Où en est le Burkina dix ans après l’insurrection populaire de 30 et 31 octobre 2014 ? La question est d’importance d’autant que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Mais ces dates, qui constituent l’épilogue d’un long feuilleton sociopolitique, reste des repères incontournables dans l’histoire du pays. Arrêt mémoriel sur ces jours de braise qui ambitionnaient de poser les fondations du Burkina nouveau…
« Il y a des instants dans la vie des peuples et des nations où le silence est plus expressif que la prise de parole. Ces moments de grande douleur que nous vivons en font partie.
Les manifestations violentes qui ont endeuillé et plongé notre peuple dans la stupeur n’honorent pas le pays des Hommes intègres, mais j’ai entendu le message, je l’ai compris et pris la juste mesure des fortes aspirations de changement.
Aussi, voudrais-je présenter mes condoléances les plus attristées aux familles éplorées et souhaiter un prompt rétablissement aux nombreux blessés. » Ainsi s’exprima Blaise Compaoré, alors président du Faso, le 30 octobre 2014.
Cette prise de parole, plutôt inaudible, de celui qui dirigeait le pays depuis le 15 octobre 1987 venait sanctionner plusieurs jours de manifestations dans la quasi-totalité des grandes villes du Burkina. Et ce fut aussi la dernière sortie du président Blaise Compaoré puisque le mouvement insurrectionnel qui s’est déclenché à cette occasion a conduit à sa démission le lendemain, 31 octobre 2014.
Sa promesse d’ouvrir « des pourparlers pour une période de transition à l’issue de laquelle je transmettrai le pouvoir au président démocratiquement élu » a fait flop !
Manifestement, le président Blaise Compaoré avait… « entendu et compris le message » trop tard ! Si bien que sa décision de « retirer le projet de loi contesté et de procéder à son annulation » afin de permettre à « l’opposition politique, la société civile et la majorité de renouer le fil du dialogue dans la sérénité », ainsi que les mesures subséquentes qu’il a annoncées, n’ont pas changé le cours des évènements.
Le pouvoir est tombé, Blaise Compaoré a dû quitter le pays et les hourras ont essaimé un peu partout en Afrique, saluant ce qu’on a appelé la Ouag’Attitude !
Révolte et ras-le-bol général
C’était il y a dix ans et la révolte était au cœur de cette insurrection, orientée principalement contre la modification de l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux quinquennats consécutifs le mandat du président du Faso.
De la révolte, mais aussi un ras-le-bol général contre les dérives d’un pouvoir presque trentenaire. Cette révolution de la rue — qui aura fait 33 personnes tuées et 625 blessés — était en effet aussi l’expression d’un profond désappointement contre plusieurs années de frustrations contenues, de dilatoires, de monopolisation de la vie publique et politique.
Alors que les députés de l’Assemblée nationale, dominée par les élus du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), s’apprêtaient à décadenasser le verrou de limitation des mandats présidentiels, des Burkinabè ont estimé que le pouvoir du peuple doit arrêter le… pouvoir de s’éterniser au pouvoir.
Après plusieurs coups de semonces à travers diverses manifestations, les « insurgés » ont pris d’assaut, le 30 octobre 2014, le siège du Parlement qu’ils ont réduit en cendres.
Un épilogue violent qui est venu sanctionner, suite à la démission, le 31 octobre, du président du Faso, un long chapelet de démonstrations de force d’un côté comme de l’autre, avec des « meetings recto-verso » assortis parfois d’intercalaires !
« Coup d’État constitutionnel »
On se rappelle spécifiquement du grand rassemblement organisé le 28 octobre 2014 par l’opposition burkinabè.
Une foule immense était dans les rues de Ouagadougou ce jour-là pour protester contre l’amendement de l’article 37 de la Constitution, annoncé le 21 octobre à travers un projet de loi qui devait être adopté par le Parlement le 30 octobre. Pour les manifestants, il s’agit ni plus ni moins d’un « coup d’État constitutionnel », un de plus, et cette réforme ne pouvait pas passer.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en effet la quatrième République, matérialisé par l’adoption, le 11 juin 1991, d’une nouvelle Constitution au Burkina Faso connaît bien des soubresauts.
