Le 12 février 2025, le gouvernement burkinabè a examiné et adopté en Conseil des ministres, un projet de loi portant statut de la chefferie coutumière et traditionnelle au Burkina Faso. Libre info rencontré le Pr Albert Ouédraogo, Secrétaire général de l’Association Racines. Il est l’un de ceux qui ont mené, depuis des années, le combat au Burkina Faso pour un statut de la chefferie coutumière et traditionnelle. Son association Racines a joué un rôle important dans l’aboutissement de ce processus. L’enseignant d’université de littérature orale, aujourd’hui à la retraite, nous dit tout ce qu’il sait sur cette question dans cet entretien.
Libreinfo.net: Le gouvernement burkinabè a adopté en Conseil des ministres, le 12 février dernier, un projet de loi portant statut de la chefferie coutumière et traditionnelle. Étiez-vous informé de ce projet de loi ?
Pr Albert Ouédraogo : Je dirais que c’est une décision qui ne m’a pas surpris parce qu’il y a eu tout un processus qui a duré des mois au cours desquels l’autorité a mis en place une commission qui a travaillé sur l’avant-projet du statut de la chefferie traditionnelle et coutumière.
Vous vous souviendrez qu’avec le gouvernement de l’ex-président Paul-Henri Damiba (Ndlr, lieutenant-colonel au pouvoir du 24 janvier au 30 septembre 2022), il y a eu un ministère chargé des coutumes et des traditions dirigé par le ministre Issaka Sourweima. C’est à cette époque-là que cette esquisse avait été faite et qui devait se poursuivre. Quand ce gouvernement du président Damiba est tombé (Ndlr, le 30 septembre 2022), la direction en charge du dossier a été rattachée au ministère de l’Administration territoriale.
Donc, le travail a été rééquilibré, revisité et la commission a continué à travailler. Dans la commission, il y avait les représentants des rois et des émirs, des chefs de cantons de tous les territoires nationaux. Il y avait aussi des universitaires, des chercheurs, des cadres de l’administration publique.
Il y a eu des ateliers, aussi bien à Manga, dans la région du Centre-Sud, à Bobo-Dioulasso, dans les Hauts-Bassins, qu’à Ouagadougou. Et puis on a demandé que ça circule un peu. Donc, on a été dans d’autres localités du pays pour faire évoluer la réflexion sur le statut de la chefferie traditionnelle et coutumière.
Libreinfo.net: Dans quelle ambiance se sont déroulés les travaux ?
Pr Albert Ouédraogo : Au début, il y a eu beaucoup de suspicions, beaucoup de méfiances, surtout de la part des autorités traditionnelles et coutumières, qui se méfiaient un peu de l’approche de l’administration. Il est bon de rappeler que ce n’est pas la première fois qu’on parle du statut de la chefferie traditionnelle et coutumière. La première fois dont on en a parlé, c’était même avant les indépendances, pendant la période coloniale.
Les grands rois avaient décidé qu’ils allaient eux-mêmes rédiger leur statut. Malheureusement, depuis lors, cela n’avait pas pu voir le jour parce qu’au nom de quoi les rois de la région du Plateau central pourraient-ils rédiger un document qui engagerait ceux de Fada N’Gourma ou ceux du Liptako ? Il y a une sorte d’impossibilité congénitale à pouvoir se mettre ensemble et à créer quelque chose au sein d’une nation qui n’existait pas avant le fait colonial. Donc, cette limite ontologique fait que ce n’était pas possible, même si on leur donnait 100 ans en plus.
Passés les premiers moments de méfiance vis-à-vis de l’administration, la confiance a commencé à renaître et chaque fois qu’il y avait eu un point d’achoppement, les représentants des rois et des émirs allaient voir leurs supérieurs hiérarchiques et revenaient pour que les discussions puissent se poursuivre. Donc, c’est à travers les va-et-vient que le document a commencé à voir le jour et qu’on a été très bien avancé jusqu’à aborder maintenant des points qui devenaient sensibles, tels que la hiérarchisation, les privilèges, les immunités et, éventuellement, les impunités.
