Les assises nationales qui se sont déroulées le 25 mai 2024 à Ouagadougou ont prolongé la transition de 5 ans en l’absence des organisations politiques et citoyennes notamment du front patriotique qui regroupe une quinzaine de partis et une trentaine d’associations. Son secrétaire général, Athanase Boudo, livre dans cette interview accordée à Libreinfo.net le mercredi 29 mai 2024, son analyse sur l’organisation et les conclusions de ces assises.
Propos recueillis par Prisca Konkobo
Libreinfo.net : Pourquoi le front patriotique n’a pas participé aux assises nationales ?
Athanase Boudo : Le front patriotique, il faut-il le rappeler, est une organisation citoyenne créée le 04 août 2022 et qui regroupe une quinzaine de partis politiques et une trentaine d’associations et d’OSC.
Cela fait appel à l’ensemble des forces sociales, politiques et citoyennes, les personnes ressources, les leaders d’opinion, à un sursaut patriotique en vue d’éviter à notre pays le chaos sécuritaire, humanitaire, économique et social dans lequel s’engouffre inexorablement notre pays.
Nous sommes réunis autour d’une charte et avons bâti une plateforme de lutte. Depuis sa création, le front patriotique a toujours produit des réflexions sur toute question touchant directement la conduite de la Transition.
Toutefois, pour les assises, que ce soit les plus récentes ou celles tenues le 14 octobre 2022, nous n’avons pas été associés en tant que front.
Des partis et associations membres du front ont certes été conviés aux premières assises mais pas le front patriotique en tant qu’organisation citoyenne.
Pour les plus récentes, ni le front, ni les partis politiques et associations membre n’ont été invités. C’est sans doute ce qui a justifié notre absence.
Libreinfo.net : Et si vous aviez reçu une invitation, seriez-vous parti ?
Athanase Boudo : Oui, pourquoi pas ? L’un des points de la plateforme de lutte du Front Patriotique est l’appel sans délai à la mobilisation et à la responsabilisation de toutes les forces sociales, toutes les forces vives, pour une transition politique légitime et souveraine ; seule exigence pour mobiliser notre pays dans un pacte républicain victorieux contre le terrorisme.
Et pour nous les assises nationales devraient offrir cette opportunité. C’est dans cette perspective que régulièrement le Front Patriotique demande la convocation de nouvelles assises nationales inclusives.
La transition éprouve des difficultés à accomplir les missions à elle dévolues depuis l’adoption de la charte en lien avec les questions sécuritaire, humanitaire, de réconciliation nationale, de bonne gouvernance de façon globale, de refondation de l’État qui ressort comme élément essentiel de la plateforme de lutte du front et d’organisation des élections.
Nous avons à chaque fois fait la corrélation entre ce qui se passe et ce que la charte avait donné comme missions et avons toujours tirer sur la sonnette d’alarme quant aux écarts.
Les assises nationales sont donc, à notre sens, le lieu par excellence pour discuter sérieusement et sans ambages de toutes ces questions d’intérêt national en vue de solutions appropriées.
C’est pourquoi nous restons convaincus qu’il fallait effectivement, après les premières assises, organiser d’autres pour pouvoir regarder tout cela. Mais je parle bien d’assises, je ne parle pas de conclave, encore moins de réunion de responsables d’un certain niveau. Pour nous, quand on parle d’assises, il faut donner un contenu.
La crise que nous traversons est tellement profonde et complexe que ce ne sont pas des assises de deux ou trois heures qu’il nous fallait. Des assises nationales pour traiter de questions aussi sérieuses et complexes comme les nôtres auraient bien pu prendre près de trois à quatre jours voire une semaine pour mieux les examiner ; pas deux à trois heures tout de même.
On pourrait même parler de conférences nationales souveraines, pour dire que les assises auraient dues être l’occasion de se regarder en face, de faire une introspection sincère, mener des analyses conséquentes et tirer les conclusions qui s’imposent.
