Dr Maxime Kaboré est un burkinabè vivant en Belgique depuis plusieurs années. Il est l’un des rares burkinabè à se présenter à la présidentielle de 2010 contre l’ancien président du Faso Blaise Compaoré. Depuis lors, Dr Maxime Kaboré apporte régulièrement son analyse sur l’actualité socio-politique et économique du Burkina Faso. Dans cet entretien qu’il a accordé à Libreinfo.net, monsieur Kaboré apporte son analyse sur la situation sécuritaire, humanitaire et politique.
Libreinfo.net: Cela fait des mois que l’on ne vous entendait plus, comment se porte aujourd’hui Dr Maxime Kaboré ?
Dr Maxime Kaboré: Je vous remercie de me poser la question. Je me porte très bien par la grâce de Dieu, même si j’ai été moins visible publiquement ces derniers mois. J’ai continué à être très actif et surtout au Burkina, notamment à travers mes enseignements et mes contributions aux réflexions stratégiques sur les enjeux critiques de notre nation.
J’ai consacré ce temps à une analyse approfondie des dynamiques nationales et régionales, dans le but d’identifier les meilleures voies pour contribuer de manière constructive à l’avenir du Burkina Faso.
Mon engagement envers notre pays est resté intact, et je demeure résolu à œuvrer pour un Burkina Faso plus fort et plus résilient. En tant qu’enseignant-chercheur, j’ai continué à faire un travail d’observation et d’analyse de la dynamique actuelle dans notre pays.
J’ai publié des articles scientifiques dans des revues internationales sur la dynamique politique du pays. Comme vous pouvez le voir, mon emploi du temps est bien rempli, mais mon cœur reste toujours tourné vers le Burkina Faso.
Libreinfo.net: Vous avez invité les Burkinabè à faire d’une réussite les travaux des assises nationales le 25 mai dernier. Êtes-vous satisfait des conclusions de ces assises ?
Dr Maxime Kaboré: D’abord, mon appel est guidé par ma vision selon laquelle quand les Burkinabè sont unis, ils peuvent relever le défi de la sécurité et du développement. Suivant ma conviction, dans cette situation difficile d’insécurité, les fils du pays doivent se mettre ensemble pour relever le défi. C’est le sens de mon appel.
Les assises nationales ont effectivement marqué un tournant décisif pour notre pays. Elles ont permis à toutes les composantes de la société burkinabè de se réunir et de s’exprimer librement sur les questions essentielles qui touchent notre avenir commun.
Les recommandations formulées sont pertinentes et prometteuses, mais elles ne représentent qu’une première étape. La véritable mesure de leur succès résidera dans notre capacité collective à les traduire en actions concrètes et durables, particulièrement en matière de réforme institutionnelle, de gouvernance transparente et de justice sociale.
Les conclusions de ces assises sont certes encourageantes, mais le plus grand défi demeure leur mise en œuvre effective, pour apporter un changement réel et positif dans la vie des citoyens.
L’avenir de notre pays réside dans notre aptitude à nous rassembler autour de l’essentiel : restaurer notre fierté d’être Burkinabè, dans un pays en paix et en sécurité. Nous devons réussir ensemble, et pour cela, chacun de nous doit faire preuve de dépassement de soi et mettre l’intérêt supérieur du Burkina Faso au-dessus de tout.
Comme l’a si bien dit Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. » Ce message est d’une pertinence absolue pour notre situation actuelle.
La haine, le rejet de l’autre, la vengeance ou la violence ne sont pas des fondements sur lesquels il faut bâtir une nation durable. Nous devons privilégier la solidarité, la réconciliation et le dialogue pour construire un Burkina Faso uni et prospère.
C’est donc dans cette perspective que s’inscrit mon appel non seulement à participer aux travaux des assises, mais aussi à la mise en œuvre des décisions prises.
Libreinfo.net: La situation nationale du Burkina reste préoccupante en matière de sécurité. Comment appréciez-vous la lutte contre le terrorisme ?
Dr Maxime Kaboré: La lutte contre le terrorisme est sans aucun doute l’un des défis les plus complexes et urgents auxquels notre pays est confronté. Le gouvernement a déployé des efforts significatifs pour y faire face, notamment en renforçant les capacités opérationnelles de nos Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et en mobilisant les Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP), tout en établissant des alliances stratégiques avec d’autres pays de la région.
Je tiens à saluer une fois de plus nos vaillantes FDS et nos braves VDP qui, avec courage, abnégation et détermination, accomplissent leur devoir au quotidien pour assurer notre sécurité, souvent au prix du sacrifice suprême.