Ce sont des points qui ont été abordés sans tabou avec les représentants des chefs et, maintenant, il appartient à l’autorité de pouvoir trancher; parce que, quoiqu’il en soit, toutes les propositions ne pouvaient pas être prises en compte. Et on a conseillé à chaque fois d’adopter une posture à minima. Depuis les indépendances, il n’y a jamais eu un statut. Maintenant qu’on est en train de chercher à avoir un statut, il n’est pas opportun de penser que le premier qu’on aura sera le statut le plus parfait. Ce qu’on aura est susceptible d’être perfectible, mais avec le temps. Donc, ce consensus a été plus ou moins obtenu, les travaux ont pu se dérouler jusqu’à un certain seuil où, malheureusement, on a senti que les choses ont commencé à ne plus avancer à la cadence du départ.
Libreinfo.net: Qu’est-ce qui a bien pu provoquer cela ?
Pr Albert Ouédraogo : Ce qui a provoqué cela, c’est qu’à l’intérieur même de la chefferie, il y avait quelques incompréhensions. La grande chefferie avait quelques incompréhensions et cela n’était pas de nature à stimuler l’autorité politique à continuer. Une fois que l’on avait été informé de ces incompréhensions, elles n’avaient rien d’infranchissable. C’était une question de communication.
Parce que quand vous n’êtes pas toujours l’un à côté de l’autre, les informations n’arrivent pas de la même manière. Donc, nous avons pris sur nous, au niveau de notre association (Ndlr, Racines), de voir comment baliser le terrain, aplanir les différends et rassurer l’autorité politique. Et je pense que notre démarche a quand même eu un effet salvateur pour le projet.
Libreinfo.net: Confirmez-vous que le projet de loi est le fruit d’une réflexion participative de tous les rois, les chefs coutumiers et traditionnels du Burkina ?
Pr Albert Ouédraogo : Absolument ! Je confirme et je suis prêt à le défendre devant n’importe quelle tribune, puisque c’est la vérité.
Libreinfo.net: Le projet de loi dit que le chef coutumier ou traditionnel est appelé à faire un choix entre faire de la politique et être chef coutumier ou traditionnel. Certains trouvent cela anormal. Partagez-vous cet avis ?
Pr Albert Ouédraogo : Pas du tout ! Cela a été le combat de notre association (Ndlr, Racines,) depuis plus d’une dizaine d’années, parce que pour nous, il était incongru qu’un chef traditionnel et coutumier affiche son appartenance à un parti politique. Nous le disons parce qu’il ne faut pas croire que le chef est un être angélique, qui n’a pas d’opinion, qui n’a pas ses choix politiques.
Les “Naaba” (Ndlr, terme en mooré, principale langue nationale des Mossé, pour désigner les chefs traditionnels) sont d’essence politique, parce qu’avant que le colon n’arrive, la politique a été faite par les chefs. Donc, on ne peut pas dire qu’ils ignorent la politique.
Ils ont toujours pratiqué la politique. Ils se nourrissent même de la politique ; gérer les hommes, c’est faire de la politique.
Simplement, la politique traditionnelle diffère de la politique moderne, en ce sens que dans la politique traditionnelle, on fonctionne avec une sorte de consensus. Si tout le village doit aller à gauche, tout le village va à gauche avec le chef. Mais ce n’est pas ce qui se passe en démocratie.
Quand le chef est dans son village, la moitié de la population peut être avec lui. Si le chef est d’un parti politique et que ses sujets ne sont pas du même bord politique que lui, peuvent-ils continuer à avoir du respect et de l’égard pour ce chef-là ? Ou bien doivent-ils commencer à prendre leurs distances vis-à-vis de celui qui ne partage pas leurs appartenances politiques ? Donc, ça fait qu’après analyse, nous nous sommes rendus compte que le chef ne peut pas être le plus petit diviseur commun dans une communauté : village, canton, royaume, émirat. Non ! Le chef doit être le plus grand rassembleur commun de sa communauté. Et donc pour nous, il n’était pas question que dans le nouveau statut, les chefs fassent de la politique.
