L’affaire dite « escroquerie immobilière» à Banfora, dans la région des Cascades, qui oppose le procureur du Faso au magistrat Sidaty Yoda et à ses co-prévenus, tire vers sa fin. Le 30 avril 2025, au Tribunal grande instance (TGI) Ouaga I, l’audience a été consacrée au réquisitoire du parquet et aux plaidoiries des avocats.
Lentement mais sûrement, le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Banfora, Sidaty Yoda, et ses co-prévenus Lamine Tera et Adama Ganamé, tous poursuivis pour des faits de stellionat et de blanchiment de capitaux, connaîtront leur sort.
À l’audience du 30 avril, le procureur a fait son réquisitoire dans lequel il a estimé qu’au regard de tout ce qui a été dit lors des débats, les infractions reprochées au magistrat Sidaty Yoda sont suffisamment constituées. Le parquet (procureur, ndlr) a ainsi demandé que le prévenu soit reconnu coupable des faits de stellionat et de blanchiment de capitaux. En répression, il a requis la peine d’emprisonnement de 4 ans et une amende de 2 millions de francs CFA, le tout ferme.
Concernant Lamine Tera à qui le président Sidaty Yoda remettrait les références de parcelles pour qu’elles soient vendues, le ministère public (procureur, ndlr) a conclu qu’il est coupable des mêmes faits. Il demande donc au Tribunal de le condamner à une peine de 3 ans de prison dont 1 an et 6 mois fermes avec une amende ferme de 1 million de francs CFA.
Les mêmes infractions sont reprochées à Adama Ganamé qui était chargé de trouver des clients pour acheter les parcelles litigieuses. Le procureur a estimé qu’elles sont caractérisées. Il a également requis contre lui une peine d’emprisonnement de 3 ans dont 1 an et 6 mois fermes avec une amende ferme de 1 million de francs CFA.
« C’est de la pure délinquance »
Lorsque le moment est venu pour lui de faire sa plaidoirie, Me Prosper Farama, avocat du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC), n’est pas allé du dos de la cuillère pour dire ce qu’il pense des prévenus, surtout Sidaty Yoda.
« On a honte ! », a regretté l’avocat d’entrée de jeu. Il se dit même « gêné » par cette affaire qui concerne, fait-il remarquer, un juge. Me Prosper Farama parle du président du TGI de Banfora à qui il avait promis, à l’audience du 29 avril, de revenir sur son cas dans sa plaidoirie. « Je venais avec un espoir, celui de croire qu’on commet tous des erreurs, acteurs de la justice ou pas », indique-t-il.
Un juge qui vendrait illicitement des parcelles ? L’affaire semble être une pilule très amère à avaler pour l’avocat du REN-LAC qui trouve que « c’est de la pure délinquance ». Pour lui, « les faits sont pires que le simple stellionat et le blanchiment des capitaux dont Sidaty Yoda est poursuivi ».
Me Prosper Farama fait noter qu’il y a du « faux » dans le dossier, avant de plonger toute la salle dans un silence de cimetière avec cette observation : « Un juge qui falsifie les décisions de justice, qui falsifie des documents. Qu’est-ce qui nous reste encore comme dignité, nous acteurs de justice ? C’est un escroc comme on peut en retrouver au grand marché et là-bas même encore, c’est moindre. C’est du braquage. Le juge Yoda a même fait une subornation de témoin, c’est-à-dire voir des gens pour qu’ils mentent ».
L’avocat poursuit en ces termes : « Après une trentaine d’années de service, je n’ai jamais vu un personnage aussi malicieux pour brimer ses concitoyens dans l’exercice de ses fonctions. On a honte ! Pourtant, nous devons être fiers de participer à l’œuvre de justice. Même les Burkinabè nous comprennent »
Me Farama ne s’arrête pas là. Il déclare : « J’ai défendu des grands délinquants qui ont eu des postures différentes en reconnaissant et en restant humbles. Voici un délinquant (Sidaty Yoda, ndlr) qui est très arrogant. Il a du mépris même pour ses co-prévenus parce qu’ayant appris le droit à l’école ».
Dans cette affaire d’escroquerie immobilière, « c’est le président Yoda qui a tout conçu. Les deux co-prévenus ne savent même pas lire », a-t-il dit.
À l’endroit du prévenu lui-même, Me Prosper Farama lui dit ceci : « Faut pas croire que c’est parce qu’on nie les faits qu’il n’y a pas de preuves. Pour un juriste, c’est une erreur, même si c’est un droit de mentir. Vingt ans de service, il agit prudemment, nous a-t-il dit ici. Il se fout de l’intelligence de tout le monde. Les ordonnances de mutation de terrains sont établies intentionnellement en vue de faire de la fraude ».
