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Kenya : Le peuple dit non, le président capitule…

Manifestations au Kenya

Le  président de la République du Kenya, William Ruto, a capitulé ce 26 juin 2024 face à la détermination de la jeunesse de son pays, en contestation ouverte contre le projet de budget 2024-2025 qu’il voulait faire adopter par le Parlement. La mobilisation de la « Génération Z » contre ce texte qui prévoit des hausses d’impôts a sombré dans de terribles violences qui ont fait 22 morts. Dans un souci d’apaisement, le chef de l’État annonce le retrait du projet et appelle à une concertation nationale avec la jeunesse…

Par Serge Mathias Tomondji

« Quand il faut dire non, il faut dire non », chante Zêdess sur un air de reggae avec un engagement soutenu. Au Kenya, la jeunesse a estimé qu’il fallait vigoureusement dire non au projet de loi de finances proposé par le gouvernement en raison des taxes supplémentaires qu’il annonce, et elle est allée au bout de sa contestation. Une contestation qui a vu les smartphones opposés aux gaz lacrymogènes et aux canons à eau dans les rues de Nairobi, et jusque dans l’enceinte du Parlement. Au final, face à la détermination de la jeunesse de son pays, le président kényan, William Ruto, capitule !  

« Le peuple a parlé (…) Après avoir écouté attentivement le peuple kényan, qui a dit haut et fort qu’il ne voulait rien avoir à faire avec ce projet de loi de finances 2024, je m’incline et je ne promulguerai pas le projet de loi de finances 2024, qui sera par conséquent retiré », a notamment indiqué le chef de l’État ce 26 juin à Nairobi. Attitude sans doute sage, d’un président qui veut donner l’image d’être à l’écoute de son peuple…

Malheureusement, cette déclaration intervient suite aux folles journées qui ont embrasé le pays, faisant 22 morts selon l’organe officiel de protection des droits humains (KNHRC). Point culminant de cette vague de protestation contre les nouvelles taxes prévues dans le projet de budget, le mouvement « Occupy Parliament » (« Occuper le Parlement ») porté par des jeunes nés après 1997, et qui se font appeler la « Génération Z ». Leurs armes ? Les réseaux sociaux, notamment TikTok, sur lesquels ils postent en direct des vidéos de leur combat. 

Non aux nouvelles taxes !

Et lorsque « la foule a pris d’assaut le complexe abritant l’Assemblée nationale et le Sénat, saccageant et incendiant certains bâtiments, dans une attaque inédite dans l’histoire du pays indépendant depuis 1963 », le pouvoir a vu rouge. L’attitude de fermeté adoptée par le gouvernement depuis le début de ce bras de fer s’est à nouveau manifestée avec des « tirs à balles réelles » sur les manifestants. Résultat des courses — et même si certaines taxes ont été entre temps retirées du projet — « Nairobi et plusieurs villes ont été le théâtre de pillages », tandis que des bâtiments ont également été incendiés.

Manifestations au Kenya
Manifestations au Kenya

Pourtant, indique le gouvernement, « ces mesures fiscales étaient nécessaires pour redonner des marges de manœuvre au pays, lourdement endetté ». En effet, la dette publique du Kenya représente environ 70% du PIB et, selon les chiffres officiels, plus d’un tiers de ses 52 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté. L’Exécutif comptait donc sur les recettes qu’allaient générer les nouvelles taxes pour « financer son ambitieux budget 2024-2025 », en visant un record de dépenses estimé à 4 000 milliards de shillings (29 milliards d’euros, soit 19022,753milliards de francs CFA).

« Ruto doit partir ! »

Mais la « Génération Z » en a décidé autrement ! Ces jeunes, qui affirment ne pas vouloir hériter de la peur inculquée à leurs parents par les dirigeants du pays, sont restés vent debout contre ce projet de budget, présenté au Parlement le 13 juin dernier. L’abandon, dès le 18 juin, de la plupart des mesures fiscales envisagées, notamment « une TVA de 16% sur le pain et une taxe annuelle de 2,5% sur les véhicules à moteur », n’y a rien fait. Le mouvement s’est, au contraire, durci d’autant que pour les contestataires, le retrait de ces mesures est remplacé, entre autres, par « une hausse de 50% des taxes sur les carburants ».

Une manière pour le gouvernement de reprendre de la main gauche ce qu’il donne de la main droite, que cette jeunesse a tôt fait de psychanalyser. « Nous voulons nous défendre, nous voulons décider de notre avenir », annoncent-ils fermement. Le ton est donc monté et les appels pour une démission du président William Ruto se sont multipliés. « Ruto must go !» (« Ruto doit partir !»), ont ainsi scandé les jeunes pour réclamer le départ de ce président élu en août 2022 sur sa promesse de « défendre les plus modestes mais qui a ensuite accru la pression fiscale sur la population ».

Le  président de la République du Kenya, William Ruto
Le  président de la République du Kenya, William Ruto

Malgré cette victoire dans le bras de fer qui l’oppose au pouvoir, la « Génération Z » reste quelque peu circonspecte, estimant que cette reculade du président William Ruto n’est qu’une « opération de com », selon les mots de la journaliste et militante Hanifa Adan, une des figures de la contestation. « Le projet de loi est retiré mais allez-vous rendre la vie à tous ceux qui sont morts ? », s’est-elle également écriée, demandant au surplus à ses compatriotes de… ne pas pardonner.

Vous avez dit révolution ?

Pendant ce temps, le chef de l’État kényan propose, dans son adresse de ce 26 juin, une concertation nationale avec la jeunesse afin de trouver une solution consensuelle au problème que crée le retrait du projet de budget. « Puisque nous nous sommes débarrassés du projet de loi de finances 2024, il est nécessaire d’avoir une conversation en tant que nation à l’avenir », a-t-il indiqué. La question centrale est maintenant de gérer la situation d’endettement du pays et, pour ce faire, William Ruto compte proposer « un engagement avec les jeunes de notre nation, nos fils et nos filles ».

Pour l’instant, les jeunes maintiennent la pression et réclament justice pour les vies perdues au cours de ces violentes revendications. L’envahissement et le saccage du siège du Parlement kényan, le 25 juin dernier, n’est pas sans rappeler les situations similaires au Burkina Faso, en 2014, et aux Etats-Unis, en 2021. Les motivations et les causes ne sont pas les mêmes, les conséquences non plus, mais dans chacun des cas, les locaux du Parlement ont essuyé la colère d’une partie de la population, des vies ont été sacrifiées, les fondements de la nation ont été ébranlés.

Les dirigeants kényans doivent donc prendre la mesure de ces manifestations qui traduisent éloquemment la colère et le ras-le-bol d’une jeunesse plutôt désabusée, en quête de meilleures conditions de vie. Et comme l’a indiqué à cet effet, le 17 juin dernier, l’éditorialiste Macharia Gaitho dans le journal Daily Nation, « le Kenya est mûr pour une révolution » ! Il n’est donc pas improbable, avait-il encore averti, que ce mouvement ébranle « les fondements d’un État qui n’écoute pas le peuple et ne se soucie pas de ses préoccupations »

Un avertissement sans frais pour l’État kényan, d’autant que, il ne faut pas l’oublier, c’est l’annonce de l’augmentation du prix du pain, le 19 décembre 2018, qui a provoqué une vague de manifestations au Soudan, entraînant par la suite la chute du régime d’Omar el-Béchir, au pouvoir depuis le coup d’État de 1989. Quand l’histoire fait tilt !


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