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Les précurseurs de la presse écrite voltaïque sur le territoire de la Haute-Volta coloniale (1947-1960)

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Introduction

Cet article est une synthèse partielle d’une recherche que nous avons menée et publiée en 2021 dans la Revue d’Histoire contemporaine de l’Afrique sous le titre : «Les précurseurs de la presse écrite voltaïque (1947-1974). Itinéraires, rôles et trajectoires professionnelles». Il est une tentative d’historisation des premiers acteurs et des premiers titres de la presse écrite voltaïque édités en Haute-Volta durant la période 1947-1960. (L. Yaméogo, 2021).

Le choix de cette période tient à sa dimension doublement symbolique. L’année 1947 marque la reconstitution de la colonie de Haute-Volta après sa création en 1919 et son démantèlement suivi de sa répartition entre la Côte d’Ivoire, le Soudan français (actuel Mali) et le Niger en 1932.  Quant à 1960, elle marque la fin de la domination coloniale française et, donc, l’accession de la Haute-Volta à la souveraineté nationale et internationale.

Méthodologie

La recherche s’appuie sur l’examen de documents d’archives, de littérature secondaire, de récits de vie et de témoignages d’historiens des médias et d’anciens journalistes réalisés en 2020 à Ouagadougou.

Elle questionne également un corpus de presse constitué d’articles de journaux voltaïques de l’époque coloniale, même s’il a été difficile de retrouver tous les titres édités sous la Haute- Volta coloniale dans les centres d’archives du Burkina Faso.

Nous n’avons trouvé que quelques journaux édités au lendemain des indépendances à la bibliothèque du Centre National des Archives à Ouagadougou.  D’un point analytique, nous avons procédé, tout au long de la recherche, à une mise en regard et en perspective des sources écrites avec les sources orales par la méthode de triangulation.

Résultats 

  1. Les premières expériences de presse écrite sous la Haute-Volta coloniale

La Haute-Volta fait partie des pays de l’Afrique occidentale française (AOF) qui ont connu un retard dans l’éducation et l’alphabétisation ; cela a eu pour conséquence (en partie) une naissance tardive de la presse sur son territoire.

De plus, le démantèlement de la colonie et sa répartition entre la Côte d’Ivoire, le Soudan Français (actuel Mali) et le Niger avait entrainé la migration et l’établissement d’une partie de l’élite voltaïque dans ces territoires coloniaux voisins.

Lorsque la Haute-Volta devient une République autonome, en 1958 sous la direction de Maurice Yaméogo et de l’Union Démocratique Voltaïque (UDV-RDA), il n’existait pas de journal d’envergure sur son territoire. Seulement, quelques titres d’obédience politique, religieuse et syndicale à parution irrégulière existaient. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous reprenons dans ce tableau les premiers titres de journaux de l’époque.

Périodiques Type de publication Nom & prénom (s) du responsable éditorial
La Volta (juin 1949) devenu La Volta de demain (1950)  

Politique (Organe de l’Union Voltaïque)

Thomas Z. Ouédraogo, Gérant

Paul Nikyema, rédacteur

L’Observateur (mars 1955) Politique (organe indépendant) Frédéric F. Guirma, gérant
Le travailleur croyant devenu L’action syndicale (1956) Religieux (Centrale chrétienne du territoire de Haute-Volta) Animé par des syndicalistes croyants
Bulletin Quotidien d’Information de Haute-Volta (1957) Compilation de dépêches

Il est le premier quotidien du territoire, l’ancêtre de l’Agence Voltaïque de Presse (AVP) devenue Agence d’Information du Burkina (AIB)

 

Pierre Claver Tassembedo, rédacteur

La Voix des enseignants (1957) Syndical (Organe des instituteurs) Animé par des enseignants
L’Avant-garde voltaïque (juin 1958) Politique (Organe de la jeunesse voltaïque R.D.A) Blaise Nonguierma, directeur

Sounkalo Koné, gérant

Volta Presse (avril 1958) Politique (Organe des jeunes de la solidarité voltaïque) Joseph Conombo, directeur
Polycarpe Naré, rédacteur en chef
Carrefour Africain (mars 1959) Politique (Organe l’Union Démocratique voltaïque, la section RDA au pouvoir) Siré Bâ, premier directeur voltaïque

François Bassolet, rédacteur en chef

Pierre Claver Tassembedo, rédacteur

 

La plupart des promoteurs de ces titres ronéotypés n’avaient pas reçu de formation initiale en journalisme. « Ils n’étaient pas des journalistes, mais des débatteurs qui aimaient la plume », affirme un doyen de la presse écrite (entretien, 26 janvier 2020). Par exemple, Paul Nikiéma (1924-2006) de La Volta, organe de l’Union Voltaïque (UV), a d’abord été instituteur, agent de l’Administration générale, greffier, puis plusieurs fois ministre entre 1958 et 1965.