Des changements sont observables à travers le renforcement des effectifs et l’équipement des forces combattantes. De nombreux Bataillons d’Intervention Rapide (BIR) ont été créés et implantés dans des zones qui manquaient de forces de défense et de sécurité. Ainsi, au niveau militaire, on voit qu’il y a du changement.
Cependant, il est crucial de reconnaître que la réponse militaire, bien qu’essentielle, ne peut à elle seule éradiquer ce fléau. Le terrorisme est un phénomène complexe qui se nourrit de multiples facteurs, notamment économiques, sociaux et politiques. Pour y faire face efficacement, nous devons adopter une approche globale et multidimensionnelle.
Il est essentiel d’adopter une approche inclusive qui engage toutes les couches de la société burkinabè — des autorités locales aux acteurs de la société civile, en passant par les partenaires internationaux.
Il est impératif d’investir davantage dans le développement économique local pour offrir des opportunités et réduire la marginalisation, de promouvoir l’éducation de nos jeunes afin de contrer les idéologies extrémistes, de renforcer la justice sociale pour répondre aux frustrations légitimes des populations, et de favoriser la réconciliation entre communautés pour surmonter les divisions internes.
À ce niveau, je voulais aussi saluer les différentes initiatives présidentielles dont l’objectif est d’améliorer les conditions de vie des vaillantes populations des villes et des campagnes. Leurs résultats pourront aider à donner des sources de revenus à des populations, comme c’est le cas de l’Offensive agro-sylvo-pastorale.
Libreinfo.net: Deux ans après l’arrivée du Capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, quel est pour vous le fait marquant de ce régime ?
Dr Maxime Kaboré: Le fait marquant de ce régime est, sans aucun doute, son orientation résolument souverainiste et son ambition affirmée de redonner au Burkina Faso une indépendance politique et une autonomie stratégique accrues.
Le Capitaine Ibrahim Traoré a pris des mesures audacieuses pour réformer en profondeur nos forces de défense et de sécurité, cherchant à renforcer leur efficacité opérationnelle tout en améliorant le moral des troupes.
En parallèle, il a engagé une lutte déterminée contre la corruption. Ces deux années ont été marquées par une volonté claire de rompre avec des pratiques antérieures qui avaient contribué à affaiblir l’État et à réduire sa capacité à répondre aux aspirations de son peuple.
Ce qui ressort de ces deux années, c’est une volonté forte de diversifier les alliances diplomatiques et économiques, de redéfinir nos partenariats stratégiques, et de réaffirmer la souveraineté nationale face aux pressions extérieures.
Cette période marque sans conteste une nouvelle étape dans la quête du Burkina Faso pour une gouvernance plus résiliente et plus transparente. Néanmoins, le chemin vers une stabilité durable et un développement inclusif reste semé d’embûches.
L’enjeu est maintenant de transformer cette volonté politique en actions concrètes qui amélioreront réellement la vie de nos concitoyens et consolideront les bases d’une nation plus forte et plus solidaire.
Libreinfo.net: Faut-il continuer avec la même stratégie de lutte contre le terrorisme ou envisager d’autres options
Dr Maxime Kaboré: La stratégie actuelle de lutte contre le terrorisme, bien qu’elle ait montré des résultats dans certaines zones, mérite d’être régulièrement réévaluée et ajustée en fonction des réalités mouvantes du terrain.
Il est important de reconnaître que la réponse militaire, bien que nécessaire, ne peut à elle seule résoudre un problème aussi complexe et enraciné. Nous devons aller au-delà de cette approche pour adopter une réponse plus intégrée et globale, qui prenne en compte les causes profondes du terrorisme, telles que l’exclusion sociale, le sous-développement économique, et les tensions intercommunautaires.
Pour être plus efficace, il est essentiel de diversifier les stratégies en y incluant des mesures de prévention et de résilience au niveau local : renforcer le dialogue avec les leaders communautaires, investir dans l’autonomisation économique des populations les plus vulnérables, et développer des programmes de déradicalisation et de réintégration qui tiennent compte des contextes locaux.
De plus, la coopération régionale doit être intensifiée et même au-delà des pays du Sahel, non seulement par le partage d’informations et de renseignements, mais aussi à travers une meilleure coordination des efforts de stabilisation et de développement.
Aujourd’hui, le terrorisme se nourrit de problèmes transnationaux et il faut le traiter aussi dans ce sens. Nous devons également travailler en étroite collaboration avec les partenaires internationaux, tout en veillant à ce que cette coopération respecte pleinement notre souveraineté et nos priorités nationales.
Il s’agit de construire une réponse à plusieurs niveaux où l’effort militaire est complété par une diplomatie proactive, une politique de développement inclusive, et une mobilisation communautaire.