Et on n’est pas les premiers. Si vous allez au Ghana, dans le statut des chefs, ils ne font pas de la politique, ils sont interdits de faire de la politique. La politique, non plus, ne doit pas se mêler de la manière dont les chefs gèrent leur autorité, ni de la manière dont les successions se font d’un trône à un autre.
Ils rendent compte, mais il n’y a pas d’immixtion. Tout ça pour montrer qu’on a besoin que la chefferie, à travers la défense de la culture, ait une certaine autonomie. Et donc, nous avons partagé cette posture avec tous ceux qui ont participé au débat, même si les débats ont été, par moments, très tendus.
Mais on est arrivé à un consensus, à ce que, dans le statut, les chefs ne devraient pas faire de la politique partisane.
Libreinfo.net: Est-ce qu’il y a eu des chefs, traditionnels ou coutumiers, qui s’opposaient au fait qu’on leur demandait de faire le choix entre la politique et la chefferie ?
Pr Albert Ouédraogo : Oui, il ne faut pas se leurrer. Il y a des royaumes qui sont reconnus pour leurs affichages à certains partis politiques du fait de la couleur des rois eux-mêmes.
C’est un secret de Polichinelle. Bien entendu, certains de ces représentants (Ndlr, des rois) estiment que c’est un recul parce que plusieurs fois aussi, il est ressorti que beaucoup de chefs sont entrés en politique parce qu’ils se sont rendu compte que leurs administrés qui sont en politique, parce que députés, ministres, maires, ont tendance à les narguer car, eux, ils ne sont pas dans la politique. Et c’est de nature à affaiblir leur autorité. C’est souvent cet argument que beaucoup de chefs ont utilisé pour justifier leur entrée en politique.
Libreinfo.net: Est-il prévu des mécanismes qui permettront de savoir si un chef coutumier est en train de faire de la politique partisane ou pas ?
Pr Albert Ouédraogo : Mais c’est facile. Vous savez que la politique, c’est comme une grossesse de femme. Ça ne se cache pas. Même si vous entrez dans la nuit noire pour faire de la politique, en réalité, c’est pour que ça sorte en plein jour.
Libreinfo.net: Comment peut-on aujourd’hui organiser ces chefs coutumiers et traditionnels, leur donner un statut et leur dire qu’il n’y aura pas de rémunération pour eux ? Est-ce que ce n’est pas trop demandé aux chefs traditionnels et coutumiers ?
Pr Albert Ouédraogo : À mon sens, non. La chefferie traditionnelle n’a pas attendu que l’Occident vienne en Afrique pour exister. La chefferie traditionnelle n’a pas attendu qu’on invente un salaire pour elle.
La chefferie traditionnelle n’a pas à désormais devenir le vassal d’un salaire qui pourrait ternir sa dignité, son intégrité. Je vous assure que si le projet de loi était sorti avec, ne serait-ce que 100 francs CFA à donner aux chefs, le tollé que ça aurait soulevé dans l’opinion publique, vous n’en avez pas idée. Tout le monde sait que l’argent pervertit et notre société souffre de la perversion de l’argent.
Et vous voulez faire de ces chefs-là des boussoles pour que notre intégrité reluise ? Vous allez les corrompre avec de l’argent ? J’appelle ça de la corruption. Il faut laisser les chefs en dehors de cette approche mercantile.
Par contre, ce pour quoi je suis d’accord, les chefs seront amenés à assumer un certain nombre de rôles et de fonctions dans la société. Et la chefferie traditionnelle et coutumière est appelée à devenir une institution de la République. Nous avons milité pour cela.
Et en tant qu’institution de la République, il nous faut un budget de fonctionnement. C’est tout à fait normal. C’est différent de dire qu’on va trouver la solde à chaque chef et ils sont combien de milliers dans ce Burkina-là ?
Libreinfo.net: Le problème aussi c’est qui entrera dans cette institution et comment ?
