Dans la tourmente de la pandémie du COVID-19 qui frappe l’humanité, et, en l’absence d’un véritable remède cliniquement approuvé, le Burkina Faso, à l’instar d’autres pays du monde a pris un certain nombre de mesures pour stopper la propagation du virus tout en restant conscient de leurs « effets pervers sur la vie quotidienne des citoyens ». Aussi, pour atténuer ces effets pervers, le Gouvernement du Burkina Faso a adopté des mesures d’accompagnement allant des mesures fiscales et d’accès au financement pour les mois d’avril à juin 2020 aux mesures de soutien à la relance de l’économie en passant par des mesures sociales pour la même période d’avril à juin 2020[1].
S’il faut saluer ces mesures attendues à leur juste valeur, il faut toutefois reconnaître qu’elles sont insuffisantes et peuvent s’avérer inefficaces comme moyen de juguler les difficultés des entreprises occasionnées par le contexte de la crise sanitaire du COVID-19. L’état de confinement décidé par les pouvoirs publics est économiquement contreproductif. Il va ralentir, voire sonner le glas de l’activité de nombreuses entreprises, toute chose qui est de nature à exacerber leurs difficultés. Face à cette situation, le droit des entreprises en difficulté en vigueur au Burkina Faso offre des solutions variées et adaptées au traitement des difficultés dont certaines nécessitent la contribution du juge et d’autres pas.
Au titre des solutions consistant en des mesures préventives ne faisant pas intervenir le juge, il faut citer entre autres, le concordat amiable qui est un accord passé entre le débiteur et ses créanciers au terme duquel les créanciers accordent des délais de paiement ou des remises de dettes à leur débiteur afin d’éviter la cessation des paiements et l’ouverture d’une procédure collective. Un tel concordat n’est pas soumis à homologation du juge et peut rester confidentiel. Certes, il est en général difficile d’amener tous les créanciers ou bon nombre d’entre eux à donner leur accord, mais le contexte actuel du COVID-19 aidant, on peut penser que les créanciers y seront sensibles. Dans son discours du 02 avril 2020, le Président du Faso a certes rappelé le report d’échéance que les banques, sous l’impulsion de la BCEAO doivent accorder aux entreprises qui en font la demande. Force est cependant de reconnaître que cette solution, dont seule bénéficient les clients des banques est insuffisante et devrait s’accompagner d’un véritable moratoire légal bénéficiant à toutes les entreprises affectées par la crise sanitaire du COVID-19.
S’agissant des mesures préventives de renflouement faisant intervenir le juge, elles sont essentiellement au nombre de deux, à savoir la conciliation et le règlement préventif. Dans le contexte actuel de la pandémie du COVID-19, la conciliation pourrait être d’un atout majeur pour les entreprises. Elle est ouverte aux entreprises qui connaissent des difficultés avérées ou prévisibles mais qui ne sont pas encore en état de cessation des paiements. C’est une procédure préventive, consensuelle et confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise débitrice afin d’effectuer, en tout ou en partie, sa restructuration financière ou opérationnelle pour la sauvegarder. La procédure, relativement souple est introduite par une requête auprès du Président du tribunal de commerce accompagnée de pièces légalement exigées.
La décision d’ouverture de la conciliation désigne un conciliateur, qui aura pour mission de favoriser la conclusion d’un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels. Cet accord amiable est destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise. A l’égard du créanciers, ces mesures peuvent consister, notamment, en des délais de paiement et des remises (totales ou seulement partielles) de dettes, des cessions de rang de privilèges ou d’hypothèques ou l’abandon de ces sûretés. Du côté du débiteur, celui-ci peut s’engager à prendre des mesures destinées à redresser la situation de l’entreprise. Par exemple, il peut procéder à des licenciements pour motifs économiques, à une restructuration de son activité, à une augmentation de capital, etc. A ce niveau, les mesures d’accompagnement à la restructuration des entreprises édictées par le Gouvernement du Burkina Faso peuvent être d’un appui considérable, notamment en termes de prise en charge des cotisations sociales ou de paiement des indemnités de licenciement.
La confidentialité de la conciliation est un avantage certain car elle permet d’éviter les réactions négatives des partenaires de l’entreprise. La conciliation ne dure que trois (3) mois, pouvant être prorogée d’un (1) mois. Elle devrait permettre aux entreprises qui la sollicitent de juguler au mieux leur difficulté sous le contrôle du juge, en toute confidentialité. En cas d’échec, l’on peut recourir à une autre variété de procédure préventive qu’est le règlement préventif.
Le règlement préventif peut être sollicité par l’entreprise débitrice qui, sans être en état de cessation des paiements, justifie de difficultés financières ou économiques sérieuses. Le président du tribunal du commerce est saisi par une requête du débiteur accompagnée de certaines pièces exigées par la loi. La requête expose d’une part la situation économique et financière de l’entreprise, qui doit certes être difficile sans toutefois caractériser l’existence de la cessation des paiements et d’autre part les perspectives de redressement de l’entreprise et d’apurement de son passif. La décision d’ouverture du règlement préventif suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à ladite décision pour une durée maximale de trois (03) mois, qui peut être prorogée d’un (01) mois dans les conditions prévues par la loi.
C’est vrai que la suspension des poursuites prend fin lorsque le délai imparti expire sans que l’expert ait déposé son rapport ou que la juridiction compétente ait homologué le projet de concordat. Mais, dans le contexte actuel de la pandémie du COVID-19, caractérisé par l’état de confinement et l’arrêt d’activité de plusieurs entreprises, on peut utilement invoquer la force majeure pour justifier un ajustement de cette mesure concernant le non-respect des délais. Du reste, le règlement préventif présente de nombreux avantages pour le débiteur dans la mesure où il suspend toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances désignées par le débiteur et nées antérieurement à ladite décision. Dans la mise en œuvre de la mesure, il n’y a pas lieu de distinguer suivant que les poursuites sont engagées avant ou après la décision de suspension ; il suffit qu’elles n’aient pas encore produit un effet définitif.
De surcroît, la suspension s’applique aussi bien aux demandes en paiement qu’à l’exercice de voies d’exécution, qui intéresse les créanciers munis de sûretés réelles spéciales ou possédant un titre exécutoire. Elle s’applique non seulement aux créanciers chirographaires mais également aux créanciers munis de privilèges généraux ou de sûretés réelles spéciales telles qu’un gage, un nantissement, une hypothèque ou un privilège mobilier spécial. Corrélativement, les délais impartis aux créanciers à peine de déchéance, de prescription ou de résolution de leurs droits sont suspendus pendant toute la durée de la suspension elle-même.
En sommes, ces quelques mesures préventives, succinctement exposées, si elles sont judicieusement mises en œuvre peuvent permettre aux entreprises concernées de traiter efficacement leur difficulté dans le contexte actuel du COVID-19. S’il faut espérer que le législateur puisse intervenir post-crise sanitaire pour éviter des faillites en cascade, dans l’immédiat et en pleine crise sanitaire dont nul ne connaît véritablement le terme, les entreprises en difficulté sont encouragées à se rapprocher urgemment d’un Conseil expérimenté pour trouver la meilleure solution adaptée à leurs difficultés, chaque difficulté ayant par ailleurs ses caractéristiques spécifiques.
Pr. Souleymane TOE
Agrégé des facultés de droit
Université Ouaga II, Burkina Faso
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