fait donc 64 ans aujourd’hui que ce territoire, érigé en colonie française à partir de 1919, puis établi comme une République le 11 décembre 1958, célèbre son indépendance. Soixante-quatre années d’indépendance, mais plus de cent années d’une histoire singulière et virevoltante ! Que de péripéties et de vicissitudes en effet, depuis la « Fière Volta de nos aïeux » jusqu’au « pays des Hommes intègres » !

Autant que l’on se réfère aujourd’hui aux 64 années d’indépendance de la Haute-Volta devenue Burkina, autant l’on devrait également évoquer, au moins, l’histoire mouvementée du pays pendant son centenaire d’existence comme colonie française. Entre existence, non existence, puis renaissance, le parcours ne fut en effet pas simple.

Façonner l’identité nationale

Les principaux marqueurs de cette évolution en dents de scie sont là, qui renseignent que ce territoire a été démantelé et écartelé au gré du vent en 1932. Comment alors oublier que la Haute-Volta a subi un charcutage en règle en 1932, avant d’être reconstituée en 1947, grâce à la bravoure, au sang et à la détermination de son peuple courageux et travailleur ? Et comment passer par pertes et profits cette autre renaissance qui a reformaté ses braves populations, à partir du 4 août 1984, dans un Burkina Faso qui ambitionne de façonner son identité et sa mentalité ?

Pour mettre en avant cette nouvelle identité, les révolutionnaires au pouvoir depuis le 4 août 1983 sous la houlette de Thomas Isidore Noël Sankara décident de faire table rase du « passé réactionnaire et néocolonial » du pays. Cela passe d’abord par un nouveau nom de baptême et de nouveaux attributs étatiques. La République de Haute-Volta est alors rayée de la carte pour céder la place au Burkina Faso, une appellation qui intègre trois langues du pays, pour unifier ce peuple qui a tant souffert.

Burkina, « homme intègre » en langue mooré, se marie ainsi avec Faso, « terre natale », en dioula, qui matérialise la forme républicaine de l’État. Le Burkina Faso est donc, pour les puristes, « le pays (ou la patrie) de l’homme intègre » et ses habitants sont des Burkinabè, un mot invariable qui se traduit par « personne libre et intègre », le suffixe « bè », emprunté au fulfuldé, une autre langue du pays, signifiant « habitant de ».

Il est donc évident que ceux qui ont composé, en s’appuyant sur la diversité, les noms « Burkina Faso » et « Burkinabè » ont voulu forger, indique le linguiste Sid-Lamine Salouka dans l’une de ses chroniques sur le « Burkinabisme », « des vérités identitaires et unificatrices au profit d’un peuple à qui l’histoire n’a pas été tendre ».

D’ailleurs, le nouveau génome identitaire national prend également en compte l’hymne national, le drapeau, les armoiries…

La « Fière Volta » de l’indépendance s’est ainsi muée en « Ditanyè », signifiant « Le Chant de la victoire » en langue lobiri, tandis que le drapeau à trois bandes horizontales — noire, blanche et rouge — est remplacé par une composition à « deux bandes horizontales, rouge et verte, frappées d’une étoile jaune à cinq branches ». De même, la devise nationale passe, à partir du 4 août 1984, de « Unité-Travail-Justice » à « La patrie ou la mort, nous vaincrons ».

Sentir le prix à payer

Ces transformations systémiques visent sans aucun doute à modéler la société et à révolutionner les mentalités pour impulser une dynamique nouvelle d’indépendance et de développement.

Mais comme on le sait, des dissensions sont apparues dans la vision et la conduite des affaires de l’État et, comme ailleurs, « la révolution a mangé ses fils ». 

Quatre années après son déclenchement, grâce aussi à Blaise Compaoré — qui a géré jusqu’au bout, et depuis Pô, la prise de pouvoir par les militaires révolutionnaires, et qui a procédé à la « rectification » du mouvement plus tard — Thomas Sankara est assassiné le 15 octobre 1987.

Le plus important, je crois, avait-il affirmé avant cet épisode sanglant dans lequel il a trouvé la mort, « c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il peut s’asseoir et écrire son développement ; il peut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur ». 

Aujourd’hui, 40 ans après la naissance, le 4 août 1984, du Burkina Faso, ces paroles prennent une dimension prémonitoire puisque, depuis octobre 2014, les Burkinabè arborent fièrement et sans contrainte leurs tenues en cotonnade « Faso Dan Fani ». De plus, on comprend mieux qu’il faut effectivement « produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons ».  

Puissant adjuvant

Enclenchée pour changer les mentalités et implémenter de nouveaux paradigmes d’un développement autocentré, la Révolution démocratique et populaire du 4 août 1983 reste un repère inviolable de l’histoire de ce pays, toujours en quête de sa réelle indépendance.

Les ingrédients de ce changement systémique constituent, sans conteste, de solides fondations pour bâtir aujourd’hui et demain, dans un contexte sécuritaire plutôt difficile qui convoque une pertinente synergie des actions de tous.

Et c’est là que les Burkinabè doivent revisiter le passé pour « oser lutter, savoir vaincre… » afin de relever les défis actuels.

L’évocation, ce 5 août, du 64e anniversaire de l’accession de ce pays à l’indépendance « nominale », doit donc fonctionner comme un puissant adjuvant pour dégager les priorités, rassembler les Burkinabè autour de l’essentiel, investir et conquérir les chantiers du développement de la nation. La sauvegarde de la patrie, la restauration de la dignité des populations qui vivent le martyre depuis une décennie sous les coups de boutoir d’un ignoble terrorisme, la refondation inclusive et consensuelle de la nation se retrouvent sur la table des urgences.

Et quoiqu’on dise, Thomas Sankara a déjà tracé la voie lorsqu’il a notifié avec force que « l’esprit de liberté, de dignité, de compter sur ses propres forces, d’indépendance et de lutte anti-impérialiste doit souffler du Nord au Sud, du Sud au Nord et franchir allègrement les frontières. D’autant plus que les peuples africains pâtissent des mêmes misères, nourrissent les mêmes sentiments, rêvent des mêmes lendemains meilleurs ».

Vivre-ensemble, concorde nationale

Le creuset est donc déjà en place, tant il est vrai que c’est au bout de l’ancienne corde que l’on tresse la nouvelle. La méthode « SIMIEX » (Situation, Mission, Exécution), canevas mis en place sous la Révolution pour rédiger les documents, est toujours d’actualité. Ou du moins, il devrait inspirer les actions d’aujourd’hui pour impacter les résultats de demain. Chaque responsable devrait ainsi faire le point de la situation, dégager la mission qui en découle et rendre promptement compte de son exécution, satisfaisante ou non…

En tout état de cause, la Haute-Volta devenue Burkina est un pays au destin singulier. Une terre millénaire, formatée colonie depuis 1919 et qui compte aujourd’hui 66 ans de vie républicaine, 64 années d’indépendance, huit coups d’État perpétrés par l’Armée, quatre Républiques, onze présidents dont huit militaires !

En regardant ce tableau avec circonspection pour tirer toutes les leçons de son passé tumultueux, le Burkina Faso voudrait tant — et c’est son droit — regarder demain avec plus de sérénité…

Il est donc plus qu’urgent de recréer, en guise de gâteau pour le 64e anniversaire de l’indépendance de cette terre d’espérance, l’esprit de tolérance, d’unité et de combat qui a milité en faveur de la reconstitution du pays en 1947.

Assurément, c’est le moment de travailler sincèrement et hardiment à la restauration des valeurs cardinales et de la fierté du vivre-ensemble, de la solidarité véritable, de la justice vraie, de la concorde nationale…

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