Sous le gouvernement de Maurice Yaméogo, il fut successivement ministre de la Jeunesse, des Sports, de la Formation technique et professionnelle, ministre de l’Enseignement primaire et secondaire, ministre des Finances, ministre de la Santé publique et, enfin, ministre à l’Information et au Tourisme (L’Observateur Paalga, 29 août 2006).

Frédéric Guirma (né en 1931) qui créa L’Observateur en 1955 (ne pas confondre avec L’Observateur d’Edouard Ouédraogo), est un des premiers diplomates voltaïques à bénéficier d’un stage au Quai d’Orsay.

Écrivain et homme politique, il a également exercé le métier d’enseignant. Il occupe en 1959 le poste de président de la Confédération Africaine des Travailleurs Croyants (CATC), avant de devenir le premier ambassadeur de la République de Haute-Volta auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et des États-Unis de 1960 à 1963 (CENI-Infos sur les Présidentielles de novembre 1998, p. 14).

La plupart des titres ci-dessus cités sont créés à la veille des Indépendances, au moment où commence à émerger la notion de « nation » voltaïque, et, dans une certaine mesure, une opinion publique nationale (B. Beucher, 2009, p. 62-64).

Sur la question de la construction et de la défense de « l’identité nationale » voltaïque, ce témoignage de Moussa Kargougou (1926-1997), pensionnaire de l’École normale William Ponty (1944-1947) d’où il sortit instituteur avant de s’engager en politique comme Militant de l’UDV-RDA à partir de 1957, publié dans La Volta de demain en 1950, sous le titre « Écho de la Volta » en dit long :

Nous venons de lire avec un plaisir tout à fait particulier un périodique qui, sans conteste, saura réveiller les sentiments patriotiques de plus de trois millions d’âmes d’un territoire. Ce périodique, c’est assurément « La Volta de demain ». […] Oui, « nous avons enfin une bouche pour parler », et il faudra à tout prix que cette bouche soit la source intarissable de judicieuses paroles pouvant contribuer à l’édification d’une Haute-Volta neuve en démentant l’idée de certains titans de la politique qui, durant une longue période, ont traité nos élus voltaïques de valets suivant leurs patrons à la manière de moutons de Panurge.

Le combat des pionniers de la presse écrite de l’époque est celui de l’affranchissement de la Haute-Volta du joug colonial, celui de son émancipation, de la liberté d’expression et de presse. Ce combat est mené par des acteurs qui savent finalement peu de la profession de journaliste.

Formés sur le tas, ils sont des promoteurs de titres très irréguliers et éphémères. L’absence d’imprimerie, officielle ou privée était « un frein réel à l’édition d’une presse périodique régulière » à l’époque (G-F Euvrard, 1982, p. 15).

Selon le doyen cité plus haut, le journal de Frédéric Guirma, n’a pas édité plus de deux ou trois numéros (Entretien 26 janvier 2020). Cependant, Guirma continue d’écrire dans d’autres journaux jusque dans les années 1990, notamment dans L’Observateur d’Édouard Ouédraogo où il signe son premier article en 1976.

  1. Les pionniers de la presse d’État voltaïque

À la veille des indépendances, en 1959, est créé Carrefour Africain, organe de l’UDV-RDA, qui devient de fait l’organe officiel du gouvernement voltaïque. Le journal a été créé sous l’impulsion de Michel Lajus, préfet honoraire, ancien administrateur de la France d’Outre-Mer, nommé par Maurice Yaméogo, secrétaire d’État à la présidence du Conseil, chargé de la Coordination générale et de l’Information. Carrefour Africain a été dirigé à sa création par un colon français, M. Carrère.

