Le procès opposant le procureur du Faso aux quatre présumés auteurs du détournement de plus de 3 milliards de FCFA au ministère en charge de l’Action humanitaire a été de nouveau renvoyé. La raison est l’etat de santé du principal prévenu, Amidou Tiegnan, qui ne lui permet pas d’être jugé. La date retenue est le 3 décembre 2024.
Par Nicolas Bazié
À l’audience de ce 29 novembre 2024, Amidou Tiegnan, l’un des prévenus, semble toujours malade. C’est, en tout cas, ce que son avocate Me Geneviève Ouédraogo fait savoir.
À l’ouverture du dossier, les prévenus sont appelés à la barre pour répondre des faits qui leur sont reprochés. Il s’agit de détournement de deniers publics, d’enrichissement illicite, de blanchiment de capitaux, de complicité de détournement de deniers publics, etc.
Le prévenu Amidou Tiegnan avance lentement, visiblement faible, le bras tenu par l’un des co-prévenus. Il prend la parole et s’exprime avec peine sur son état de santé. Seulement, avoir fini de s’exprimer, personne ne semble avoir compris quelque chose.
Le Tribunal demande donc à son avocate d’éclairer sa lanterne. Et Me Geneviève Ouédraogo d’indiquer qu’au sortir de l’audience du 26 novembre dernier, Amidou Tiegnan a été conduit à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), puis à l’hôpital Yalgado pour bénéficier de soins médicaux.
De retour en prison, il est conduit à l’infirmerie de la Maison d’arrêt où on lui a remis des produits qu’il devait prendre. Malgré tout, son état de santé n’est toujours pas stable. Le juge demande le certificat de santé du prévenu. Son avocate fait savoir qu’elle n’a pas accès à son dossier et que le parquet avait la possibilité de d’avoir le document.
L’avocate dit venir défendre son client. Mais, elle trouve qu’il faut que ce dernier soit en état de recevoir un jugement. Elle fait remarquer que son client a toujours collaboré avec la justice pour la manifestation de la vérité dans cette affaire. Et, poursuit-elle, s’il déclare qu’il n’est pas en état d’être jugé, c’est de lui permettre de se rétablir avant de revenir, demandant un délai de 15 jours, conformément à l’article 300-18 du Code de procédure pénale.
L’agent judiciaire de l’État maintient que le dossier doit être retenu et jugé. Me Prosper Farama qui représente le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) fait observer qu’une affaire de santé ne relève pas du droit.
« Nous ne pouvons pas dire qu’une personne est en bonne santé ou pas. Nous ne sommes pas des techniciens de la santé. Les services de santé de la MACO pouvaient nous épargner tout ce que nous voyons en donnant des informations claires sur l’état de santé du monsieur », a dit Me Farama.
Renvoyer ou retenir ?
Une décision difficile s’impose. Le Tribunal a le choix entre retenir le dossier et le juger avec un prévenu dont l’état de santé est fragile ou renvoyer ce dossier pour une bonne administration de la justice. Le juge suspend l’audience pour 30 minutes.
Pendant cette suspension, un agent de santé exerçant à l’infirmerie de la Maison d’arrêt est convoqué dare dare au palais de justice. Les membres du Tribunal veulent un avis clair d’un spécialiste sur l’état de la santé de Amidou Tiegnan.
À la reprise de l’audience, le spécialiste en santé est appelé à la barre. Devant les membres du Tribunal, il déclare que le 28 novembre 2024 aux environs de 18h, le prévenu Amidou Tiegnan est arrivé en prison de retour de l’hôpital Yalgado, avec son carnet de santé remis par son médecin soignant qui l’a libéré, après l’avoir reçu aux urgences.
Sur son carnet de santé, indique l’agent de santé, il était écrit qu’il avait, entre autres, des vertiges et d’autres maux. Il est rentré dans un état déplorable, ajoute-t-il. Le procureur prend à nouveau la parole et tient à ce que le médecin se prononce sur l’accusation selon laquelle le prévenu a été dopé pour qu’il soit sur pied pour le procès. Le juge qui a la police des débats tente un recadrage.
Le procureur revient à la charge en déclarant que le prévenu Amidou Tiegnan est manifestement en état d’être jugé et qu’il est, selon lui, en train d’insinuer une maladie pour se soustraire. « C’est un très bon acteur et moi je dois l’applaudir», ironise le procureur qui semble avoir des doutes sur la sincérité du concerné.
Me Geneviève Ouédraogo intervient en se posant la question de savoir si quelqu’un qui est guéri d’une maladie peut encore suivre un traitement. « Où est l’urgence de juger quelqu’un qui est entre vos mains ? », s’interroge l’avocate s’adressant aux membres du Tribunal. Cependant, elle rassure le procureur qu’elle n’a jamais dit que le parquet a tenté de doper son client, en lui donnant des produits à prendre la veille du procès.
Le juge prend enfin une décision : pour permettre à toutes les parties de mieux poursuivre le dossier, il a ordonné, en pleine audience, que le prévenu Amidou Tiegnan bénéficie d’une expertise médicale. Il s’agit d’un « jugement avant dire droit » qui ordonne uniquement une mesure d’instruction ou une mesure provisoire au cours de l’instance, sans trancher le litige en droit.
Le service de santé commis à cette tâche a 48h pour déposer les résultats de son expertise sur l’état de santé du prévenu. Le juge clot les débats en renvoyant le dossier au 3 décembre 2024.