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Burkina Faso : Regard sur le système éducatif

Ceci est une tribune du Dr Salifou Idani, Chevalier de l’Ordre national et Officier de l’Ordre des Palmes académiques. Il est enseignant-chercheur en histoire à l’Université Norbert Zongo de Koudougou.

« Le Directeur de l’Agence Nationale de Recrutement de l’Etat, a tout récemment justifié à la Télévision Nationale Burkina (TNB) qu’il n’y a pas baisse de postes à pourvoir dans la fonction publique comme le laisse croire l’opinion publique. Il a justifié ses propos en disant qu’il s’agit plutôt du souci de rationnement de la gestion du personnel déjà en place.

En plus claire, il y a un pléthore d’agents qui ne font pas le travail pour lequel ils sont recrutés. Parmi le trop plein de personnel, il y a celui du secteur très sensible de l’éducation que je connais le plus pour avoir servi dans les différents ordres d’enseignement et dans dans plusieurs régions du Burkina Faso

Le système éducatif burkinabé est marqué par un déséquilibre dans la répartition spatiale des infrastructures de même que le personnel enseignant. La région de l’Est et d’autres comme le Sahel connaissent un déficit chronique en personel enseignant dans les différents palliers de l’éducation et la formation.

Si de par le passé des localités comme Bogandé, Gorom-Gorom, Batié ou Diapaga étaient redoutées soit par leur enclavement, soit de leur éloignement de la capitale, de nos jours des provinces voir des régions entières sont redoutées à cause de l’insécurité qui sévit.

A l’orée des assises nationales sur l’éducation, il nous semble nécessaire de revenir sur certaines propositions que nous avons faites en 1989 au cours des “journées de réflexions sur l’enseignement au Burkina Faso” au vu du contexte actuel mais avant, nous allons faire le constat. Nous jetons notre regard sur l’enseignement de base en particulier car c’est le fondement, le socle, la fondation de tout le système éducatif.

constats

Le Directeur général de l’Agence de recrutement sait de quoi il parle. Nous les citoyens nous constatons de quoi il parle sans s’émouvoir. En effet, dans la province du Kadiogo, il y a un pléthore d’enseignants suppléants et dans les autres grands centres que l’Etat a des difficultés à déployer dans les zones à fort déficit d’enseignants où les classes restent vacantes sans maîtres.

Il y a vraiment un sérieux problème que nous devons prendre à bras le corps si nous voulons garantir un développement équilibré de notre pays source de stabilité et de cohésion sociale. A titre illustratif, nous nous appesentirons sur le cas de la province de la Gnagna où nous avons servi de 1987 à 1989 d’abord à l’école primaire de Kongaye commune rurale de Piéla en qualité d’Elève Instituteur Adjoint (EIA) puis au CEG de Bogandé comme enseignant du post-primaire. Quel constat avons-nous fait durant notre séjour?

Le corps enseignant de l’éducation de base était composé en majorité des appelés du Service National Populaire (SNP). En général c’était de jeunes admis aux différents concours de la fonction publique titulaires au moins du BEPC.

En réalité on les envoyait juste pour “meubler” les classes laissées vacantes plusieurs années avant de rejoindre leurs structures de formations professionnelles (ENSP pour les agents de la santé, ENEF de Dinderesso pour les Eaux et Forêts, Ecoles de gendarmerie, de police…..) ou encore des étudiants en fin de cycle.

La plupart du temps ces éléments qui ont fait auparavant une formation militaire à Bobo-Dioulasso passait tout le temps à chanter avec les élèves les chants appris au camp militaire.

En ce qui concerne les quelques enseignants de métier, il y a ceux qui estimaient que leur présence dans la Gnagna est une sanction voire une peine qu’ils purgent dans cette circonscription. En effet, on retrouvait les enseignants licenciés pour fait de grève dont certains leaders syndicaux.

Pour ce qui est de l’encadrement, la Circonscription de l’enseignement de base (CEB) avait une ancieneté de cinq (05) ans. En cette année 1987, la CEB était à son cinquième Inspecteur et cinquième Conseiller pédagogique itinérant (CPI).

En réalité tous ceux qu’on affectait dans la province tentaient de faire annuler la décision d’affectation et s’ils ne parvenaient pas, ils rejoignaient malgré eux leur poste, juste pour prendre service et revenir s’installer en ville. Les motifs les plus avancés étaient leur état de santé ou de leurs proches.

Pire, certains adoptent des comportements inadmissibles voir indécents pour attirer la colère de leurs supérieurs juste pour se faire “chasser” de la Gnagna car pour ces derniers c’est partout ailleurs sauf la Gnagna. Ce sont des faits et gestes que nous avons observés et vécus dans cette partie du Burkina Faso.

Quels résultats devons-nous attendre de tels enseignants et encadreurs pour une éducation de qualité? Absolument rien. C’est l’avenir de beaucoup d’enfants qui a été sacrifié.

De nos ce n’est plus l’enclavement ou l’éloignement des localités de la capitale que les agents de l’Etat redoutent mais c’est surtout l’insécurité qui règne dans plusieurs régions qui amènent plusieurs agents à abandonner leur poste. Certes, nous comprenons les préoccupations des uns et des autres mais il va valoir trouver des solutions afin d’épargner des milliers d’enfants de l’ignorance et de l’analphabétisme.

En effet, le droit à l’éducation est reconnu par la constitution, la loi d’orientation de 2007 et les différents textes ratifiés sur le plan international notamment celui de l’Education Pour Tous (EPT) issue de la conférence de Jomtien en Thaïlande en 1990. Mais que faire?

 Propositions de solutions

Pour des résultats probants de l’enseignement dans les zones redoutées, l’enseignant doit être psychologiquement et mentalement prêt à servir et aimer les enfants, espoir de demain. C’est pourquoi nous avons fait des suggestions en 1989.

