Engagée le 30 août 2023 suite à un coup d’État qui a fermé la longue parenthèse de 55 ans de la dynastie Bongo, la Transition politique ouverte au Gabon souffle une bougie aujourd’hui. Une Transition à mi-chemin entre la prise de pouvoir par des militaires et une nouvelle République à fonder. Pendant ce temps, le général Brice Clotaire Oligui Nguéma peaufine sa stature de présidentiable de poids…
30 août 2023. À Libreville, capitale du Gabon, le tumulte est à son comble. Ferveur et joie gagnent bientôt les maisons… Dans les rues, les militaires paradent, portés en triomphe par la population. Quelques minutes seulement après l’annonce officielle des résultats de l’élection présidentielle du 26 août, un groupe de militaires annonce l’annulation du scrutin et la dissolution des institutions gabonaises. Ali Bongo Ondimba, éphémère vainqueur de cette consultation avec 64,27% des suffrages exprimés, venait d’être renversé…
Dans la première déclaration qu’ils ont rendue publique ce 30 août-là, les militaires gabonais indiquent que les résultats annoncés une quarantaine de minutes plus tôt sont «tronqués». Et décident de rebattre les cartes ! « Nous, Forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la Transition et la restauration des institutions (CTRI), au nom du peuple gabonais et garant de la protection des institutions, avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place », précise la déclaration.
Et d’un trait de plume, d’une apparition « musclée » à la télévision, le long règne de la dynastie Bongo est envoyé dans les cordes. Ce pays d’Afrique centrale, d’abord dirigé par Léon Mba, depuis son indépendance, le 17 août 1960, jusqu’en 1967, était ensuite, jusque-là, aux mains du clan Bongo. D’abord le père, Albert Bernard, devenu Omar Bongo Ondimba, de 1967 jusqu’à son décès en 2009. Puis le fils, Ali Bongo Ondimba, à partir de 2009, suite à une élection présidentielle déjà contestée et ponctuée par d’indicibles violences.
Coups d’État anecdotiques
Le coup d’État du 30 août 2023 est donc venu mettre un terme, au Gabon, à plus de 55 années d’une histoire politique entièrement dominée par « les Bongo » ! C’est le premier coup d’État véritablement réussi dans ce pays, après deux tentatives échouées au long de ses 64 ans d’indépendance. Dans l’histoire des putschs en Afrique, il faut en effet se rappeler de cette action menée le 17 février 1964 par « des lieutenants de la toute jeune armée gabonaise et des gendarmes contre le président Léon Mba, accusé alors de développer un régime policier ».
Des militaires avaient alors essayé de dissoudre le gouvernement et d’arrêter le président Léon Mba pour « rétablir les libertés publiques » et « éviter qu’éclatent dans un avenir plus ou moins lointain des manifestations incontrôlables ». Le Gabon attendait alors fébrilement la tenue d’élections législatives dont les contours étaient contestées, dans un contexte marqué par la dissolution, quelques semaines auparavant, de l’Assemblée nationale. Mais alertée par… un certain Albert Bernard Bongo, alors chef de cabinet du président de la République, la France du président Charles De Gaulle intervient vigoureusement pour mater les putschistes.
On peut également rappeler la tentative de coup d’État du 7 janvier 2019, qui a vu le lieutenant Ondo Obiang Kelly, commandant-adjoint de la Garde républicaine, prendre la tête d’un commando pour déclarer la mise en place d’un Conseil national de restauration. Cet événement faisait suite à l’annonce, le 24 octobre 2018, des résultats officiels des élections législatives, alors que le chef de l’État, Ali Bongo Ondimba, avait fait un Accident vasculaire cérébral (AVC). Mais le lieutenant Kelly est arrêté le jour même, puis des meneurs sont interpellés et deux mutins tués.
« Telle une météorite… »
Le coup d’État du 30 août 2023 intervient donc sur le terreau de ces tentatives infructueuses. Et depuis un an maintenant, le général Brice Clotaire Oligui Nguéma mène la barque d’une Transition de deux ans dans un pays à la recherche de nouveaux repères institutionnels et démocratiques.