L’objectif est de priver les groupes extrémistes de leur soutien local et de construire les bases d’une paix durable, en faisant en sorte que chaque action contribue à la stabilité à long terme de notre pays.
Libreinfo.net: Les activités des partis politiques sont suspendues depuis septembre 2022. Est-ce que vous regrettez cette décision du Président Ibrahim Traoré ?
Dr Maxime Kaboré: La suspension des activités des partis politiques est une mesure drastique, mais qui a été prise dans un contexte de crise sécuritaire aiguë. Cette décision, bien que difficile, a pu apparaître comme nécessaire pour préserver l’unité nationale et éviter des divisions internes en période de grande fragilité.
Cependant, il est essentiel que cette suspension soit strictement temporaire. Le pluralisme politique constitue l’un des piliers d’une démocratie solide, garantissant la diversité des opinions, le débat d’idées et l’engagement citoyen dans la vie publique.
Je comprends les motivations qui ont conduit à cette décision, mais je plaide fermement pour un retour progressif à la normalité politique dès que la situation sécuritaire le permettra. La participation active des partis politiques est indispensable pour que chaque citoyen puisse pleinement exercer ses droits et contribuer à la construction d’un Burkina Faso plus fort et plus résilient.
La démocratie ne doit jamais être vue comme un obstacle, mais plutôt comme un levier de transformation positive, capable de mobiliser toutes les énergies pour faire face aux défis les plus complexes de notre nation.
En ce sens, je ne regrette pas cette décision ; je la comprends, car elle a été prise dans un contexte d’urgence. Toutefois, il est crucial que, même dans l’adversité, nous restions fidèles aux principes démocratiques en rétablissant progressivement les droits politiques de chaque Burkinabè.
Le rétablissement de la Constitution, qui demeure notre loi fondamentale, doit s’accompagner d’un effort collectif de tous les acteurs politiques pour en faire une réalité vivante et tangible, toujours dans le respect de l’intérêt général. Cela nécessite que les partis politiques eux-mêmes assument leur rôle et leur responsabilité dans ce processus de réconciliation nationale et de reconstruction.
Libreinfo.net: La situation humanitaire appelle à une solidarité agissante. Quel commentaire faites-vous ?
Dr Maxime Kaboré: La situation humanitaire au Burkina Faso est, sans aucun doute, alarmante et nécessite une mobilisation immédiate et collective. Nous faisons face à une crise sans précédent : des milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays, des communautés entières privées de leurs moyens de subsistance, et de vastes régions sous la menace constante de la violence.
Pour répondre à cette urgence, il est indispensable que toutes les parties prenantes — le gouvernement, la société civile, les organisations internationales, et les citoyens — unissent leurs efforts de manière coordonnée et soutenue.
La solidarité agissante ne peut pas rester au stade des discours ; elle doit se manifester par des actions concrètes et tangibles. Il faut distribuer des vivres et des produits de première nécessité, garantir l’accès aux soins de santé, protéger les personnes les plus vulnérables, et mettre en place des programmes de réintégration pour les déplacés.
Il est tout aussi vital de renforcer les infrastructures locales et de soutenir les initiatives communautaires qui encouragent la résilience et l’autonomie des populations.
Face à cette crise, il est impératif de démontrer une solidarité exemplaire, tant au niveau national qu’international. Il ne s’agit pas seulement de venir en aide aux plus vulnérables, mais aussi de préserver la cohésion sociale de notre pays.
Cependant, il sied de changer de fusil d’épaule en matière humanitaire. Il faut dépasser l’assistanat et évoluer vers un système d’aide qui permettre aux populations aujourd’hui en difficulté, de pouvoir par la suite se prendre en charge.
Libreinfo.net: Comment voyez-vous l’idée de la Confédération des pays de l’AES ?
Dr Maxime Kaboré: Pour moi, tout ce qui uni les peuples dans la recherche du développement est bien à soutenir. L’idée de la Confédération des pays de l’AES (Alliance des États Sahéliens) va dans ce sens, et elle est audacieuse.
Elle ouvre de nouvelles perspectives pour notre région. En renforçant l’intégration régionale, cette initiative pourrait permettre de mieux coordonner nos efforts sur des enjeux communs tels que la sécurité, le développement économique, et la coopération politique.
Dans un contexte international marqué par des rapports de force changeants, une telle confédération offrirait aux pays de l’AES un cadre pour développer une vision commune, mutualiser les ressources, et mieux défendre leurs intérêts sur la scène internationale.
Cependant, pour que cette confédération soit réellement efficace et durable, elle doit être construite sur une base de respect mutuel, de transparence, et de solidarité. Chaque État membre doit pouvoir y exercer sa pleine souveraineté, tout en acceptant de travailler ensemble sur des objectifs partagés.
