Maître Prosper Farama est un avocat inscrit au barreau du Burkina. C’est un avocat qui défend aujourd’hui plusieurs dossiers de justice de crime de sang comme ceux de Thomas Sankara, Norbert Zongo et bien d’autres. Après les derniers développements sur la justice Burkinabè notamment l’arrêt de travail que les avocats avaient observé en passant par la décision de la cour de cassation française à extrader François Compaoré aux nécessaires questions de réforme de la justice, www.libreinfo.net s’est entretenu avec l’avocat. Celui-ci ne cache pas son envie à voir le Général Isaac Zida extradé vers le Burkina Faso. Lisez cet entretien réalisé par Siébou Kansié.
Libreinfo.net La cour de cassation française a validé le 4 juin dernier l’extradition de François Compaoré vers le Burkina pour être entendu dans l’affaire Norbert Zongo. Comment vous avez accueilli cette nouvelle en tant qu’avocat de la famille du défunt ?
Maitre Prosper Farama (PF) : Il faut dire avec un brin de satisfaction et avec beaucoup de sérénité. Satisfaction parce que, c’est une étape supplémentaire vers l’extradition. Avec sérénité aussi parce que nous sommes conscients que cette étape ne signifie pas que dès demain, François Compaoré sera à Ouagadougou. Il faut rester serein et attendre que la procédure aille jusqu’à son terme puisque les avocats de François Compaoré ont toujours la possibilité au cas où le décret de l’extradition est pris par le gouvernement français, de l’attaquer sur le côté administratif. Donc, on est encore loin de l’issue de cette procédure. Voilà donc pourquoi, moi, je suis patient, serein et confiant aussi.
Li: Le procès du putsch avait été suspendu suite à un mouvement d’humeur des avocats, celui du dernier gouvernement de Blaise Compaoré attend aussi probablement la fin du procès du putsch pour être repris. Comment vous trouvez le fonctionnement de la justice ?
PF : Vous me permettrez d’y revenir, nous avons parlé des avocats, nous avons parlé des blocages du système judiciaire mais, nous ne parlons pas suffisamment de la responsabilité de ce régime-là dans ces blocages. Parce qu’on a l’impression qu’on remet cela uniquement sur la tête des acteurs. Si les acteurs sont en mouvement, c’est parce que quelque part, les choses ne vont pas. Moi, ce que je constate malheureusement, c’est que le Burkina est en train de cumuler des records de médiocrité. Il y a quelques années de cela, on disait que nous avons fait le coup d’État le plus idiot du monde. Mais là, je pense que nous sommes en train d’expérimenter l’un des gouvernements le plus médiocre de l’histoire du Burkina.
Moi, je n’ai jamais vue un gouvernement aussi incapable. Mais regardez, ce n’est pas que la justice. Parce que quand on parle, on a l’impression qu’il n’y a qu’à la justice que ça ne va pas. Moi, je vais vous poser la question à l’envers. Donnez-moi un seul pan de la société burkinabè où les choses vont bien ? Aucun pan !
Que ce soit sur le plan politique, sur le plan économique, sur le plan social, sur le plan sportif, à tous les niveaux, le Burkina a atteint le seuil de nullité jamais expérimenté. Mais je crois qu’à un moment, il faudra que le président Roch Marc Christian Kaboré, se rende à l’évidence d’une chose. Écoutez : s’ils ne sont pas capables de gérer le pouvoir, il va falloir à un moment donné qu’ils le lâchent. Je vais vous donner un exemple typique. Moi, si vous me posez la question aujourd’hui de savoir : quelle est la politique du gouvernement MPP en matière de justice, je ne la connais pas. Je vous mets, à défi de me dire quelle est la politique du MPP en matière de justice ? Nul ne sait ! Donc, on navigue à vue.
Remarquez une chose dont on ne parle pas assez. Qu’en est-il de l’affaire de l’insurrection populaire dont les morts ont précédé ceux du putsch manqué ? Mais on ne nous parle pas de l’affaire de l’insurrection populaire. On a l’impression que ce gouvernement, n’a qu’à l’esprit, l’affaire du putsch. C’est-à-dire qu’une fois l’affaire du putsch est jugée, pour eux, c’est fini. Autant on met de l’énergie à juger le dossier du putsch qui est à saluer, si on mettait avec la même énergie, de l’ordre dans la justice ordinaire à juger l’affaire de l’insurrection populaire, je pense que le Burkinabè comprendra que, ce régime est de bonne foi.
