Le pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme au Burkina a jugé, le 2 août 2024, deux bergers étrangers. Ils sont soupçonnés de faire partie d’une entreprise terroriste. Reconnus coupables, ils ont été condamnés à 15 ans de prison fermes. Libre info vous fait revivre le procès.
Par Nicolas Bazié
Ils ont été interpellés dans la région de la Boucle du Mouhoun au Burkina. Le procureur du Faso, qui les poursuit, leur reproche les faits d’association de malfaiteurs, de complicité de prise d’otages, de détention illégale d’armes à feu.
Les deux terroristes, D.M et S.B, sont âgés respectivement de 29 et de 31 ans. En 2018, alors qu’ils étaient à Di, dans la Boucle du Mouhoun au Burkina, ils ont été d’abord interpellés par les forces de sécurité qui ont remarqué qu’ils n’avaient pas de pièces d’identité.
Il ressort de l’enquête préliminaire que lorsque leurs téléphones ont été expertisés, l’on a trouvé des vidéos d’attaque, des corps de FDS (Forces de défense et de sécurité) filmés et des images de Amadou Koufa, père fondateur du Front pour la libération du Macina, un groupe armé terroriste.
D.M a nié en bloc les faits qui lui sont reprochés, arguant qu’il n’est en contact avec Amadou Koufa et n’est pas non plus un combattant terroriste. « J’étais au marché de Di pour vendre mon bœuf. C’est lors des contrôles que j’ai été interpellé parce que je n’avais pas de carte d’identité», explique-t-il.
Expliquez-nous comment des vidéos d’attaques, de corps de FDS et des images de Amadou Koufa se sont retrouvées dans votre téléphone ? Dit le juge. « Les images retrouvées dans mon téléphone y étaient lorsque j’ai acheté le téléphone à 20 000 FCFA avec un inconnu. Je les ai visionnées. Ce sont de mauvaises images, des images de terroristes», clame le prévenu à la barre.
Le juge poursuit : « L’expertise révèle que l’appareil photo du téléphone a été utilisé pour prendre des images des FDS décédées». D.M répond : « Oui, c’est vrai. Mais je n’ai ni pris des images, ni filmé».
Si vous saviez que les images étaient mauvaises, pourquoi ne les avoir pas supprimées ? demande encore le juge. « J’avais peur ! ». Quelle difficulté y a-t-il à supprimer une image dans un téléphone ? Insiste le juge.
« Moi je n’ai pas étudié, donc je ne sais pas comment supprimer. Si je pouvais les effacer, j’allais le faire », dit-il, tout en rejetant également un résultat de l’expertise de son téléphone qui montre qu’il était en contact avec deux combattants terroristes qui sévissent au Burkina et qui sont recherchés par les services de renseignement burkinabè.
Le procureur, à son tour, notifie au prévenu que la technologie a révélé que deux jours avant son arrestation, il a reçu des images envoyées par Bluetooth, exactement le 19 novembre 2018.
« Même si ces images ont été transférées, ce n’est pas avec moi. Depuis que je tenais le téléphone, personne ne m’a transféré quelque chose, je n’ai pas filmé quelque chose aussi. Le téléphone est, certes, à moi, mais son contenu m’est étranger », se défend D.M.
D’un berger à un autre
Après D.M, c’est S.B qui est appelé à la barre. Il est aussi poursuivi pour les mêmes faits. Les deux disent se connaître très bien parce qu’ils sont nés et ont grandi ensemble.
Devant les membres du tribunal, S.B a également plaidé non coupable, avant de déclarer qu’il ne connais pas de terroristes. « Je ne travaille pas avec eux et je n’ai aucun lien avec un groupe terroriste. Je ne suis qu’un berger», fait-il comprendre, ajoutant que lorsqu’il tenait son téléphone, il n’y avait aucun fichier à caractère terroriste.
En plus, poursuit-il, « je ne savais pas qu’il y avait le contact d’un combattant terroriste dans le téléphone ».
Les réquisitions…
Le procureur, avant de prendre ses réquisitions, a pris le soin de mettre l’accent sur les détails aux fins d’établir la culpabilité des deux bergers. Il a rappelé qu’on a retrouvé dans leurs téléphones des images, des vidéos de prêches de Amadou Koufa, des images d’otages tués, des corps de militaires, etc.
Selon lui, tous ces éléments ne laissent pas planer un doute que les deux mis en cause appartiennent à un groupe terroriste.
« C’est leur droit de mentir parce qu’ils savent ce qui les attend. Ils sont en contact avec des chefs terroristes comme Amadou Sékou affilié au Front de libération du Macina. Ils se sont laissés convaincre par les terroristes pour rejoindre leur cause ignoble. Le téléphone de D.M a même filmé des scènes terroristes», relate le procureur.
Le procureur va donc s’adresser aux membres du tribunal en ces termes : « Quand ces deux vous font croire qu’ils sont innocents, c’est de la mauvaise foi. En réalité, ce sont de véritables combattants terroristes aguerris».
Le procureur précise qu’au moment de leur arrestation, le code pénal de 2018 était déjà en vigueur. Lequel code qui prévoit une peine de prison plus élevée quand il s’agit de l’infraction association de malfaiteurs terroristes.
Cette infraction est reprochée aux prévenus. Le parquet estime qu’elle est suffisamment caractérisée et demande au tribunal de maintenir les deux bergers dans les liens de la prévention et de les déclarer coupables. Il requiert, en l’espèce, 21 ans de prison, dont 15 ans de sûreté, et une amende de 2 millions de francs CFA fermes.
Ce que le tribunal a suivi à la lettre en condamnant D.B et S.B à une peine d’emprisonnement de 21 ans dont 15 ans de sûreté et à une amende ferme de 2 millions de francs CFA.