« Notre justice traverse des moments difficiles. Nous savons qu’il y a des brebis galeuses dans notre justice. Nous savons aussi qu’il y a de très bons juges et magistrats, et tous les juges ne sont pas corrompus. J’appelle à ce que la justice soit accompagnée dans ce sens pour qu’elle soit stable. Nous devons donner une réelle image de la justice auprès du citoyen », a-t-il fait comprendre.
Au Tribunal, Me Farama conclut : « La personne que j’ai vue ici (parlant de Sidaty Yoda, ndlr), son comportement envers les co-prévenus, il a fait le choix de la délinquance. Si quelqu’un fait ce choix, il faut l’y accompagner. La décision que vous serez amené à rendre doit tenir compte de tous ces éléments ».
Demande de clémence du Tribunal
Dans sa plaidoirie, Me Mamadou Sombié, avocat des prévenus Lamine Tera et Adama Ganamé, a fait savoir que ses clients ont collaboré avec le Tribunal, contribuant ainsi à éclairer sa lanterne.
Ils ont fait preuve de « responsabilité et d’honnêteté », soutient-il, tout en demandant la clémence du juge : « Nous vous demandons une seconde chance au regard de leur âge avancé et des charges (une dizaine d’enfants et deux femmes pour chacun, ndlr) et qui les attendent à la maison. Ils ont produit des dossiers qui vous ont permis d’avancer dans le dossier. Nous vous demandons de leur donner 12 mois assortis de sursis. À défaut, 12 mois dont 6 mois assortis de sursis ».
Si dans ce dossier, l’État du Burkina s’est constitué partie civile, c’est bien parce que « l’image de la justice a été ternie», a dit l’agent judiciaire de l’État qui explique que « Sidaty Yoda a jeté le discrédit sur la fonction judiciaire. Il ternit l’image de la justice. Il a rendu justice pour ses intérêts personnels, ce qui n’est pas normal ». Voilà pourquoi il pense qu’il faut redorer l’image de la justice, « rendre justice à la justice ».
« Après 4 jours de débats, tout est clair. Il s’agit d’une entreprise à 3 (Sidaty Yoda, Lamine Tera et Adama Ganamé) qui consistait à rechercher, à identifier des parcelles non construites et à les vendre », rappelle-t-il tout en réclamant 1 franc symbolique pour réparer le préjudice moral subi et 500 000 F CFA au titre des frais exposés non compris dans les dépens, c’est-à-dire les frais d’avocat.
« Et si Sidaty Yoda était innocent ?»
C’est la question que la défense (les avocats du président Yoda, ndlr) s’est posée à l’entame de sa plaidoirie. « Mon client est formel : il n’a pas commis les faits de stellionat. Il l’a démontré devant le Tribunal », plaide l’un des avocats de la défense qui demande aux membres du Tribunal de déclasser, d’emblée, les procès verbaux (PV) dressés par le procureur général près la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso, après le mandat de dépôt décerné au prévenu Sidaty Yoda.
À l’audience du 17 avril dernier, en effet, les avocats de la défense avaient soulevé une exception de nullité de ces PV qu’ils avaient jugés « irréguliers », en ce sens que le procureur général ne devrait plus dresser de procès verbaux, pendant que le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Banfora l’avait déjà fait.
Le Tribunal avait joint l’exception de nullité au fond du dossier, suite à un jugement avant dire droit (décision rendue pendant une audience sur un sujet spécifique, sans trancher le litige en cours de jugement, ndlr).
Pour ce qui est du blanchiment de capitaux, la défense a souligné que le procureur n’a pas réussi à établir de façon matérielle que l’infraction est constituée. « Le parquet nous parle d’un transfert Orange money sans plus. Où est l’action de blanchiment de capitaux ?», s’interrogent les avocats de Sidaty Yoda qui plaident pour que leur client soit relaxé pour « infraction non constituée ». En plus, la défense fait observer que Sidaty Yoda est « un délinquant primaire », c’est-à-dire que c’est sa première fois de commettre une infraction, qu’il n’a aucun antécédent judiciaire, aucune condamnation pénale antérieure.
Après les plaidoiries, les prévenus ont été rappelés à la barre pour prononcer leurs derniers mots avant que le jugement ne soit rendu. Tous ont présenté leurs excuses et le magistrat Sidaty Yoda est revenu sur certaines observations de Me Farama : « (…) Je ne minimise pas les faits. Je vous présente mes excuses. Se tenir à la barre n’est pas chose aisée. Je demande pardon à tous ceux que j’ai pu offenser ».
La décision du juge est attendue le 7 mai 2025.