Pour dire en définitive que les assises, pour nous, sont une très bonne chose dans le fond mais telles que réalisées dans la forme ont manqué de pertinence et d’efficacité et restent loin de celles que nous avons toujours demandées.
Libreinfo.net : Comment avez-vous trouvé l’organisation des assises, de façon générale ?
Athanase Boudo : De façon générale, nous pensons qu’elles pouvaient être mieux organisées. Quand on avait fait notre déclaration sur la situation nationale assortie de propositions, il n’y avait pas péril en la demeure nécessitant la convocation et la tenue des assises en l’espace d’une semaine. Il fallait donc prendre le temps de mieux les organiser.
En effet, s’agissant d’abord des convocations, il faut dire qu’en plus du front patriotique, la classe politique, la société civile régulièrement organisée et les associations qui ont une certaine légitimité avérée n’ont pas été conviées, ou du moins, n’ont pas pu participer pour une raison ou une autre.
A titre illustratif, pour des assises qui doivent débuter le 25 mai 2024, c’est au matin du 22 mai que les partis politiques regroupés au sein de l’ex-APMP ont reçu leur invitation signée le 21 mai, après que la coordination a été informée de l’existence de ce courrier qui émane du comité d’organisation des assises.
A la lecture dudit courrier récupéré aux environs de 9 heures au matin du 22 mai, l’ex-APMP avait 3 heures pour envoyer une liste de 10 personnes parce que c’est au plus tard le même jour à midi que la réponse était attendue.
Alors, pour qui connait un peu l’organisation et le fonctionnement de l’APMP qui regroupe plus de 70 partis politiques, sait qu’il est manifestement impossible de tenir le pari imposé par le comité d’organisation des assises.
Aussi, vous savez que dans le fond, les partis politiques ne peuvent pas se réunir à cause de la suspension de leurs activités. La levée de cette suspension a été un préalable du front patriotique qui la demandait en vue de permettre aux partis politiques, dans une certaine sérénité, de se former en commission de travail pour faire des propositions de solutions aux problèmes que vit notre pays.
Etant donné que la suspension est restée en vigueur, il était vraiment difficile pour les partis sérieux de pouvoir s’organiser et participer conséquemment à cette grande rencontre qui touchait la vie de la nation.
Ensuite, au niveau matériel, il y a eu un manque de sérieux autour de cette organisation. Tout le monde a été témoin de l’invasion des lieux des assises par les partisans du MPSR après avoir bravé la barrière sécuritaire. Une telle organisation n’était visiblement pas favorable à des réflexions fructueuses sur la vie de la nation.
Enfin, techniquement les manquements ont été encore plus graves. Les TDR ont planifié les assises pour être tenues en deux jours ; ce qui veut dire certainement qu’il devrait y avoir des plages de débats et des moments pour formuler des recommandations et dresser des rapports.
Mais c’est au premier jour aux environs de 17 heures que le Président de la transition a procédé à la signature de la charte, marquant la fin des assises. Comment un travail planifié en deux jours peut être réalisé en trois ou quatre heures ? Il a donc été escamoté en notre sens.
Du reste, des participants ont témoigné qu’ils n’ont pas eu droit à la parole pour formuler leurs propositions.
Ce ne sont donc pas des assises de ce genre que le front patriotique a recommandées.
Libreinfo.net : À défaut de l’invitation, pourquoi le front patriotique n’a pas cherché d’autres moyens pour assister aux assises ?
Athanase Boudo : même si le front patriotique n’a pas été présent aux assises, il a de par ses analyses antérieures de la situation nationale assorties de propositions de solutions contribué d’une manière ou d’une autre à leur tenue si ces analyses et solutions proposées y avaient été prises en compte.
En effet, nous avions porté un regard critique sur la composition des Forces vives des premières assises et avions fait des propositions qui auraient pu conférer une certaine légitimité et une certaine souveraineté à ces assises si elles avaient été prises en compte.