On a l’impression que dans l’affaire de l’insurrection il y a comme un deal où eux, en tant que membres du MPP, ils y sont impliqués. Zida y est impliqué, on ne sait pas quel deal ils ont fait avec lui, on ne parle pas de son extradition ; on nous parle de l’extradition de François Compaoré. Mais jusqu’à présent, on ne nous parle pas de l’extradition de Zida. Pourquoi ? C’est deux poids deux mesures et ça aussi, je pense qu’il faut avoir le courage de le dénoncer. C’est pourquoi je dis, je m’excuse mais, ce régime-là, très franchement, je pense qu’il est nul.
Li: Si vous étiez de l’exécutif, quelles seront les pistes de réflexion sur lesquelles vous vous seriez appuyé pour remettre les choses en place au niveau de la justice ?
PF : Écoutez : moi, je n’aurais jamais pu être de cet exécutif-là ! Ce n’est pas possible ! Quand vous dites, si vous étiez de l’exécutif, c’est comme si vous avez un pantalon vieux et vous dites : je vais chercher un morceau neuf pour racoler une fissure. Quand vous racoler cette fissure, l’autre pan va se déchirer. En fait, là où il y a un problème, c’est la vision politique même de ce régime qui est obscure et absurde. Personne ne la connait et elle est inexistante.
Après l’insurrection, à quoi on se serait attendu parlant du domaine de la justice ? On se serait attendu qu’il y ait au moins un changement radical et profond dans le milieu de la justice. C’est-à-dire, qu’on repense même tout notre système judiciaire. Parce que notre système judiciaire a été critiqué. Il fait partie de l’une des frustrations qui ont conduit à l’insurrection populaire. Donc, on s’attendrait à un système revu de fond en comble. Aussi bien dans son organisation, dans son fonctionnement que même dans ses règles pratiques, dans ses règles d’application de droit.
Mais, à quoi a-t-on assisté ? Vous vous rappelez à l’époque, il y avait eu des États généraux de la justice. Vous avez critiqué en disant, c’est du folklore, on a mis 300 millions mais c’est inutile. À l’époque, on nous avait insulté en disant mais : vous n’êtes jamais contents. Là où ce régime a péché, en ce qui concerne la justice, et sur tous les autres plans d’ailleurs, c’est de n’avoir pas écouté l’appel des populations, quand elles sont allées à l’insurrection. Moi, j’aime dire, même si ça choque certaines personnes, que l’insurrection était une aspiration à une révolution. Ne prenez pas le mot révolution de façon épidermique mais, prenez-le dans le sens d’un changement véritable. Ils voulaient quelque chose de nouveau, et qui soit conforme à ce qu’ils veulent. C’est-à-dire, une organisation judiciaire qui soit proche de la volonté de la plus grande masse.
Par exemple, lorsque vous êtes un travailleur et que vous êtes licencié, puis vous voulez des dommages et intérêts ; on vous dit dans les règles de droit, que vos dommages et intérêts ne dépasseront pas dix-huit mois. Donc, si vous touchez cinquante mille FCFA comme salaire, si vous êtes licencié, même si vous avez beau réclamé, quel que soit la faute de votre patron, votre indemnisation ne dépassera jamais dix-huit mois de salaire.
Cinquante mille FCFA multipliés par dix-huit, sachant qu’on ne vous donnera jamais dix-huit mois. Par contre, quand une entreprise de la place, une grosse entreprise subit un préjudice avec l’État, elle peut aller en indemnisation. Là, ce n’est pas limitée. Elle peut obtenir des milliards de FCFA. C’est juste un exemple je vous donne. Expliquez-moi pourquoi c’est ainsi ? Pourquoi, quand ce sont les hommes d’affaires, c’est illimité et quand c’est le pauvre travailleur, les dommages et intérêts sont limités ?
Vous voyez, c’est un peu dans cet esprit-là que la refondation de notre système judiciaire devrait être faite.
