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[Interview] Pourquoi on peut juger le dossier du putsch et on ne peut pas juger le dossier de l’insurrection?

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31 octobre 2020,voilà six ans exactement que l’ancien régime Compaoré tombait au Burkina. L’insurrection populaire a mis fin en si peu de temps à 27 ans de pouvoir . La chute de ce régime qui augure des lendemains meilleure n’a forcement pas été le cas dans le domaine de la justice pour ceux qui sont tombés les armes à la main. Considérés comme des héros de l’insurrection populaire, ils ont été célébrés à la place de la révolution à Ouagadougou avant leur inhumation au cimetière de Gounghin. Cependant, des années plus tard, les parents des victimes ne connaissent toujours pas les auteurs des crimes. A cette date anniversaire,Libreinfo.net s’est entretenu avec l’un des avocats du dossier, Me Prosper Farama. Il nous explique les obstacles de ce dossier.

 

Propos recueillis par Albert Nagreogo

Libreinfo.net : après le dossier du putsch il était annoncé celui de l’insurrection populaire, vous êtes l’un des avocats dans ce dossier, où en est-on ?

Me Farama : Je sais que le dossier est au niveau du juge d’instruction en ce qui concerne les personnes mises en cause qui n’avaient pas un mandat ministériel. Mais en ce qui concerne les anciens dignitaires qui avaient déjà connu un début avant d’être suspendu, je n’ai aucune idée.

Libreinfo.net: Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Me Farama :je pense quelque chose, c’est un dossier qui gêne beaucoup de gens. Pour moi le dossier de l’insurrection populaire met mal à l’aise probablement tous les protagonistes aujourd’hui de la scène politique, aussi bien les anciens du régime CDP que ceux au pouvoir.il implique des recherches pour déterminer exactement ceux qui ont pu donner des ordres à un moment pour que des citoyens burkinabè puissent être tués par sa propre armée. Quand je prends par exemple les mutineries qui ont eu lieu au niveau de la radio nationale (le 2 novembre 2014), il est évident que cela ne met pas en cause les anciens dignitaires du CDP, ils n’étaient plus au pouvoir. C’est donc ceux-là qui en ce laps de temps avaient les moyens de donner les ordres aux militaires pour l’exécution de cette sale besogne qui l’ont fait, donc moi j’ai l’impression que ça gêne beaucoup de gens.

Libreinfo.net : vous parlez des gens qui ont été tué devant la radio nationale(le 2 novembre 2014), est-ce que vous voulez dire que les hommes forts à l’époque comme Isaac Zida qui étaient aux commandes auraient ordonné ces actes ?

Me Farama: Mais il faut être clair. Un, il y a eu des actes qui ont été commis à un moment où le régime du CDP était toujours au pouvoir ; deux il y a eu des actes qui ont été commis après la chute du régime du CDP pendant que le RSP tenait le pouvoir donc Zida aux commandes, ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les faits ; trois il y a eu des actes qui ont été posés pendant que Zida était en accointance avec d’autres leaders politiques de la place. Il faudra que la justice nous éclaircisse sur toute cette situation. On n’explique pas qu’on ait pu juger avec autant de célérité le dossier du putsch qui est intervenu au moins des mois après l’insurrection populaire pendant que le dossier de l’insurrection lui, qui a été à la base même du départ de Blaise Compaoré et l’arrivée au pouvoir de ceux qui sont là ne connaisse pas une issue. Pourquoi on peut juger le dossier du putsch et on ne peut pas juger le dossier de l’insurrection où il me semble-t-il il y a eu des morts, où les faits me paraissent être plus évidents d’ailleurs, là c’est des questions que moi légitimement je me pose, il faudra qu’on nous explique.

Libreinfo.net: Mais quel peut-être le rôle du pouvoir actuel dans ce dossier si vous pensez que ce pouvoir s’accuse ?

Me Farama: Moi j’ai comme l’impression que pendant l’insurrection il y a eu des compromis voire des compromissions de deals parmi les acteurs politique. D’ailleurs je ne comprends pas que Zida se la coule douce depuis quelques années au Canada. Depuis longtemps on passe le temps à nous dire qu’il devra répondre de certains actes. Il a une résidence bien connue au Canada mais rien n’est fait pour le ramener au pays pour répondre de ses actes. Est-ce selon les rumeurs qui veulent qu’il y ait eu à l’époque post-insurrection des deals entre partis politiques et certains militaires pour venir au pouvoir ; est-ce que ce n’est pas ce deal-là qui continue, qui ne fait qu’aujourd’hui personne ne veut que la lumière soit faite sur cette affaire ? Quand on parle du RSP à l’époque qui agit, est-ce que le RSP agit seul ou est-ce que les gens étaient en accointance avec certains responsables du RSP pour empêcher d’autres parmi leurs adversaires d’arriver au pouvoir ? Moi je n’en sais rien. On a tiré sur Lougué (Général Kouamé Lougué) qui était à l’instigation de ces actes, pourquoi ? Voilà des questions que l’on se pose.

