L’agriculture de contre saison occupe une place importante au Burkina Faso et ses acteurs doivent être accompagnés. Ainsi, le 9 novembre 2022, le gouvernement a-t-il décidé de financer les activités de ce secteur à hauteur de 10 milliards de F CFA. Comment le monde rural a-t-il accueilli cette nouvelle ? Dans cette interview accordée à Libreinfo.net, M. Bassiaka Dao, agriculteur dans la région des Hauts Bassins et président du Conseil d’administration de la Confédération paysanne du Faso donne son appréciation.
Propos recueillis par Nicolas Bazié
Libreinfo.net : Qu’est-ce qu’une agriculture de contre saison d’après vous ?
Bassiaka Dao : Au Burkina Faso, nous avons deux saisons, une pluvieuse et l’autre sèche. L’agriculture de contre saison est celle qui se mène pendant la saison sèche grâce à la maîtrise de l’eau. Quand on parle de contre saison c’est qu’il n’y a plus de pluie et vous avez le volet de la maîtrise de l’eau. L’agriculture de contre saison nous permet, effectivement, avec la maîtrise des eaux de surface et celles de la nappe phréatique, de produire sans la contribution directe de la pluie.
Libreinfo.net : Quelle place l’agriculture de contre saison occupe-t-elle au Burkina?
Bassiaka Dao : L’agriculture de contre saison a une très grande place au Burkina Faso puisqu’elle permet à l’acteur d’être en activité en permanence, soit 12 mois sur 12 du moment où vous avez la maîtrise de l’eau et ne dépendez plus de la pluviométrie.
A toute période de l’année, tout ce que vous voulez produire, que ce soit le maïs, la tomate, la patate, l’arachide et le manioc, vous pouvez le produire. Donc, sa place est plus importante même que l’agriculture pluviale parce que l’agriculture pluviale a trop d’aléas qu’on ne maîtrise pas.
Le jour où il plaît à Dame nature, il pleut et le jour où cela ne lui plaît pas, il ne pleut pas. Alors qu’avec l’agriculture de contre saison, vous avez une maîtrise totale de ce que vous êtes en train de faire et vous pouvez faire une planification pour atteindre vos résultats.
Libreinfo.net : Quelles sont, selon vous, les difficultés que rencontre l’agriculture de contre saison au Burkina Faso ?
Bassiaka Dao : Il y a deux principales difficultés qui sont l’insuffisance de la maîtrise des eaux de surface et l’insuffisance de la chaîne des valeurs, c’est-à-dire la transformation.
L’agriculture de contre saison s’articule autour de la production céréalière, notamment le riz, le maïs, la patate douce et autres produits céréaliers et légumineuses.
Mais sa plus grande contribution s’articule autour des cultures maraîchères. Et ces cultures maraîchères, à une certaine période inondent les marchés.
Il y a, effectivement, une insuffisance de la transformation, de la conservation et de la distribution. Voilà les grandes difficultés de l’agriculture de contre saison.
Si on arrive à maîtriser les eaux de surface et à développer la transformation, la conservation et la distribution des produits de l’agriculture de contre saison, je pense que nous allons atteindre la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Si vous n’avez pas l’eau, comment allez-vous pratiquer l’agriculture de contre saison ? Si vous n’avez pas de grands forages agricoles, comment allez-vous le faire ?
Donc, il va falloir qu’on pense à réaliser des forages agricoles à gros débits qui permettront aux acteurs sur le terrain de pouvoir travailler.
L’agriculture de contre saison, en dehors de ces difficultés, est confrontée à la source des revenus parce que, qu’on le veuille ou non, chaque jour, les ménagères vont au marché et ramènent toujours de l’oignon, de la tomate, de la carotte, des concombres et beaucoup d’autres produits maraîchers.
A partir de ce moment, tous ces produits peuvent aussi aller à l’exportation dans les pays voisins. Donc, nous souhaitons que cette agriculture soit développée.
Elle n’est pas comme l’agriculture pluviale dont les activités s’arrêtent lorsque la pluie s’arrête et dont vous ne vendez qu’une fois les produits dans l’année.
