À 27 ans, S.I, orpailleur et célibataire sans enfant, a été mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes et financement du terrorisme. Le 23 août 2024, il a comparu devant les membres du Pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme. Libreinfo.net a assisté à son procès au terme duquel il a été condamné à 21 ans de prison ferme, dont 15 ans de sûreté, et à une amende ferme de 2 millions de francs CFA.
Par Nicolas Bazié
S.I est polyglotte. Il comprend plusieurs langues dont le fulfuldé, le mooré, le français et le gulmancéma. Son profil a intéressé des terroristes présumés dans la région de l’Est du Burkina.
Un jour, alors qu’il était sur un site d’orpaillage, des terroristes, dont certains connaissaient S.I bien avant, y font irruption. Là, ils revenaient faire des prêches et c’est S.K qui est devenu leur interprète.
Que ce soit en enquête préliminaire, lors de son audition devant le magistrat instructeur ou encore à la barre, le mis en examen a reconnu les faits qui remontent à 2023.
Devant le Tribunal, S.I révèle qu’au début, les terroristes ont pointé une arme sur sa tête et lui ont demandé de traduire leurs prêches. « Si tu refuses, ils peuvent te tuer. Ils ont eu à tuer des gens devant nous sur le site d’orpaillage. Cela m’a fait peur. C’est pourquoi je traduisais tout ce qu’ils disaient ; je n’avais pas le choix», dit-il.
Dans les prêches, poursuit le prévenu, les terroristes disaient de porter des pantalons sautés, de laisser leur barbe et de prier. « Quand ils reviennent sur le site et qu’ils remarquent que quelqu’un n’a pas prié, la personne avait tous les problèmes », témoigne-t-il.
Les enquêtes renseignent que S.I prélevait la zakat (impôt en islam) pour les terroristes. En l’espèce, lorsque les orpailleurs gagnaient 10 sacs de minerai, ils devraient enlever un sac déposer de côté.
Les terroristes venaient chercher le minerai pour aller le traiter et le vendre. S.I reconnaît avoir donné jusqu’à 10 sacs de 50 kg de minerai aux extrémistes. Le juge fait noter que c’est avec cet argent du minerai vendu que les terroristes achètent leurs motos, se nourrissent et font tout. « Je ne savais pas cela », se désole le prévenu.
Les enquêteurs ont également indiqué que S.I était un informateur des terroristes. Ce qu’il n’a pas nié à la barre. Bien au contraire, il donne plus de précisions.
À ses dires, les terroristes lui ont proposé d’être leur informateur. Cela consistait à leur signaler la position des Forces de défense et de sécurité (FDS).
Les terroristes, selon le prévenu, lui ont promis 1 million de francs CFA pour ce travail. Ce qu’il a accepté, déclarant qu’il cherchait à manger.
« Donc, vous c’est l’argent ou rien qui vous intéresse ! Le reste ne vous regarde pas. Le fait que les terroristes tuent les gens n’est pas votre affaire tant que vous gagnez de l’argent », a fait observer le juge qui parle de recherche effrénée de l’argent.
Pour le Tribunal, S.I n’était pas obligé de collaborer avec les terroristes. Il pouvait cesser d’aller sur le site d’orpaillage puisqu’il dormait dans la ville de Fada et partait travailler sur ledit site.
Il est à noter que le prévenu pouvait se déplacer en toute quiétude. Les pièces de son dossier révèlent même qu’il partait prendre du carburant à crédit et les terroristes venaient regler la facture. Ce qui, visiblement, n’a pas suffit à S.I car, 5 mois après, il a mis fin à sa collaboration avec les terroristes. « Même 1 F CFA, ils ne m’ont pas payé », affirme le prévenu.
Durant sa collaboration avec les malfaiteurs, et selon les résultats de l’enquête préliminaire, S.I a revendu l’une de ses motos à un terroriste à 375 000 francs CFA. Il avait acheté la moto à 150 000 FCFA.
Il ressort que le terroriste a manifesté sa volonté de s’acheter une grosse moto. Il remet 675 000 FCFA à S.I pour qu’il puisse lui trouver une moto dans la ville de Fada. Cependant, une fois là-bas, le commerçant dit à S.I d’aller prendre d’abord une autorisation à la mairie. Ce qu’il n’a pas fait et est reparti remettre l’argent à son propriétaire.
Mais, comme S.I avait deux motos, le terroriste lui demande de lui céder un de ses engins. C’est ainsi qu’est intervenue la vente. « Vous avez décidé de façon délibérée de travailler avec les terroristes. Personne ne vous a contraint», a dit le juge, s’adressant au prévenu.
Selon le procureur, les vrais terroristes sont les informateurs et ceux qui financent les groupes armés. « C’est votre cas. Vous êtes aussi un terroriste. Vous savez pertinemment ce que vous faites », a lancé le procureur, soutenant que S.I avait aussi la possibilité de dénoncer les terroristes.
D’après lui, il y a suffisamment d’éléments pour maintenir S.I dans les liens de la prévention et le déclarer coupable d’association de malfaiteurs terroristes et de financement du terrorisme. C’est pourquoi il a requis contre lui une peine d’emprisonnement de 21 ans fermes dont 15 ans de sûreté et une amende ferme de 2 millions de francs CFA. Ce que le tribunal a suivi à la lettre.