Libreinfo.net: Est-ce que cela voudrait dire pour vous qu’on ne peut pas faire un procès de l’insurrection populaire sans Yacouba Isaac Zida ?

Me Farama: Bien sûr ! Ce serait un faux procès, ce serait comme exactement ce qui se passe dans le dossier de l’affaire Thomas Sankara. On ne peut pas vouloir faire un procès de l’assassinat de Thomas Sankara sans Blaise Compaoré. Zida était l’un des acteurs principaux de cette période-là, l’un des tenants du pouvoir militaire à cette époque. Mais les mis en cause sont essentiellement des militaires, moi je pense qu’il est important pour l’avènement de la vérité que Zida soit là. D’ailleurs moi je ne comprends pas l’attitude de ce gouvernement, je ne comprends pas qu’on ne fasse rien pour faire rentrer Zida pour que ces affaires-là soient clarifiées, mais écoutez cinq ans après que des burkinabè se soient sacrifiés pour toute la nation mais personne ne donne l’air de se préoccuper de leur mort. Et puis chacun se la coule douce, lui il est au Canada, il me semble qu’il se coule douce, eux ils sont ici, leur préoccupation principal actuel je pense c’est leur réélection.

Libreinfo.net: Donc pour vous, le pouvoir devait sonner Yacouba Isaac Zida de rentrer ?

Me Farama : Mais oui ils auraient dû le faire. Je pense d’ailleurs qu’on ait la seule armée où quelqu’un peut aller en soin, expirer le délai sans que personne ne l’ait pu revoir et cela ne gêne personne. Je comprends qu’on ait des difficultés au niveau de l’armée mais ça c’est un autre débat. Mais le débat essentiel aujourd’hui c’est le débat de l’impunité dans cette affaire des assassinats lors de l’insurrection populaire. Je ne m’acharne pas contre Zida en personne mais je dis c’est un des acteurs principaux de l’époque. Je crois que tout burkinabè comprendrai aujourd’hui qu’il serait bien de juger quelques militaires pris sur le tas sur cette affaire sans que celui qui avait les reines du pouvoir militaire à l’époque ne soit même pas là pour expliquer ce qui s’est passé.

Libreinfo.net: Il était le numéro deux.

Me Farama : Non à l’époque il n’était plus le numéro deux, il était le numéro un quasiment. Dans les faits j’ai vu, j’ai entendu lors du procès du putsch, même Diendéré (Général Gilbert Diendéré) à l’époque, au temps du pouvoir du RSP, après le départ de Blaise Compaoré, Zida étant sur le terrain, il était devenu le numéro un à l’époque donc c’est à lui de nous expliquer ce qui s’est passé.

Libreinfo.net: C’est vrai que vous n’êtes pas dans le secret des dieux mais on peut vous poser la question, pourquoi le Canada insiste à garder Isaac Zida parce qu’on connait des gens qui ont écrit à l’ambassade du Canada au Burkina pour demander à ce que le Canada le livre pour qu’il rentre au pays pour répondre de ses actes mais ils disent que leurs lettres sont restées mortes, sans réponses. 

Me Farama : Je pense que nous devons faire une analyse un peu plus profonde de ce qui s’est passé lors de l’insurrection et après l’insurrection. Je peux me tromper, à un moment donné, certains ont voulu utiliser Zida comme leur cheval de troie ,pour contrôler ce pays .donc il sera pas étonnant que ces Etats-là ,ces puissances qui ont misé sur Zida ,le protègent et ce n’est pas étonnant, mais avant de faire des reproches à ces puissance-là, je pense qu’on devait d’abord s’interroger sur nous-même. Qu’est-ce que les gens actuels font pour demander son retour. Moi je ne sens pas le régime en place, le gouvernement faire des efforts pour ramener Zida au pays. Mais personne n’a envie ou a intérêt que Zida vienne parce que peut être qui sait, qu’il a beaucoup de chose à dire qui pourrait gêner beaucoup de gens. Ce peuple ne veut pas l’impunité, il veut la justice mais surtout la justice au même niveau que tout le monde, si on a jugé Diendéré et ses partisans, vous l’avez entendu lors du procès du putsch se plaindre qu’on n’a pas réservé le même sort à Zida et là, vous convenez avec lui qu’il a raison.

Libreinfo.net: mais les dossiers il est entre les mains du Tribunal de grande instance de Ouagadougou depuis quelque année, est que la justice n’a pas sa part de responsabilité dans ce retard

Me Farama : le dossier est à deux niveau, dossier de l’insurrection et il y a celui qui concerne les anciens ministres comme on le dit en grosso modo puis celui qui se trouve au Tribunal de grande instance de Ouagadougou.la justice à sa part de responsabilité surtout que pour moi, la justice communique pas suffisamment sur l’affaire, par ce que la première des responsabilités de la justice dans cette affaire, c’est de mettre l’information à la disposition du peuple, mais , attendez la justice s’exprime au nom du peuple donc il est toute affaire légitime et normal, que à chaque  étape de l’avancer du dossier, qu’on explique au peuple où on en est ,s’il y a des difficultés ,quelles sont ces difficultés. C’est un défaut de l’information, c’est-à-dire la responsabilité pleine de la justice.