Mais aujourd’hui, on n’a rien fait dans ce sens-là. On a repris les mêmes règles qu’on avait avant l’insurrection. On les a reconduites et vous avez vu ce que cela a donné dans le jugement par exemple des anciens dignitaires du régime. Les mêmes règles qu’ils ont adoptées, quand on a voulu les leur appliquer, vous avez entendu ce qu’ils ont dit ? Ils ont dit : non, ce ne sont pas des règles conformes aux normes internationales. Pourtant, ce sont ces règles qu’ils appliquaient aux burkinabè depuis des années.
Li: Parlant du général Zida, des jeunes appellent à sa candidature pour l’élection présidentielle de 2020, lui-même n’exclut pas d’être candidat. Est-ce qu’il sera épinglé par la justice quand il va rentrer vu qu’il est beaucoup cité au procès du putsch ?
PF : Non, pas qu’il est beaucoup cité au procès du putsch parce qu’il ne faut pas faire croire aux gens que parce que le général Diendéré et autres citent le nom du général Zida au procès du putsch qu’on le remet en cause. Non ! Ce n’est pas vrai. Parce que leur règlement de compte entre eux ne nous regarde pas. Quand deux ex-rivaux se battent, ça ne concerne pas le voisinage, c’est leur problème à eux.
Mais, ce sont des éléments concrets. Ce dont on se souvient, c’est qu’au moment de l’insurrection, la personne qu’on a vu à l’état-major de l’armée et qui est venu avec ses éléments, qui a quadrillé Ouagadougou, qui a pris le pouvoir par la force, c’est bien le général Zida à l’époque. De ces événements-là, malheureusement on a constaté qu’il y a eu des morts. A la télévision nationale, on a tiré sur des gens. La question qui a été posée est de savoir comme dans le cadre du putsch, si le général Diendéré et ses hommes répondent du putsch parce qu’ils sont sortis dans la rue et des gens sont morts, de la même façon, au moment de l’insurrection populaire que le général Zida et ses hommes qui sont sortis dans la rue et qui ont occasionnés des morts, est-ce qu’il ne doit pas répondre ? La réponse à cette question, elle est évidente. Il doit répondre comme le général Diendéré répond. Voilà, ça n’a rien à avoir avec la bagarre entre Diendéré et l’ancien premier ministre Zida.
Donc moi, quand on me dit que Zida veut rentrer au Burkina, je dis : Dieu merci ! Parce que moi, qui ai des clients victimes de l’insurrection populaire, j’ai hâte qu’on l’entende sur ce qui s’est passé, sur qui a donné les ordres aux militaires qui sont sortis dans la rue à cette période, et surtout, qui a donné des ordres pour qu’ils puissent tirer sur des gens.
Quand on est allé à la télévision nationale et que Lougué a pris des balles dans la jambe et que d’autres civils ont pris des balles, qu’on nous dise qui en est à l’origine. S’il a des sympathisants qui luttent pour qu’il vienne pour être président, mais tant mieux. Mais avant d’être président, il faudra d’abord qu’il nous donne des explications. S’il n’y est pour rien, il pourra être candidat, pourquoi pas ? C’est un Burkinabè comme tous les autres, il a le droit d’être candidat. Par contre, s’il y est pour quelque chose, il ira rejoindre comme tous ceux qui sont accusés la prison, la Maca. S’il n’est plus militaire donc la Maco et être jugé aussi et condamné s’il le faut.
Li: C’est donc dire que sa candidature est menacée s’il est impliqué ou reconnu complice ?
PF : Absolument ! Moi, je ne dis pas complice peut-être, je vais dire auteur. Mais, je n’en sais rien, en tout cas, utilisons l’expression impliqué. Mais bien sûr, il ne peut pas venir tout bonnement comme ça et être comme dans un marché pour dire, qu’il veut être président en sachant qu’il lui est reproché des choses bien précises. Moi je ne lui interdis pas d’être candidat. Mais avant d’aller déposer sa candidature, il faudrait bien qu’il passe par la case justice d’abord. Je n’ai pas dit prison mais justice. Qu’il aille répondre à la justice vis à vis de sa responsabilité supposée dans les tueries de l’insurrection populaire. S’il est établi qu’il n’y est pour rien, je ne vois pas ce qui peut l’empêcher, sauf pour autre chose d’être candidat.