Libreinfo.net : Quel commentaire faites-vous de la prolongation des 5 ans de la transition ?
Athanase Boudo : Qu’est-ce qui ont motivé 5 ans au lieu de 15 ans, ou d’1 an ou encore de 2 ans ?
Si vous regardez de près la déclaration du Front Patriotique, nous avons dit que la suite à donner à la transition en termes de temps, devrait se fonder sur une analyse profonde de la situation, sur un bilan profond fait par les autorités de la transition au regard des missions essentielles évoquées plus haut au nombre de six, confiées à cette transition.
Si l’on considère la première qui est d’assurer la sécurité, est-ce qu’il y a eu un bilan sérieux et une analyse conséquente pouvant nous permettre de conclure que nous pourrons finir avec le terrorisme dans un temps donné ? Est-ce qu’on a convoqué des intelligences dans une réflexion autour de cette question en vue de solutions éclairées ? Absolument pas.
Ces interrogations sont valables pour toutes les autres missions et c’est la synthèse des réponses à ce questionnement en lien avec l’ensemble des missions qui devaient déterminer le temps à impartir à la nouvelle transition.
En dehors de cette démarche, toute proposition de durée de la transition est sans fondement et manque sérieusement d’objectivité pour notre part.
Libreinfo.net : Pensez-vous que 5 ans, c’est trop ?
Athanase Boudo : 5 ans ajoutés à 2 ans, cela fera bien 7 ans. Et je pense qu’on n’a pas besoin de 7 ans pour répondre aux urgences et refonder notre Etat…
Libreinfo.net : Le quota des partis politiques à l’assemblée législative de transition est maintenu à 12. Mais ce ne sera pas en fonction des composantes des partis politiques. Quel est votre commentaire ?
Athanase BOUDO : Je ne sais vraiment pas la formule que les autorités comptent utiliser pour désigner les représentants des partis politiques à cette assemblée
législative. Et sur quelle base ? C’était plus simple, de passer par les composantes à moins que cela ne cache des intentions de téléguidage.
Libreinfo.net : Le Président de la transition devient le Président du Faso. Quelle est votre appréciation ?
Athanase Boudo : Le Front Patriotique estime que l’Etat que nous avons hérité du colonialisme est obstacle à la démocratie, au développement, à l’épanouissement social, culturel, économique et politique des populations.
Il nous faut impérativement le déconstruire et nous engager dans sa reconstruction sur de nouvelles bases. A ce défi majeur, s’ajoute la crise terroriste et son lot de conséquences.
Nous sommes donc bel et bien dans une situation que seul un régime de Transition constitue la réponse appropriée. Le statut du premier responsable est celui de Président de la Transition et non pas celui de Président du Faso qui se réfère plutôt au Chef d’Etat dans une situation de normalité.
Libreinfo.net : Par voie de presse, à plusieurs reprises, vous avez fait des propositions à la transition. Pourquoi ne rencontrez-vous pas le chef de l’État pour en discuter ?
Athanase Boudo : Je voudrais par cette entremise rassurer vos lecteurs et par ricochet le Peuple tout entier que c’est à défaut d’avoir des audiences auprès des Autorités de la Transitions que nous sommes contraints souvent de faire des déclarations et des lettres ouvertes. Ces demandes d’audience ont été adressées aussi bien au Premier Ministre qu’au Président de la Transition mais sans suite.
Libreinfo.net : Accepteriez-vous une invitation de dialogue du chef de l’Etat ?
Athanase Boudo : Notre pays le Burkina Faso vit un tournant jamais vécu dans son histoire nationale. C’est pourquoi le Front patriotique s’inscrit dans une démarche de co-construction, convaincu que c’est dans une fédération des intelligences et dans un élan patriotique que nous trouverons notre salut, celle de l’espoir et d’une renaissance de notre Nation. Partant de ce postulat, toute opportunité de dialogue, surtout avec celle ayant en charge de la conduite de notre Transition sera saisie.