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Burkina/Procès terroristes : « C’est une chance pour moi d’être en vie..», un condamné

Burkina attaque brigade gendarmerie Samorogouan

Quatre personnes ont comparu le 1er août 2024 à Ouagadougou devant le pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme. Libreinfo.net a été témoin de ce procès. 

Par Nicolas Bazié 

La justice les poursuit pour des faits d’association de malfaiteurs terroristes et de financement de terrorisme. 

Dans ce dossier, les mis en cause sont quatre. Il s’agit de L.S, mécanicien sans enfant ; de M.H, orpailleur et père de trois enfants ; de N.N, conseiller municipal et père de 16 enfants et de D.M.A, orpailleur sans enfant.

Tous sont de la province de l’Oudalan dont Gorom-Gorom est le chef-lieu. Ils ont été interpellés par les services de sécurité de cette ville sur la base de renseignements précis, fait noter le juge lorsqu’il lisait les faits reprochés aux différents prévenus. Cela remonte à 2020, soit 4 ans de cela. 

A la barre, ils ont chacun plaidé non coupable. Les débats au fond commencent avec L.S, mécanicien de profession, qui est accusé d’acheter et de livrer des motocyclettes et du carburant aux combattants terroristes. 

Tout a commencé un jeudi, jour de marché à Gorom-Gorom. Le prévenu dit avoir reçu la visite d’un homme enturbanné dans son garage où il répare les engins à deux roues. 

L.S informe ainsi le tribunal que l’homme en question lui a exprimé le besoin de s’acheter une moto. « Je l’ai accompagné chez le vendeur qui était juste à côté, dans le marché. Une fois là-bas, l’intéressé m’a fait comprendre qu’il a oublié sa Carte nationale d’identité (CNIB) à la maison. Le vendeur me dit cependant que l’achat pouvait se faire avec ma pièce sans soucis. C’est ainsi que j’ai remis ma pièce. Nous avons par la suite acheté la moto à plus de 500 mille francs CFA ». 

Le mis en cause poursuit : « De retour dans mon garage, j’ai pris le soin de bien serrer les écrous. La main d’œuvre a coûté 2 000 FCFA. Il me demande si je sais où l’on vend du carburant, sous prétexte qu’il est nouveau. Je suis donc allé à la station d’essence lui mettre le carburant. L’homme a enfourché sa moto et il est parti ». 

Et ce n’est pas tout, puisqu’au prochain jour du marché, une semaine, la même personne est revenue. « Elle m’a dit de nouveau qu’elle voulait une moto. J’ai encore accompagné cette personne chez le même vendeur de moto. Nous avons acheté la moto avec ma pièce. Cette fois, je ne lui ai pas demandé sa pièce d’identité ». 

Pour la troisième fois, la même personne est revenue, l’informant qu’elle veut encore une moto : « Lorsque nous sommes arrivés chez le vendeur, le stock de la marque qu’il voulait était épuisé. Il a proposé de me remettre de l’argent pour prendre la moto si jamais il y a un nouvel arrivage. Je lui ai dit de laisser et que j’avais de l’argent sur moi pour le faire». 

« En fait, il se trouvait que je voulais aussi m’acheter une moto, donc j’avais de l’argent, plus de 500 mille francs CFA. Quelques jours après, lorsque les motos sont arrivées, j’en ai acheté une et j’appelle le monsieur qui me dit qu’il est occupé et que je pouvais lui envoyer la moto. Il a profité me dire qu’il a besoin de carburant. J’ai pris la moto et je suis allé prendre du carburant à crédit que j’ai mis dans 3 bidons de 20 litres. Je fais comprendre au pompiste que dès que je récupérerai l’argent, je reviendrai le lui remettre. Lorsque j’ai bougé, des gendarmes m’ont interpellé quelques minutes après », explique-t-il. 

Le tribunal cherche à savoir si on peut acheter une moto avec sa propre pièce et remettre cet engin à un inconnu. « Vous avez raison, mais je l’ai fait pour venir en aide à quelqu’un qui était dans le besoin. Peut-être qu’un jour, je serai aussi dans le besoin et quelqu’un pourrait m’aider. Il ne présentait pas de signes suspects. C’est pourquoi je n’ai pas beaucoup réfléchi à son sujet », répond le prévenu qui ajoute que dans ce qu’il a fait, ce sont seulement 12 000 FCFA qu’il a eus, une somme représentant sa main d’œuvre. 

« Je ne lui ai pas exigé trop d’argent parce que je me suis dit qu’il pouvait être un client fidèle vu tout ce que je fais pour lui», affirme-t-il. 

L’orpailleur M. H à la barre…

Comme s’il ne se reprochait rien, M.H, orpailleur de profession, a plaidé non coupable des faits d’association de malfaiteurs terroristes. Il déclare ceci à la barre : « Je ne connais pas de terroristes, je n’ai jamais fait partie d’un quelconque groupe. Moi je suis orpailleur à Déou». 