Dès l’accession de la Haute-Volta à l’indépendance, Siré Bâ, un commis de l’administration publique voltaïque lui succède, devenant ainsi le premier directeur voltaïque de Carrefour Africain (J-P. Béjot in La Dépêche Diplomatique, https://lefaso.net/spip.php?article42460). C’est la seule publication d’envergure nationale bien qu’elle ne connaisse que des parutions irrégulières et ne soit pas en mesure de générer des recettes permettant d’assurer le paiement des salaires des journalistes.

La grande majorité de l’équipe éditoriale de Carrefour Africain n’avait pas reçu de formation professionnelle. Seulement deux journalistes en avaient reçu : François Bassolet (1933-2001) et Pierre-Claver Lassané Tassembédo (1935-2018). Le premier, instituteur de 1951 à 1953 à Bobo-Dioulasso, avait été pensionnaire du Centre de formation de journalisme de Paris d’où il était sorti avec le diplôme de Conseiller en sciences et technique de l’information.

Il fait partie des fondateurs de la Semaine du cinéma africain, l’ancêtre du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO). De 1978 à 1980, il est directeur de l’Agence voltaïque de presse, devenue Agence d’information du Burkina (AIB).

Il fut le co-fondateur puis le président du Parti du Regroupement Africain (PRA) jusqu’à sa dissolution en 1979, date à laquelle il rejoint l’Union Progressiste Voltaïque (UPV) de Joseph Ki-Zerbo, avant de siéger comme député à l’Assemblée nationale (1978-1980) sous la Troisième République.

Pierre-Claver Lassané Tassembédo commence quant à lui sa carrière de journaliste en 1957 comme rédacteur au Bulletin Quotidien d’information de Haute-Volta, puis à Carrefour Africain en 1959 où il cumule les fonctions de reporter et de chef de bureau de la documentation après avoir bénéficié de formations et de stages en Europe.

Selon Lézin Didier Zongo, ancien pensionnaire de l’École Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ), ancien directeur général de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), ancien directeur de la radio nationale et ancien directeur du Centre de Formation Professionnelle de l’Information (CFPI), d’autres anciens journalistes ont aussi été formés en France au lendemain des indépendances.

On peut citer Émile Bassono, formé au Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg en France (CUEJ), Kalifa Koné et Alphonse Yaogho, formés à l’École supérieure de journalisme de Lille, France (ESJ-L) dans les années 1960, Alassane Kogoda Ouédraogo, au Centre de formation des journalistes de Paris et Sidiki Flavien Ouédraogo à l’Institut français de presse.

Lézin Didier Zongo s’est personnellement investi dans la recherche d’informations sur les itinéraires et parcours professionnels des anciens journalistes qu’il cite, mais malheureusement, faute d’archives et de témoignages, ses efforts sont restés vains. Nous lui adressons nos sincères remerciements pour sa disponibilité et sa collaboration.

Conclusion

Pendant la période coloniale, les premiers journaux et journalistes étaient issus des milieux politiques, syndicaux et religieux. La période coloniale a été dominée par la pratique d’un journalisme ronéotypé et militant.

Quoique se réduisant le plus souvent à quelques feuillets paraissant par à-coup, ces titres ont servi de tribunes d’expression pour l’élite locale. C’est à partir du début des années 1970 qu’a commencé à émerger, timidement, en Haute-Volta, une presse privée indépendante et professionnelle animée, dès les premières heures, par des journalistes sans formation en journalisme.

Bibliographie

BEJOT Jean-Pierre, in « La mort de Michel Lajus, ancien ministre d’État de “Monsieur Maurice” », La Dépêche Diplomatique, repris par lefaso.net, 11 juin 2011. https://lefaso.net/spip.php?article42460

BEUCHER Benoit (2009), «La naissance de la communauté nationale burkinabè ou comment le Voltaïque devint un “Homme intègre” », Fonds d’analyse des sociétés politiques, pp. 1-118.

EUVRARD Gil-François (1982), La presse en Afrique occidentale française. Des origines aux indépendances et conservée à la Bibliothèque nationale, Mémoire de fin d’études, Villeurbanne, École nationale supérieure des bibliothèques (ENSB).

Lire aussi: Crise Humanitaire, de quoi parle la radio communautaire?

Dr Lassané YAMÉOGO

Chargé de Recherche en Sciences de l’information et de la communication

Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)

YAMEOGO Lassané (2021). « Les précurseurs de la presse écrite voltaïque (1947-1974)

Itinéraires, rôles et trajectoires professionnelles », Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique, n° 1, pp. 81-97.

 

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