Pr Albert Ouédraogo : Mais ça, on le sait. La dévolution du pouvoir dans les chefferies, ce n’est pas quelque chose de secret. Prenez n’importe quelle chefferie, vous verrez qui a droit à la chefferie et comment on y accède. Et donc, qui nomme, qui a le droit de régner sur un territoire et même qui possède un territoire… parce que ce ne sont pas tous les chefs qui ont des territoires. Vous avez des chefferies de complaisance qu’on donne mais qui n’ont aucun aspect administratif et même traditionnel.
Et il y a quelque chose qu’on n’a pas abordé. On parle de chefferie traditionnelle et coutumière, mais les chefferies traditionnelles sont d’essence politique, les chefferies coutumières sont d’essence cultuelle. Par exemple, quand vous prenez le chef de terre, le chef des masques, le chef de l’initiation, ce n’est pas la même chose que le chef du village, le chef du canton, encore moins le roi. Mais toutes ces chefferies-là, il faut les valoriser.
Vous savez très bien que les chefferies coutumières ont très peu de visibilité. Les chefferies qui ont une grande visibilité et qui sont, à la limite même envahissantes, ce sont les chefferies traditionnelles. C’est pourquoi il faut travailler à permettre aux chefferies coutumières d’émerger, parce que c’est souvent dans les chefferies coutumières que se trouve l’essence de nos valeurs d’intégrité.
Et tout est prévu dans le projet de loi. Ça doit faire l’objet de toute la réflexion et figurer dans les décrets d’application.
Libreinfo.net: Dans le projet de loi, on parle également de l’interdiction de l’autoproclamation. Pourquoi on met l’accent sur l’autoproclamation ? Quel est le constat qu’on fait au Burkina et pourquoi on en parle ?
Pr Albert Ouédraogo : J’avoue que j’ai été un peu surpris de voir cela arriver dans le point de presse des ministres, à l’issue du Conseil des ministres. De mon point de vue, ça ne s’imposait pas. Parce que l’autoproclamation ne date pas d’aujourd’hui et a pratiquement toujours existé. Simplement, ces derniers temps, ça a pris une autre coloration du fait de l’intrusion de la politique dans les appareils des chefferies traditionnelles.
Et cela a une histoire. La fameuse démocratie, qu’on nous a plus ou moins fourguée, a besoin que vous ayez le maximum d’électeurs. Or, les rois et les chefs sont des grands électeurs.
Donc, très souvent, qu’est-ce qu’on voit ? Les partis politiques font la cour aux rois et aux chefs. Et quand le parti majoritaire souvent se rend compte qu’il n’a pas la faveur d’un roi, d’une localité donnée, on lui crée un opposant, un nouveau chef, un nouveau roi, et celui-ci va s’autoproclamer. Sinon, l’autoproclamation est interdite, de fait, dans les us et coutumes.
Et donc, si cela a prospéré, il faut accuser les politiques d’avoir accompagné le processus. La dernière règle que nous vivons, c’est ce qui se passe à Fada N’Gourma, malheureusement.
Personne ne voyait les choses arriver. Mais les politiques n’ont pas voulu intervenir vigoureusement pour empêcher la dérive. Et maintenant, on se retrouve avec des rois, avec des difficultés de résolution de conflits de succession, même si des décisions ont été prises par les autorités actuelles.
Libreinfo.net: Est-ce que l’autorité politique a le droit de s’immiscer dans les affaires coutumières?
Pr Albert Ouédraogo : C’est vrai qu’on est en train de faire le statut, mais il n’existe pas encore. Donc, ça ne donne pas l’autorité à l’administration d’intervenir.
Libreinfo.net: Avez-vous donc des inquiétudes pour la suite de cette décision qui a été prise de reconnaître un seul roi à Fada N’Gourma ?
Pr Albert Ouédraogo : Oui, j’avoue que j’ai des inquiétudes. Ce que l’autorité n’a pas créé, elle a du mal à pouvoir le réglementer. Et ce n’est pas la première fois qu’il y a la double proclamation.
À ma connaissance, dans le Yagha, il y avait eu même trois chefs, trois rois, trois émirs. À Dori, il y en avait eu deux. Mais l’autorité politique ne s’était pas mêlée.