Libreinfo.net: Au moment de la transition, une commission a été mise en place pour faire des enquêtes sur les crimes qui ont été commis à l’époque, mais selon certaines explications, il n’y a pas eu des autopsies, des principes élémentaires en matière de constat ont été violés, donc ce qui fait qu’il est difficile de retrouver des traces pour constituer le dossier, que pensez-vous de cette affirmation ?

Me Farama : dites-moi dans l’affaire du putsch s’il y avait eu des autopsies, dont Diendéré et les siens croupissent en prison, ils ont été jugés et condamnés pour ça, mais non c’est vraiment de faux arguments.  Je rappelle et j’ai toujours rappelé que c’est archifaux de faire croire qu’on ne peut pas juger un dossier où il n’y a pas d’autopsie. Au palais de justice tous les jours que Dieu fait, on fait des jugements sur les assassinats quand il y a des sessions criminelles, il n’y a pas d’autopsie forcement, mais on juge les gens, mais pourquoi on peut juger certains sans autopsie et d’autre réclame qu’il y est des autopsies, non, ce n’est pas le vrai problème. Je crois que déjà on doit pouvoir nous dire au jour d’aujourd’hui, qui est que la commission d’enquête a épinglé.

On n’a pas suffisamment parlé du rapport de la commission d’enquête mais qui a rendu un rapport très éclaire qui donne les responsabilités des uns et des autres aussi qu’au niveau militaire que non militaire par rapport à ce qui a pu se passer dans la rue, donc les éléments sont là à mon sens, pour que la justice puisse approfondir son travail. Ces arguments fallacieux de défaut d’autopsie, de balistique c’est vraiment un vrai faux problème.

Libreinfo.net: depuis la transition, le CNT à fait des réformes majeures sur la justice, d’aucuns disent que la justice burkinabè a une indépendance, qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde, mais faut-il en vouloir encore aux hommes politiques ?

Me Farama : je crois qu’il ne faut pas être dupe, il ne faut pas faire croire aux gens ce qui n’est pas. C’est vrai que la justice jouit d’une certaine indépendance, c’est une chose a félicité. Mais faire croire aux gens qu’il n’y a que la justice pour régler un problème comme l’extradition de Zida au Burkina Faso, c’est vraiment un leurre, c’est faux. Regardez à travers le monde tous les dossiers de ce type ont un double aspect, vous avez le levier de la justice et aussi le levier politique. On n’extrade pas quelqu’un sur la base du mandat d’un juge, détrompez-vous, la Côte d’Ivoire ne nous amènera pas Blaise Compaoré simplement parce qu’il y aura un mandat qui partira, Blaise viendra si les autorités politiques ivoiriennes estiment que dans leur rapport politique et celui du Burkina ils ont intérêt à faire extrader Blaise Compaoré. Le rapport entre la France et les États-Unis dans les extraditions de longue date ont suivi les mêmes règles, il ne faut pas se tromper, il y a la justice qui fait droit et il y a la diplomatie qui fait la politique.

Libreinfo.net: Des acteurs politiques de tous bords ont réservé un hommage triomphal aux martyrs-, ils les ont accompagnés jusqu’au cimetière, aujourd’hui ni l’opposition ni la majorité n’en parle, est-ce que le Burkina a oublié ces martyrs ?

Me Farama : Oui je crois que vous avez trouvé la bonne expression, je pense que l’on doit se rendre tous à l’évidence qu’on a oublié ces martyrs. C’est ce qu’on reproche aux hommes politiques. La meilleure des actions, le meilleur hommage que nous puissions leur rendre c’est de nous mobiliser et exiger que justice leur soit rendue, à mon sens vous avez raison. Nous avons oublié nos martyrs cela fait six ans, c’est trop. Je pense que pour moi c’est comme une interpellation à titre personnel, à tous les autres, les hommes politiques, les acteurs de société civile prendront acte de cette interpellation et chacun fera de son mieux pour que justice soit rendue.

Libreinfo.net: Quels sont vos rapports aujourd’hui avec les victimes que vous défendez, est-ce qu’ils ont espoir que justice sera rendue ou est-ce qu’ils ont perdu la confiance ?

Me Farama: Rien ne transparait à l’horizon qui leur permet d’espérer. C’est à titre individuel que quelquefois que je rencontre certaines victimes qui m’interpellent en disant qu’en est-il du dossier ? Je lis quelquefois dans le regard de certains qu’ils ont perdu espoir. Pour d’autres j’ai eu à lire qu’ils sont déçus. Pour revenir à votre mot, j’ai le sentiment que la nation a oublié ses martyrs, qu’ils se sont sacrifiés, j’en veux dire pour rien, pas parce qu’ils attendaient quelque chose en retour mais ils s’attendaient au moins par reconnaissance que leur combat, leur sacrifice eût été plus probant, plus visible que celui que nous constatons aujourd’hui.

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