Aujourd’hui, 28 septembre 2024, cela fait 66 ans que la Guinée de Ahmed Sékou Touré a dit « Non » à la « Communauté française » à l’issue du référendum du 28 septembre 1958. Une date marquante de l’histoire sociopolitique de la Guinée et de l’Afrique, et qui rappelle aussi la capture, en 1898, de l’Almamy Samory Touré. Le 28-Septembre, c’est aussi, malheureusement, cette répression de triste mémoire, qui a tué, en 2009, plus de 150 Guinéens qui ont osé dire « Non » à la perpétuation du pouvoir militaire alors en place…
Il y a de ces dates qui marquent d’une encre indélébile l’histoire d’une nation ! Pour la Guinée, le 28 septembre reste à jamais lié à l’évolution sociopolitique du pays, entre symbole fort et évocation douloureuse. Il s’agit même ici d’un double rendez-vous avec l’histoire puisque cette date renvoie, en Guinée et d’une année à une autre, à un double évènement. Il y a eu en effet le 28-Septembre de l’espoir, de l’émerveillement, de la sublimation politique, tout comme cette date mémorable nous plonge dans les abysses d’une horrible répression.
C’est en effet le 28 septembre 1958 que la Guinée confirme, dans les urnes, son choix de dire « Non » à la « Communauté française » proposée par la France à ses colonies d’Afrique noire. De toutes les colonies qui ont pris part au fameux référendum organisé ce jour-là, seule la Guinée a rejeté cet emballage avec 95,22 % des voix. Et pour cause, la « Communauté franco-africaine » que devait valider ce référendum maintenait les pays africains sous le joug français.
« Les pays déclarés indépendants n’ont ainsi pas la possibilité d’envoyer un ambassadeur dans quelque pays que ce soit et ne doivent pas avoir une armée », a notamment souligné, le 26 septembre 2024 à Conakry, Ismaël Condé, professeur de sociologie à la retraite, qui a donné une conférence de presse sur le sujet. De même, a-t-il notamment poursuivi, « la définition de la politique économique et financière, les transports extérieurs, la justice, l’enseignement supérieur, relèvent tous de la France… »
Crime de lèse-majesté
Le général français Charles de Gaulle s’est donc rendu en Guinée le 25 août 1958 pour vendre ce projet. Mais en face, il avait du répondant avec un certain Ahmed Sékou Touré. La réponse du leader syndical guinéen a été sèche et on ne peut plus claire : « Il n’y a pas de dignité sans liberté ! Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ! » Une réplique restée célèbre et qui signe, au lendemain du référendum du 28 septembre 1958, le douloureux affranchissement de la Guinée d’avec la tutelle coloniale.
En effet, les premières années de cette indépendance arrachée en solo dans une « Communauté française » validée par toutes les autres colonies furent pénibles. Et même si Sékou Touré avait clamé que « le choix de la Guinée est un choix africain qui traduit les aspirations profondes de nos populations », le « maître français » n’a eu aucun état d’âme pour lui faire payer son outrecuidance et lui faire ravaler ce qu’il considère comme un crime de lèse-majesté !
On évoquera encore ce 28 septembre de la mémoire collective aujourd’hui, alors que la Guinée gère une Transition délicate depuis le coup d’État du 5 septembre 2021. Initialement prévue pour s’achever en décembre 2024, cette Transition militaire — consécutive au putsch constitutionnel de Alpha Condé qui s’est maintenu au pouvoir au-delà du terme de son deuxième quinquennat — jouera donc les prolongations au moins jusqu’à l’année prochaine.
Signe du destin ?
Les élections sont ainsi annoncées pour 2025 et l’Organisation internationale de la Francophonie vient de lever la suspension du pays de ses instances. Une accalmie sans doute en trompe-l’œil puisque certains partis politiques et organisations de la société civile appellent à une reprise des manifestations contre le pouvoir, accusé de vouloir prendre en otage la vie politique nationale.
Mais si le 28-Septembre rappelle très fortement le « Non » de la Guinée à la France, on oublie souvent qu’il matérialise aussi, à un jour près, l’arrestation, le 29 septembre 1898, de l’Almamy Samory Touré (1830-1900), capturé par le capitaine français Henri Gouraud. Signe du destin peut-être, Sékou Touré est un arrière-petit-fils de cet intrépide résistant à la pénétration coloniale. C’est donc 60 ans après l’arrestation de Samory Touré que l’un de ses arrière-petit-fils a opposé un tonitruant veto à la France !
Malheureusement, les aspirations légitimes des populations, portées par l’acte courageux du 28 septembre 1958, se sont retrouvées étouffées sous l’épais mur du Camp Boiro, si ce n’est dans les survivances d’un exil forcé. Les Guinéens ont longtemps vécu sous la chape de plomb du héros Sékou Touré, devenu tyran pour son peuple. De parenthèses étouffantes en crises sociopolitiques larvées, le pays a enfin inauguré, en 2010, un processus démocratique que l’on espérait plein d’avenir.
28-Septembre de l’ignominie
Mais hélas, l’ignominie s’est encore invitée dans l’arène parce que des Guinéens ont osé dire… « Non » ! Comble de l’ironie, c’était un 28 septembre, celui de l’année 2009, dans la cuvette du mythique Stade du 28-Septembre de Conakry ! Désapprouvant la volonté affichée du président du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), Moussa Dadis Camara, de briguer la magistrature suprême, contrairement à ses promesses, des dizaines de citoyens furent massacrés. Au terme de cette manifestation pro-démocratique et violemment réprimée, on dénombre aussi plus d’un millier de blessés et un nombre impressionnant de femmes violées.
Il a fallu attendre treize longues années de batailles tous azimuts pour que les victimes aient enfin droit à un procès, qui s’est ouvert le 28 septembre 2022 — autre symbole ! — et qui a duré deux années. La justice guinéenne a finalement rendu son verdict le 31 juillet dernier, condamnant huit des douze personnes poursuivies dans cette affaire à des peines allant de dix à vingt ans de prison. Moussa Dadis Camara, chef de la junte installée au pouvoir suite au décès, en décembre 2008, de Lansana Conté, a ainsi notamment écopé, malgré ses dénégations, de vingt ans d’emprisonnement pour « crimes contre l’humanité sur la base de la responsabilité du supérieur hiérarchique ».
Que réserve à présent cette nouvelle Transition à une Guinée toujours martyrisée, qui aspire, depuis la proclamation, le 2 octobre 1958, de son indépendance, au mieux-être, à la liberté, au développement ? Il faut espérer que le 28-Septembre devienne enfin le symbole fédérateur d’un pays réconcilié avec lui-même et avec tous…