Lorsque vous prenez une région aussi large, aussi vaste, aussi riche que l’Est, (Ndlr, une région qui est frontalière avec le Niger, le Bénin et le Togo) qui s’étend au-delà de trois frontières, le moindre problème, là-bas, peut prendre des tournures internationales. C’est pourquoi, en cette période de terrorisme, j’aurais souhaité même qu’on mette balle à terre, pour qu’on trouve un consensus, et qu’on boute le terrorisme dehors, afin de pouvoir gérer nos problèmes domestiques.
Libreinfo.net: Si on estime que ce statut est arrivé au bout d’un consensus, au bout d’un dialogue, n’est-il pas important ?
Non, je n’ai jamais dit que ce n’était pas important parce que je sais que ce que l’autorité recherche, c’est la paix, la quiétude. Mais cette paix et cette quiétude sont durables si elles se fondent sur la légalité et la légitimité. Aujourd’hui, quelle est la légalité et la légitimité de la posture gouvernementale dans ce dossier ? Si jamais une des parties saisissait une autorité judiciaire, je suis sûr que, sans peine, elle aurait raison.
Libreinfo.net: Comment appréciez-vous le rapport entre le pouvoir actuel de la Transition avec les chefs coutumiers et traditionnels?
Pr Albert Ouédraogo : La question mérite d’être posée. Mais ce que je constate, c’est que sans pour autant afficher un prosélytisme, une manière d’attirer à soi les chefs traditionnels, on se rend compte que, quand même, le pouvoir de IB (Ndlr, le Capitaine Ibrahim Traoré, Président du Faso) fascine les chefferies. Il les fascine parce que, d’abord, la plupart des chefs traditionnels sont d’un certain âge.
Et voilà qu’un jeune militaire (Ndlr, le Capitaine Traoré est né le 14 mars1988) arrive et gère le pays, je dirais d’une sorte de main de maître, pour faire sortir le pays des griffes de l’hydre terroriste ; sacrifier sa jeunesse, se mettre à dos certains militaires qui ne voulaient pas mouiller le maillot, prendre des risques par rapport aux pays voisins, au colonisateur, aux puissances impérialistes, risquer tout ce qu’il peut avoir de plus cher au nom du drapeau national, ça fascine.
Si bien que, que tu l’aimes ou que tu ne l’aimes pas, le fait même de le voir, année après année, toujours dans le même treillis militaire, l’austérité dans laquelle il est obligé de vivre, fait que les chefs retrouvent l’intégrité de ce qui est dans le pouvoir traditionnel : servir et non se servir, se sacrifier au nom de l’honneur national.
Et l’engouement que les uns et les autres ont pour tous les mots d’ordre que le pouvoir actuel lance, prouve une seule chose : c’est la sincérité des dirigeants, leur probité. C’est vrai, je ne dis pas que tout le monde est honnête, parce qu’on n’invente pas un peuple du jour au lendemain, mais les brebis galeuses vont être extirpées au fur et à mesure.
Et c’est peut-être cela qui fait qu’il y a une sorte de séduction de la part de la chefferie par rapport au régime de IB. Et pourvu que ça dure, parce que les choses sont très complexes; la population est ce qu’elle est, et les investissements qui sont en train d’être faits, s’ils commencent à porter des fruits, ça va aider le pays à s’en sortir.
Et surtout, avec l’idée lumineuse que les trois pays (Ndlr, Mali, Burkina et Niger) ont eue de se mettre ensemble, peut-être que c’est là aussi qu’il va y avoir la porte de sortie, pas simplement de ces trois pays, mais de l’Afrique.
Libreinfo.net: Tirez-vous donc la conclusion qu’aujourd’hui ces chefs coutumiers et traditionnels sont séduits par la manière dont le pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré est dirigé?
Pr Albert Ouédraogo : Oui, dans leur grande majorité, pour ce que j’observe.
Libreinfo.net: Pensez-vous, aujourd’hui, qu’ils peuvent être un soutien important pour le Président du Faso ?