En prenant les rênes du pays, le nouveau chef de l’État a inscrit son action, lors de son investiture, le 4 septembre 2023, dans le creuset des propos de l’ancien président ghanéen Jerry John Rawlings. Et a ainsi opportunément rappelé que… « quand le peuple est écrasé par ses dirigeants, avec la complicité des juges, c’est à l’armée de lui rendre sa liberté ». Une manière de justifier le coup d’État du 30 août 2023 par le délitement sociopolitique dans lequel était plongé le Gabon et de pointer du doigt une justice aux ordres.
« Telle une météorite dans la nuit noire, les Forces de défense et de sécurité de notre pays ont pris leurs responsabilités en refusant le coup d’État électoral qui venait d’être annoncé par le Centre gabonais des élections à la suite d’un processus électoral outrageusement biaisé », a ainsi sanctionné Brice Oligui Nguéma. Pour lui, « cette action patriotique inédite restera sans aucun doute un cas école dans les annales de l’histoire ».
Dans son discours d’investiture truffé de références et de citations, le général putschiste annonce ainsi des « changements profonds, issus de notre réflexion commune ». Et instruit le futur gouvernement à réfléchir sur les mécanismes à mettre en place afin, notamment, de « faciliter le retour au pays de tous les exilés politiques, rétablir la bourse pour les élèves du secondaire, amnistier les prisonniers d’opinions, réviser les conditions d’attribution de la nationalité gabonaise ».
Nouvelle Constitution
Au final, a-t-il encore indiqué, « nous entendons remettre le pouvoir aux civils en organisant de nouvelles élections libres, transparentes et crédibles dans la paix, à l’issue de cette Transition, avec l’apport de tous les Gabonais partenaires au développement ».
Mais un an après, les signaux indiquent plutôt que le général Oligui Nguéma manœuvre pour garder le pouvoir au terme de la Transition. À mi-chemin de ce terme, on peut inscrire dans les actes accomplis sur le terrain politique et institutionnel, la tenue controversée, tout le mois d’avril 2024, d’un dialogue national qui n’avait rien d’inclusif. Le pays doit se doter d’une nouvelle Constitution dont le texte sera soumis à un référendum avant la fin de cette année 2024.
Cette nouvelle Loi fondamentale prévoit notamment d’instaurer un régime présidentiel, avec un chef d’État responsable devant le Parlement. Exit donc le poste de Premier ministre, chef du gouvernement. La durée du mandat présidentiel reste de sept années, mais ne sera renouvelable qu’une seule fois, et non plus ad vitam aeternam. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les avis restent partagés sur l’architecture de la nouvelle Constitution, tandis que les débats se font pressants sur la gestion de cette Transition avec une projection sur l’étape suivante.
Instituée depuis le 22 janvier dernier « Journée nationale de la libération », la date du 30 août devrait désormais célébrer, chaque année au Gabon, « la prise effective du pouvoir par les Forces de défense et de sécurité, coûtant la présidence à Ali Bongo Ondimba et mettant un terme à 55 ans de règne du Parti démocratique gabonais ».
« Dérive plébiscitaire »
De même, un Ordre national de la libération a été créé pour… « récompenser les personnes ou les collectivités civiles et militaires qui se sont distinguées dans l’action du coup de la libération du Gabon et dans le déroulement de la Transition ». Élevé à la dignité de « Grand Maître » de cet Ordre, le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguéma, fait feu de tout bois pour être prophète chez lui. « Si on a pu faire certaines choses en dix mois, c’est dire qu’en sept ans on peut faire beaucoup de choses », a-t-il d’ailleurs lancé mi-juillet lors d’une tournée dans le pays.

En fin de compte, une année après le coup d’État chaleureusement salué par des populations en liesse, qui sont massivement sorties pour témoigner leur soutien à l’Armée, on ne semble pas vouloir mettre l’accent sur la… restauration des institutions. Les politiques ne voient rien venir et les populations n’en ont pas vraiment cure ! Ce qui fait dire à certains qu’on assiste à une « dérive plébiscitaire » autour de la personne du chef de l’État.
À ce sujet d’ailleurs, le Comité pour la Transition et la restauration des institutions ne fait pas la fine bouche, vantant gaiement son action à la tête de l’État. « Gratuité des frais de scolarité, programmes d’emploi des jeunes, réhabilitation de plus de 600 kilomètres de routes, relance des liaisons aériennes intérieures… » figurent ainsi sur la fiche des « bons et loyaux services » du CTRI. De quoi conforter le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguéma dans ses habits de présidentiable redoutable pour gagner la mise, sans réelle opposition, dans les urnes dans un an ?