Lorsque vous produisez du maïs de juin à novembre, vous ne pouvez que les vendre en janvier et attendre la même période de l’année prochaine pour produire et revendre.
Mais, avec l’agriculture de contre saison, vous avez assez de productions et de rotations de cultures. Déjà, à partir de novembre, vous pouvez commencer à semer du haricot vert. ; et en janvier, vous pouvez semer du maïs sur la même parcelle et d’ici avril vous pouvez semer autre chose. Voilà comment se fait l’agriculture de contre saison et je pense que c’est la meilleure.
Libreinfo.net : En conseil des ministres dernier, le 9 novembre 2022, le gouvernement a décidé d’accompagner l’agriculture de contre saison à hauteur de 10 milliards de F CFA. Comment, déjà vous-même, vous accueillez la nouvelle ?
Bassiaka Dao : Nous avons accueilli cette nouvelle avec joie et enthousiasme. Nous commençons d’abord par remercier ce gouvernement qui a pris le taureau par les cornes.
C’est pour cela que la Confédération paysanne du Faso a apprécié à sa juste valeur cette décision du gouvernement à accompagner l’agriculture de contre saison à hauteur de 10 milliards de francs CFA.
C’est du réalisme ; à partir du moment où nous avons plus de 40% de notre territoire occupé par des terroristes qui étaient auparavant habité par des producteurs qui, aujourd’hui, ont faim et n’ont pas d’activités.
Avec ces 10 milliards de F. CFA qui seront mobilisés et mis à la disposition des braves acteurs du domaine, il y aura des forages et des retenues d’eau qui vont permettre à ces acteurs de travailler pour mieux s’en sortir.
C’est à nous, maintenant, de voir comment structurer cette vision avec l’implication de tout un chacun, tout en sachant ce qu’on va faire avec ces 10 milliards de F CFA et qui doit en profiter.
Libreinfo.net : Est-ce qu’avec l’agriculture de contre saison, on peut espérer atteindre l’autosuffisance alimentaire ?
Bassiaka Dao : Nous pouvons atteindre l’autosuffisance alimentaire et aller même jusqu’à l’exportation, avec l’agriculture de contre saison. C’est une agriculture qui permet à l’acteur de travailler toute l’année.
Si celui qui travaille durant 365 jours sur 365 jours de l’année n’arrive pas à s’en sortir, ce n’est pas celui qui va travailler seulement 3 mois qui va s’en sortir.
L’agriculture de contre saison nous permettra, effectivement, d’atteindre la souveraineté et l’autosuffisance alimentaires parce que tous les acteurs, que ce soit au niveau de la distribution ou de la production ou encore de la transformation, travaillent et à tout moment, ils ont des produits de première nécessité.
Libreinfo.net : Quels sont les types de cultures que l’on peut faire dans l’agriculture de contre saison ?
Bassiaka Dao : Nous avons le maïs, le riz, la patate douce, la pomme de terre, l’oignon et autres cultures maraîchères; nous avons même l’arboriculture parce qu’on peut irriguer les manguiers et les vergers avec l’agriculture de contre saison pour que les arbres produisent bien.
Donc, toute culture est possible si la maîtrise de l’eau y est totale et si nous avons suffisamment de ressources en eau. Cela dépend seulement de la planification de la production et de la rotation des cultures sur les parcelles.
Même le coton peut être produit en irrigation mais sa rentabilité laissera à désirer ; sinon, on peut faire toutes sortes de cultures. Que ce soit la banane, les agrumes, on peut tout produire avec l’agriculture de contre saison, à condition d’avoir suffisamment d’eau.
Si vous voyez aujourd’hui que le Maroc a pu inonder les marchés de la planète avec sa production, c’est parce qu’il a une maîtrise de l’eau. Les agriculteurs ont suffisamment d’eau dans chaque ferme, dans chaque exploitation, ce qui leur permet de produire durant toute l’année.
Quand vous prenez les grandes nations, il y a moins de 15% de leurs populations qui se retrouvent dans le secteur de l’agriculture mais elles arrivent à nourrir toutes leurs populations et à dégager des excédents qui viennent noyer nos marchés et qui nous empêchent de produire.
Si les autres nations arrivent à le faire, le Burkina Faso ne doit pas être en reste.
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