Le 28 novembre 2024, c’est à quelques heures d’intervalle que les dirigeants de deux pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont annoncé qu’ils ne souhaitaient plus une présence militaire permanente de la France sur leur sol. Ces deux pays, le Tchad et le Sénégal, font partie du noyau des partenaires parmi les plus proches de la France depuis leur indépendance. Mais leurs trajectoires politiques et sécuritaires internes sont très différentes et leurs réalités politiques actuelles aussi.
Le Tchad est depuis les années 1980 le terrain d’action privilégié de l’armée française au cœur du continent africain. Les opérations extérieures qui devaient au départ être limitées dans le temps, notamment pour contrer les ambitions territoriales de la Libye à l’époque et défendre la souveraineté tchadienne, sont devenues permanentes, selon le Think tank citoyen Wathi.
L’armée française est intervenue directement à plusieurs reprises pour sauver le régime de feu Idriss Déby Itno face aux avancées de groupes rebelles. Elle s’est appuyée quelques années plus tard sur les soldats tchadiens, rompus à la guerre dans le désert et prêts à subir des pertes importantes, lors de l’intervention militaire française au Mali en 2013.
Le fils du président Déby Itno, Mahamat Déby, qui a succédé à son père après la mort brutale de ce dernier en avril 2021, a été le commandant en second des troupes combattantes tchadiennes au Nord-Mali, aux côtés des soldats français.
Le Think tank Wathi estime que la France a politiquement favorisé la légitimation du jeune général Mahamat Déby comme chef d’État, président de Transition, puis comme président élu au terme d’une élection qu’il ne pouvait pas perdre, comme feu son père pendant 30 ans.
Pour une grande partie de la jeunesse tchadienne, et de la population de manière générale, l’influence de la France sur la politique intérieure de leur pays, dont la présence militaire était l’illustration la plus visible et explicite, est associée au maintien du Tchad dans les mains d’un même clan depuis plus de trois décennies.
Il n’y a pas de doute qu’en prenant la décision de mettre fin à l’accord de défense et à la présence militaire française au Tchad, Mahamat Déby savait qu’il allait être applaudi par la jeunesse tchadienne et même par ses adversaires les plus résolus.
Cela peut être très utile à l’approche d’élections législatives prévues le 29 décembre prochain. Mais cette décision se justifie sans doute aussi par la volonté réelle du régime de N’Djamena d’avoir les mains libres pour décider d’un nouvel équilibre entre les partenaires extérieurs qui pourraient l’aider à consolider durablement son pouvoir.
Ces partenaires sont nombreux à frapper à la porte, le plus surprenant étant sans doute la Hongrie, pays de l’Union européenne dirigé par Viktor Orban, qui a reçu Mahamat Déby en visite officielle en septembre dernier.
N’Djamena a aussi montré des signes de rapprochement avec la Russie ces derniers mois. Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, était de passage en juin dernier dans la capitale tchadienne, après une visite du président Déby en janvier à Moscou.
Autant de messages plutôt clairs pour signifier à Paris que la France ne devrait plus se considérer en terrain conquis. Les autorités tchadiennes ont affirmé qu’elles n’entendaient point remplacer un maître par un autre et on peut en fait les croire.
Il s’agit sans doute davantage de considérer que des accords bilatéraux militaires avec plusieurs pays peuvent davantage servir leurs intérêts politiques propres et l’intérêt général du Tchad qu’un lien quasi exclusif avec l’ancien pays colonisateur, particulièrement impopulaire.
Même si les contextes politiques au Tchad et au Sénégal sont incomparables, le nouveau pouvoir sénégalais étant issu d’un processus démocratique incontestable, la volonté de tourner la page de relations bilatérales privilégiées qui s’inscrivent dans la continuité des relations entre pays colonisateur et pays colonisé est la même.
Les effectifs et les moyens militaires français au Sénégal n’ont jamais été aussi importants qu’au Tchad et le président Abdoulaye Wade avait demandé et obtenu une réduction significative de cette présence militaire.
Les 350 militaires français encore présents sont essentiellement affectés à des missions de formation à l’échelle régionale. Mais une présence permanente même limitée reste une présence permanente et a des implications politiques et symboliques réelles.
Les dirigeants sénégalais ont tout à fait le droit de demander non pas une nouvelle réduction des effectifs mais la fin de la présence permanente.
Le degré de sincérité et d’honnêteté intellectuelle des acteurs politiques qui portent le discours sur la souveraineté en Afrique de l’Ouest est très variable, mais le besoin de se libérer de relations privilégiées nées d’une colonisation qui, du point de vue des Africains, est associée au crime, à l’humiliation, au racisme, est irrépressible.
Il faut cependant savoir que la fermeture des bases militaires françaises au Tchad et au Sénégal, et qui sait, en Côte d’Ivoire et au Gabon à court ou moyen terme, ne dit rien des perspectives politiques et sécuritaires dans les pays concernés.
Peut-être que le bénéfice le plus important de la fin programmée des bases militaires françaises est qu’elle permettra de sortir de la fixation obsessionnelle d’une partie trop importante des jeunes et des pays africains francophones sur l’influence de la France.
Dans un monde angoissé et rude, ce serait une grave erreur de laisser guider ses actions par la passion, la colère, les envies de revanche, voire de vengeance par rapport au colonialisme et au néocolonialisme.
Wathi conclut qu’il ne faut rien lâcher sur le terrain de l’exigence de vérité et de reconnaissance des crimes de la colonisation comme le Sénégal le fait au sujet du massacre de Thiaroye.