Tel un roseau qui plie mais qui ne rompt pas, elle tient encore lieu aujourd’hui, 33 ans après son adoption, de Loi fondamentale du pays. Cependant, cette Constitution a été révisée à plusieurs reprises, bistourisée selon les envies et les intérêts personnels du moment.
Elle a ainsi été retouchée à six reprises entre 1991 et 2015, notamment en janvier 1997, en avril 2000, en janvier 2002, en avril 2009, en mai et en juin 2012, et enfin en novembre 2015.
Ah, ce fameux article 37 de la Constitution !
Il est important de noter ici les ressorts de l’article 37 de cette Constitution, qui a été modifié à deux reprises et dont le refus d’une troisième modification a principalement conduit aux évènements de fin octobre 2014.
La première désarticulation de ce fameux article intervient en effet avec la loi constitutionnelle du 27 janvier 1997, qui supprime la limitation des mandats en gardant sa durée initiale de sept ans, tel que prescrit par la Constitution du 2 juin 1991.
Ensuite, suite au tollé général qui a salué l’assassinat, le 13 décembre 1998, du journaliste Norbert Zongo, et conformément aux recommandations du Collège de sages, l’article 37 de la Constitution du Burkina est à nouveau révisé par la loi du 11 avril 2000.
La loi n’étant pas rétroactive et grâce à un consensus politique, Blaise Compaoré, au pouvoir depuis le 15 octobre 1987, ne pouvait exercer que deux quinquennats à partir de 2005.
C’est donc la volonté de déroger à cette obligation en initiant une nouvelle modification pour tordre à nouveau le cou à la limitation qui a mis le feu aux poudres en octobre 2014.
Cet article a d’ailleurs finalement été verrouillé par la modification constitutionnelle de 2015 qui précise qu’en aucun cas, « nul ne peut exercer plus de deux mandats de Président du Faso consécutivement ou par intermittence ».
Ultimatums et entêtement…
Pourtant, les pouvoirs publics auraient pu éviter les violences de fin octobre 2014, dans les starting-block depuis 2013, s’ils avaient su écouter les récriminations qui montaient de toutes parts. Que de signes précurseurs ont semé le parcours avant les 30 et 31 octobre 2014 du « dégagisme » !
L’opposition a ainsi organisé une série de marche-meetings, notamment les 18 janvier et 23 août 2014 pour inviter le président Blaise Compaoré à surseoir à son projet de modification de l’article 37 de la Constitution.
Des meetings ont également eu lieu à Bobo-Dioulasso, à Dori et à Kaya, alors que plusieurs pontes du parti au pouvoir ont quitté, début janvier 2014, le navire du CDP.
Mais comment oublier, en plus, la manifestation monstre organisée, le 27 octobre 2014, par Saran Sérémé et plusieurs femmes, qui ont exprimé leur opposition au charcutage constitutionnel envisagé à travers ce qu’on a appelé « la révolte des spatules » ! Et comme pour enfoncer le clou, les syndicats ont appelé à une grève générale dès le 29 octobre 2014.
Redessiner la perspective
Dix ans après, on n’oublie pas les violences qui ont caractérisé ce changement de cap, ni la promesse d’une nouvelle ère, plus démocratique, plus inclusive, plus prospère pour le pays.
Malheureusement, les petits sifflets de « Allons seulement » et les trompettes de « Plus rien ne sera comme avant » ont finalement exécuté une symphonie brouillonne de « Où allons-nous ? »
Les défis sécuritaires, la reprise économique et la gouvernance globale ont plongé le pays dans une apoplexie sur des sentiers de la désespérance. Au point qu’il a fallu pas moins de deux coups d’État, en 2022, pour tenter de redresser la barre.
Dix ans après le formidable espoir d’octobre 2014, il faut sans doute œuvrer de concert, main dans la main pour… redessiner la perspective dans la perpétuelle quête du mieux-être et du mieux vivre-ensemble !