Pr Albert Ouédraogo : Ils le sont. C’est pas qu’ils peuvent, ils le sont. Parce que depuis la mise en place du recrutement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), essayez de voir quelle est l’implication des chefs pour que ces forces se mettent en place. Qui assure la sécurité dans les villages ? Ce sont les VDP qui sont là, derrière leurs chefs pour défendre leurs villages, leurs cantons. Et de plus en plus, les chefs mouillent le maillot parce qu’il y va de leur honneur. Quand vous observez dans les villages, ce sont les VDP et les “Koglweto” (Ndlr, en langue mooré, les chasseurs traditionnels) qui assurent la sécurité des “basga” (Ndlr, en langue mooré, les fêtes traditionnelles).
Dans la tradition, un territoire est défendu d’abord par son chef. C’est parce qu’on a démilitarisé les chefs qu’aujourd’hui le terrorisme a pu prospérer. Mais imaginez que dans la réhabilitation des chefs, on accorde une petite force de défense aux différents chefs. Vous verrez qu’on ne rentrera plus comme dans une passoire pour effrayer les populations à l’intérieur de nos contrées.
Libreinfo.net: Qu’est-ce que les chefs coutumiers et traditionnels gagnent finalement comme privilèges ou intérêts dans ce nouveau projet de loi ?
Pr Albert Ouédraogo : Ce que les chefs gagnent, je vous l’ai dit, c’est le fait de servir et de ne pas se servir. Leurs ancêtres l’ont fait, leurs arrières-grands-parents l’ont fait. Ils héritent d’une charge, et ça s’appelle une charge. Ils n’héritent pas d’un privilège.
Et donc, ce sont des soucis qu’ils ont, mais c’est aussi ça le fait du pouvoir traditionnel. En retour, les populations leur donnent beaucoup de respect, leur accordent beaucoup d’égards. Mais vous savez, pour un chef, comme on dit souvent chez les Mossé, il suffit de glorifier un chef, et puis il devient votre esclave. Les chefs se nourrissent du prestige, de l’honneur, du respect qu’on leur fait. .
Libreinfo.net: En un mot, que diriez vous de ce projet de loi?
Pr Albert Ouédraogo : Pour l’instant, ce n’est qu’un projet de loi. Il y a encore beaucoup de choses à faire, à définir, à préciser, mais pour moi, je me réjouis que cela ait enfin vu le jour, parce que ce n’était pas évident. Or, si on ratait le coche de la Transition, pour que ce projet de loi sorte, je n’avais plus d’espoir qu’un jour ça verrait le jour. Donc, c’est vraiment une grande première, faisons en sorte de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Et le Burkina, au regard de l’ancienneté de sa chefferie, de la substance de sa chefferie, mérite d’avoir un statut qui puisse mettre cette chefferie-là en lien, en phase avec notre modernité et avec notre Constitution.
Libreinfo.net: On précise que ça a été votre combat depuis des années.
Pr Albert Ouédraogo : C’est vrai ! Ça a été un de mes combats, parce que j’en ai mené plusieurs. Et la question de la chefferie, je pensais que ce n’était pas parce que les Français ont décapité leur roi et leur reine, qu’ils vont venir nous imposer leurs manières de faire, que nous devrions devenir des Français. En Europe, il y a des démocraties qui existent, qui n’ont pas fait la même chose.
Vous avez l’Angleterre, le Danemark, les Pays-Bas, etc., où il y a des rois et des reines. Est-ce qu’ils sont pour autant autocratiques ? Non. Ce n’est pas parce que notre colonisateur a établi une façon de faire que nous devons le suivre dans toutes ses dérives.
C’est vrai que tous les chefs ne sont pas des modèles, mais si on réhabilite la chefferie, ça va permettre de réhabiliter certains chefs, et ça va permettre à la société d’avoir des repères. Et toutes les dérives qu’on a aujourd’hui, c’est parce que, quelque part, nous avons mis de côté nos valeurs ancestrales.
Donc, peut-être qu’en réhabilitant cette tradition-là, cela va nous permettre de retrouver un peu le chemin.
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