Au regard des faits observés dans la province de la Gnagna, nous avons proposé au cours des journées de reflexion sur l’enseignement au Burkina Faso que le recrutement se fasse par province sans pourtant mentionner que les postes sont réservés aux ressortissants de circonscription.

Ainsi, on aura un personnel volontaire et psychologiquement préparé qui pourra donner de bons résultats par rapport à un enseignant chevronné muté pour necssité de service qui brille par son absence toute l’année.

En son temps nous n’avons pas été compris pour cette idée de provincialisation du recrutement. Cependant par la suite les autorités ont introduit un critère important pour les nouveaux enseignants à savoir “servir au moins six (06) ans en milieu rural”.

La conséquence de cette mesure est que des localités environnantes des grands centres urbains comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso sont prises d’assaut tandis que de nombreuses écoles de l’intérieur du pays sont restées sans maître. Nous estimons que c’est au regard de ce nouveau constat que les gouvernants ont opté pour la régionalisation des recrutements. Là encore, les jeunes demandeurs d’emploi choisissaient les régions où le nombre de postes ouverts est élevé pour avoir la chance d’être parmi les admis avec le secret espoir de se faire redéployer dans sa zone de prédilection.

En plus, les recrutés entendent le plus souvent restés dans le chef-lieu de la région. Cette expérience n’a pas non plus abouti au regard des résultats escomptés et a même été abandonnée.

Et pourtant, juste après l’indépendance de la Côte-d’Ivoire, Houphouet Boigny constatant que les Ivoiriens avaient peu d’intérêt à enseigner dans le Nord du pays avait fait appel aux Volaïques, Maliens, Dahoméens de l’époque pour assurer l’éducation dans cette partie de son pays. Et lorsqu’il y a eu l’amélioration des conditions de vie, de travail avec en sus le développement des infrastructures économiques et sociales, les Ivoiriens ont commencé à s’intéresser à ces zones.

Dès lors, les autorités ont procédé à l’ivoirisation des cadres en employant leurs compatriotes. Tout compte fait, l’apport de ces enseignants étrangers est inestimable car ils ont largement contribué à la formation de nombreux jeunes qui ont par la suite occupé de hautes fonctions et participent au développement de leur pays.

De nos jours, même si l’insécurité venait à être éradiquée, la psychose va toujours persister dans les esprits de nombreux citoyens à tel enseigne qu’une affectation d’agents pour nécessité de service dans certaines zones sera considérée comme une volonté manifeste de l’envoyer à l’abattoir. Cet état de fait perdure de plus en plus à cause de l’effritement de la fibre patriotique.

C’est pourquoi il est indéniable de minimiser au maximum les affectations pour nécessité de service dans les zones où les agents publics sont réfractaires et privilégier le volontariat surtout dans le secteur de l’éducation clé de voûte de tout développement.

C’est pourquoi, nous faisons des propositions de réflexion à l’opinion publique pour les prochaines assises sur l’éducation qui doivent porter sur des réformes à même d’adapter le système éducatif à nos réalités nationales. Elles tournent autour des points suivants :

– Le recrutement des enseignants au niveau provincial comme proposé en 1989 et si besoin au niveau communal mais ouvert à tous les compatriotes du pays quel que soit sa région d’origine. L’objectif est de sauver les milliers d’enfants qui errent dans la nature sans accès au système éducatif surtout dans les zones à fort déficit sécuritaire;

– Le BEPC à défaut du baccalauréat comme diplôme pour prendre part au concours de recrutement d’instituteurs en lieu et place de professeurs des écoles dans les zones concernées. De par le passé, il y avait divers types d’enseignants du primaire (moniteurs d’école, instituteurs adjoints….);

– Faire appel aux enseignants admis à la retraite qui souhaitent servir dans les zones concernées ;

– Faire appel le cas échéant aux compétences de pays étrangers qui veulent servir dans les zones concernées ;

– Le cas échéant, construire des internats dans les chefs-lieux de communes ou de provinces qui accueiliront les élèves des villages en difficulté comme ce fut le cas durant la période quand on avait construit des cantines scolaires dans les chefs-lieux de cercle pour accueillir les enfants venant des cantons de la circonscription administrative..

En conclusion, toutes ces propositions ont pour objectif d’apporter notre contribution à une gestion rationnelle du personnel éducatif pour obtenir des résultats escomptés. En réalité on recrute dans l’enseignement non pas pour résorber le chômage, mais pour apporter le savoir et la connaissance jusque dans les régions voire dans les hameaux les plus reculés.

Du reste les efforts que consentent l’Etat et les partenaires techniques et financiers (PTF) visent un même objectif à savoir éliminer le plus rapidement possible l’analphabétisme et l’ignorance dans notre pays, véritable cause du délabrement du tissu social de notre pays.

Nous plaidons pour une discrimination positive en faveur des zones à difficultés sécuritaires car avec les transferts de compétences vers les collectivités territoriales, il est certain que la gestion du personnel éducatif peut être efficace et bénéfique pour les enfants des différentes communes.

Le recrutement au niveau régional, provincial, voire communal peut s’étendre à l’enseignement post-primaire et secondaire; à la santé voire à d’autres corps de métiers. Une formation militaire des jeunes agents publics est vivement recommandée.

L’essentiel est qu’on recrute un personnel volontaire, engagé et déterminé. le processus normal de recrutement pourrait reprendre son cours normal une fois le retard de développement de ces zones comblé par des investissements spéciaux car comme le soulignait feu Houphouet Boigny “la lutte contre le terrorisme passe par la lutte contre la pauvreté et le sous-développement”».

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