En fin de compte, le succès de cette initiative dépendra de notre capacité à trouver un équilibre entre intégration régionale et préservation des identités et des priorités nationales et la résistance aux actions externes à la confédération.
Une telle confédération pourrait représenter une réponse innovante aux défis auxquels nous sommes confrontés, mais elle nécessitera une vision claire, un leadership fort, et un engagement sincère de toutes les parties prenantes.
Libreinfo.net: Comment qualifiez-vous le retrait des trois pays de la CEDEAO ?
Dr Maxime Kaboré: Le retrait de ces pays de la CEDEAO est une décision lourde de sens, qui traduit des tensions croissantes au sein de l’organisation régionale et une volonté affirmée de réaffirmer leur souveraineté face à ce qu’ils perçoivent comme des pressions extérieures inappropriées ou injustifiées.
Ce retrait marque une rupture avec des politiques considérées comme déconnectées des réalités locales et vise à explorer de nouvelles dynamiques de coopération plus adaptées aux besoins spécifiques de chaque État.
Toutefois, ce choix n’est pas sans risques, car il pourrait fragiliser l’unité régionale et affaiblir les mécanismes de coopération mis en place pour faire face à des défis communs tels que la sécurité, le développement économique, et la gestion des crises humanitaires.
Il est essentiel que ce retrait soit accompagné d’une volonté de maintenir des canaux de dialogue ouverts et constructifs avec les autres membres de la CEDEAO. Le Burkina Faso et les pays concernés doivent œuvrer pour que cette décision n’entraîne pas une fragmentation régionale, mais plutôt une opportunité de repenser et de renforcer les bases de la coopération régionale en faveur de la paix et de la prospérité partagée.
Libreinfo.net: Selon vous, la présence de la Russie au Sahel est-elle un avantage ou une menace ?
Dr Maxime Kaboré: La présence de la Russie au Sahel est une réalité complexe qui doit être appréhendée avec une analyse nuancée. D’un côté, cette présence peut offrir des opportunités de coopération en matière de sécurité, notamment à travers des programmes de formation militaire, de fourniture d’équipements, et de soutien logistique.
Cela peut renforcer les capacités des forces armées locales et diversifier les sources de partenariat, ce qui est crucial dans une lutte contre le terrorisme de plus en plus asymétrique.
Cependant, l’arrivée de la Russie dans la région peut également générer de nouvelles tensions géopolitiques, en créant une dynamique de compétition avec d’autres acteurs internationaux présents au Sahel, tels que les pays européens ou les États-Unis.
Cette compétition pourrait entraîner des risques de polarisation politique et de division régionale, compromettant les efforts de stabilisation en cours.
Pour le Burkina Faso et ses voisins, l’enjeu est de maintenir une politique étrangère indépendante et équilibrée, qui privilégie leurs intérêts nationaux sans se laisser enfermer dans des alliances exclusives ou des rivalités entre grandes puissances.
Il s’agit de tirer parti des opportunités offertes par les nouvelles coopérations tout en préservant une ouverture stratégique à divers partenaires.
Libreinfo.net: Politiquement et diplomatiquement, qu’est-ce que les trois pays de l’AES doivent faire dans l’espace AES et au-delà des frontières ?
Dr Maxime Kaboré: Pour consolider leur position dans l’espace AES et au-delà, les trois pays de l’AES doivent d’abord renforcer leur coordination sur les questions de sécurité, de développement économique, et de diplomatie.
Cela implique de développer des stratégies communes pour faire face aux menaces sécuritaires transfrontalières, telles que le terrorisme et le trafic illicite, et de mettre en place des projets économiques intégrés pour favoriser la croissance inclusive et le développement durable.
Sur le plan diplomatique, ils doivent travailler à établir des partenariats stratégiques avec d’autres régions et organisations internationales, en mettant en avant une diplomatie active et proactive fondée sur le respect mutuel et la solidarité régionale.
La promotion d’une politique de bon voisinage est également cruciale pour garantir la stabilité dans la région, en favorisant le dialogue et la coopération avec les États voisins et les partenaires continentaux.
En parallèle, ces pays doivent œuvrer à attirer des investissements étrangers directs en créant un climat favorable aux affaires, en améliorant la gouvernance, et en mettant en place des infrastructures nécessaires au développement.
Enfin, ils doivent promouvoir des initiatives qui répondent directement aux besoins des populations locales, en accordant une priorité aux programmes qui favorisent l’emploi, l’éducation, et l’amélioration des conditions de vie. Cela renforcerait leur légitimité et consoliderait la paix sociale à l’intérieur de leurs frontières et dans l’ensemble de la région.
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