Par contre, s’il est impliqué, vous ne nous voyez pas en train d’admettre qu’un assassin puisse être candidat à l’élection présidentielle. Je ne pense pas être le seul. Je pense que des millions de burkinabè sont contre cela. Sinon, Diendéré lui aussi voudrait être candidat aux prochaines élections, qui sait !
Li: Quel est votre message à l’endroit du peuple burkinabè ?
PF : J’ai quelque chose qui me tient à cœur. Je suis l’actualité politique nationale depuis un certain temps avec ces remous, chacun ayant ses positions, c’est ça les avantages de la démocratie et de l’État de droit.
Moi, j’entends souvent des choses qui m’interpellent et qui me choquent. J’entends souvent des gens dire vis à vis des remous sociaux et politiques, qu’il s’agit d’un incivisme, qu’il manque l’autorité de l’État çà et là. Je voudrais rappeler à l’esprit et à l’intelligence des uns et des autres, que nous venons de très loin. Nous sommes partis d’une situation où les Burkinabè même dans un maquis, quand il fallait prononcer le nom du président de la république, ils regardaient qui était leur voisin d’abord avant de prononcer le nom de Blaise Compaoré.
On ne se permettait pas de dire n’importe quoi et n’importe comment dans le début des années 1990 dans les rues de Ouagadougou. On a vécu cette période-là où nous avions des militaires qui se baladaient dans les rues à Ouagadougou comme des cow-boys avec des colts quasiment à la ceinture et qui tiraient sur ce qu’ils voulaient sans qu’il n’y ait rien.
On a vécu cette époque de terreur ici, où on pouvait vous enlever de jour comme de nuit, vous amener au sous-sol de la sûreté nationale ou au conseil de l’Entente (une des garnisons de l’ex Rsp) pour vous maltraiter. Des gens ont été incarcérés pendant des mois, d’autres ont perdu la vue, d’autres ont perdu la vie, d’autres ont perdu des membres sans que personne ne puisse réagir.
La moindre résistance était matée dans le sang. Et puis, ce peuple s’est battu jusqu’à ce que beaucoup d’entre nous en payent de leurs vies, rappelez-vous de Norbert Zongo. Jusqu’à ce qu’on arrive à un seuil où les Burkinabè se disent non, c’est fini, le pouvoir, il appartient au peuple. Et quand ont dit que le pouvoir il appartient au peuple, c’est-à-dire que le peuple a le droit à tout moment de dire son mot par rapport à une situation.
Aujourd’hui, quand j’entends des gens appeler quasiment à un retour à une situation antérieure, à la répression, moi, je suis choqué. Parce que fondamentalement, la vraie question qui se pose, c’est est-ce que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ont compris le message du peuple qui voulait un changement ?
Moi, j’avais dit de toute façon, et ça, j’en reste convaincu qu’il n’était aucunement la solution à un changement nouveau, je ne croyais pas en ces hommes. Je m’excuse même si leurs sympathisants ne m’aiment pas beaucoup pour ça, c’est ma conviction. J’avais dit qu’ils ne pouvaient pas être un changement par rapport à l’ancien régime, il ne peut qu’en être une continuité. Aujourd’hui, ce qu’on constate, c’est qu’ils sont pires que l’ancien régime, malheureusement.
Je voudrais donc les interpeller sur cet aspect-là, il faut faire attention. Les entraves aux libertés individuelles et collectives c’est le plus grave danger que peut courir un régime. On a dit que nous avons fait une insurrection inachevée. Il faut savoir que ce que les uns et les autres appellent aujourd’hui incivisme où manque de l’autorité de l’État, c’est l’expression de la frustration du peuple qui envoie un message à ce gouvernement pour leur dire, nous ne sommes pas contents ! Nous sommes allés mourir mais, nous n’avons pas l’impression que nos morts ont servi à quelque chose. S’ils ont de l’intelligence, ils doivent savoir décortiquer et lire ce message. S’ils se trompent sur la réponse à donner, ils subiront pire que ce que le régime Compaoré a subi.
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Propos recueillis par
Siébou Kansié,Directeur de l’information
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