Trente trois ans après l’assassinat du père de la révolution burkinabè, Thomas Sankara n’a rien perdu de sa célébrité, son idéal reste d’actualité, la jeune génération tient le flambeau avec hargne. De l’Afrique en Amérique latine en passant par l’Europe Sankara est plus que jamais adulé. En 2016,le Burkina Faso a lancé un gigantesque projet à la mémoire de l’homme. Il s’agit du Mémorial Thomas Sankara estimé à 35 milliards de FCFA. L’ouvrage est conduit par l’architecte burkinabè, Francis Kere. Un très grand architecte qui est au sommet de son art. Mondialement connu pour ses œuvres, celui ci va apporter son expertise à la réalisation du Mémorial. Dans une interview accordée à Libreinfo.net, Francis Kere dévoile le projet.
Propos recueillis par Albert Nagreogo
Que vous inspire le Mémorial Thomas Sankara ?
Un sentiment de grande fierté et d´honneur mais surtout c’est une grande responsabilité de pouvoir imaginer un projet à l’honneur de ce grand homme.
Qu’est-ce que ça vous fait aujourd’hui de porter le projet d’architecture du Mémorial Sankara, un homme dont la renommée traverse le temps ?
Quand j’étais jeune, j’ai constaté que Sankara ne laissait nul indifférent, en effet il a touché à tous les domaines de la vie du Burkinabè. Par exemple je me souviens de toutes les cités de logements qu’il a initié quand j’étais moi-même écolier au Burkina. En tant qu’architecte aujourd’hui je peux dire avoir été inspiré par le fait que de la terre ai été utilisée pour construire des logements de fonctionnaires. Cette idée, sankariste d’utiliser nos ressources locales m’a beaucoup influencé et toujours accompagné dans ma carrière.
Vous conduisez le pool des architectes pour la réalisation du Mémorial Sankara, parlez-nous de ce pool.
Après le concours qui s’est terminé comme on le sait, conduisant à un rejet du projet qui avait été choisi, j’ai été approché par le CIM-TS (Comité international du mémorial Thomas Sankara), ils étaient à la recherche d’une idée unique pour ce projet en me demandant d’y réfléchir et de prendre la tête d’un pool d’architecte pour imaginer, piloter et réaliser cet ambitieux projet à la mémoire du Président Thomas Sankara.
Qui sont les architectes qui composent votre pool?
Il s’agit du cabinet CAURI basé à Ouagadougou et le cabinet la Soudanaise de Bamako, qui avaient déjà participé au concours.
Trente cinq (35) milliards de FCFA pour la réalisation du projet, qu’est ce qui explique ce coût ?
Ce projet est visionnaire et inclusif. Il ne s’agit pas simplement d’une statue et d’un mémorial ! Mais nous prévoyons de construire un des plus grands parcs urbains d’Afrique de l’ouest, un véritable poumon vert capable d’accueillir de grands événements et d’offrir un lieu de rencontre, de récréation et de partage pour la ville de Ouagadougou. Le projet inclus des infrastructures tel qu’une grande salle polyvalente, des ateliers de production artisanales, un musée et des salles d’exposition temporaire, une médiathèque et une bibliothèque… une infrastructure culturelle à la hauteur d’une capitale urbaine africaine. Aussi, nous proposons de construire la tour Thomas Sankara au-dessus du lieu de son assassinat, une tour de 87 m de haut équipé d’une rampe et d’un ascenseur suspendu permettant d’accéder à une plateforme panoramique offrant une vue à 360 sur la ville.
Il y a enfin la salle de la mémoire construite autour du bâtiment devant lequel Sankara et ses camarades ont été assassinés.
Bien entendu, des parkings et voiries ont été planifiés pour les visiteurs et les riverains. Ce projet et le coût en découlant sont à l’échelle de la ville de Ouagadougou, du Burkina-Faso et du continent africain.
La réalisation du projet se fera en plusieurs phases et en fonction de la disponibilité des fonds. La première étape sera d’aménager le parc et les alentours de la statue ainsi que la salle de la mémoire, dans un second temps les bâtiments accueillants les autres fonctions seront construits et enfin la tour.
L’on dit que c’est un projet aussi écologique, c’est votre « marque de fabrique d’ailleurs », pourquoi vous avez fait cette option ?
Sankara était un précurseur ! Bien longtemps avant que l’écologie ne devienne une préoccupation globale, dans les années 80 il avait déjà le souci de lutter contre la désertification, de stopper l’avancer du désert en lançant des campagnes massives de reboisement sur toute l’étendue du territoire Burkinabè. Un des projets phares était la création de la ceinture verte pour contenir la ville de Ouagadougou. Un mémorial à l’honneur de ce visionnaire ne peut qu’épouser les thèmes qui lui était chers et qui aujourd’hui représentent une telle urgence sur l’agenda politique de toute la planète. Il était essentiel pour nous, de développer ce projet dans une logique de durabilité. Avec le fait de recueillir les eaux de pluies pour irriguer le parc, il est prévu d’utiliser les des sources d’énergie renouvelable comme l’énergie solaire, pour ce qui est de la construction nous voulons dans la mesure du possible introduire des matériaux naturels et durables. Le projet devra être exemplaire et représenter une vitrine des possibilités architecturales écologique en Afrique sub-saharienne.
Quelle sera la particularité architecturale de ce Mémorial comparativement à beaucoup d’autres sur le continent ?
Le projet sera unique : il se veut emblématique, inspirant et innovant. Il sera là pour pousser les Burkinabè à continuer de vivre le rêve de Thomas Sankara, à créer et à se mettre au-devant de la scène continentale dans toutes les professions et savoir-faire.
Que représente Thomas Sankara pour vous ?
Avoir été élève sous Thomas Sankara, à voir eu la chance de voyager à travers le monde et d’y rencontrer des gens inspirés par le Président me permet de dire que Thomas Sankara est une véritable icône planétaire. C’est ma plus grande idole ! Au vu du manque d’orientation que la jeunesse du continent rencontre aujourd’hui, Thomas Sankara reste une des références majeures. Sankara par ses actions et sa politique a touché toutes les couches sociales dans l’ensemble du territoire burkinabé. Ici, je me permets de citer un imminent chercheur de notre pays, le docteur Saidou Ra- Sablga Ouédraogo qui a dit : « C’est Sankara qui a inventé le Burkinabé, il est le père de la nation ».
Trente trois (33) ans après l’assassinat de Sankara, il n’y a toujours pas justice, que pensez-vous de ce fait ?
C’est triste que 33 ans après, il n’y ai toujours pas justice. C’est en réalité un grand scandale ! Cependant ce qui me rassure aujourd’hui c’est que la parole est libre, et que l’on puisse ériger une statue du capitaine sur les lieux où il a été abattu, qui devient le monument le plus visité du pays… c’est un bon début. L’espoir est là, mettre la lumière sur l’assassinat n’est qu’une question de temps et je crois que la justice sera faite.
Malgré le temps qui passe, Sankara reste plus que jamais présent dans la mémoire de tout le continent africain et même au de là, qu’est ce qui garde la flamme Sankara allumée à votre avis ?
L’exemplaire engagement personnel du Président ainsi que sa politique visionnaire dans tous les domaines font qu’il représente encore aujourd’hui un exemple d’actualité.