« Mon travail est de chercher de l’or avec mes collègues. Lorsque nous gagnons le métal jaune, nous partons le vendre à une société minière industrielle qui intervient dans la zone de Gorom-Gorom. Un jour, je suis allé vendre l’or et j’ai eu 1 million 340 mille francs CFA. Comme nous parcourons chaque jour 10 kilomètres pour aller sur le site d’orpaillage, nous achetons du carburant pour le mois. C’est ainsi qu’à mon retour, j’ai acheté du carburant que j’ai mis dans trois bidons de 20 litres. C’est en cours de route que j’ai été interpellé», relate M.H. 

Le tribunal cite le nom et le numéro d’un combattant terroriste au Mali. Mais le prévenu soutient qu’il n’a jamais entendu parler de ce dernier. 

« On ne m’a jamais appris à manier une arme »

A.M.D est aussi un orpailleur accusé d’association de malfaiteurs terroristes. Ce qu’il ne reconnaît pas. Devant les membres du tribunal, il affirme par contre qu’il a entendu parler d’un combattant terroriste dans la province de l’Oudalan mais qu’il ne l’a jamais rencontré.

Qui vous a appris à manier les armes ? À cette question du juge, A.M.D répond : « Personne ne m’a appris à manier des armes. Quand je vois une arme, c’est que c’est un policier, gendarme ou militaire qui est en face. Je n’ai pas d’arme. En plus, c’est le jour où les terroristes sont venus tuer mon petit frère que j’ai également vu une arme ». 

Le juge lui fait savoir que courant 2019, il a été aperçu au marché avec une arme. « Ce n’est pas vrai. Je suis un orpailleur et c’est à la pharmacie que les FDS sont venues me prendre », rétorque-t-il, indiquant qu’il n’a aucun problème particulier avec quelqu’un, excepté d’après ses dires, le fait qu’il devait de l’argent à une personne. 

« Lorsque j’ai vu les agents de sécurité, j’ai compris que le gars avait certainement porté plainte pour que je lui rembourse son argent. C’est une fois au poste qu’on m’a dit que je fais partie d’un groupe terroriste», a laissé entendre le prévenu. 

Le procureur lui demande quel genre de produit il était allé acheter à la pharmacie. « J’avais de la fièvre et chez nous au village, c’est Paracétamol on avale pour se sentir mieux. C’est ce que j’étais allé acheter», fait-il comprendre. 

Le conseiller municipal plaide non coupable 

Dans sa commune, N.M est un conseiller municipal bien connu des populations. Il est poursuivi pour association de malfaiteurs terroristes. Il plaide non coupable. 

Le rapport de l’enquête préliminaire révèle qu’il serait un homme influent ; qu’il serait en contact avec les groupes armés terroristes ; qu’il invitait les populations à donner de l’argent pour être épargnées des agressions terroristes. 

Il ressort également dudit rapport qu’il vendait des animaux pour les terroristes et, par dessus tout, qu’il serait intervenu pour libérer un homme qui avait été capturé par les terroristes. En d’autres termes, il serait l’intermédiaire entre les terroristes et les populations. 

Des accusations que N.M, assisté de son avocat, a rejetées et a donné sa version des faits : « J’étais chez moi à la maison quand des agents de sécurité sont venus me chercher. Je me suis présenté à eux avec ma carte d’identité. Ils m’ont dit de les suivre. Ce que j’ai fait. Lorsque nous sommes arrivés au poste, ils m’ont mis dans une cellule. Cinq jours après, ils sont venus me demander si je savais pourquoi je suis là. Je leur ai répondu que c’est justement à cela que je réfléchis depuis, mais je ne comprends absolument rien. C’est là qu’ils m’ont notifié que je suis mouillé dans une affaire de terrorisme». 

Le prévenu a nié en bloc tout ce qui lui est reproché. « Les groupes armés sont passés chez nous et ils ont brûlé nos maisons et nos charrettes. C’est une chance pour moi d’être devant vous en vie », dit-il. 

Les réquisitions…

Lors de son réquisitoire, le procureur démontre que L.S, le mécanicien, savait très bien ce qu’il faisait et que les 12 000 francs CFA dont il parle relèvent du mensonge. 

« Des individus comme L.S sont nombreux dans nos contrées. Il n’est pas le seul mécanicien à Gorom-Gorom. Pourquoi c’est seulement chez lui que l’homme vient à tout moment pour s’acheter une moto ? », fait observer le parquet qui demande que le prévenu soit maintenu dans les liens de la prévention. 

Concernant l’orpailleur M.H, le procureur estime qu’en réalité, chaque semaine, il se ravitaille en carburant. « C’est sûr que la quantité d’essence était pour approvisionner les terroristes», informe-il, ajoutant que la somme de 1 million 340 mille francs CFA retrouvée sur lui était destinée à l’achat du carburant, avant d’inviter le tribunal à le maintenir dans les liens de la prévention. 

Pour ce qui de D.M.A, orpailleur sans enfant, le parquet trouve que les indices sont très concordants. De sont point de vue, les témoignages à charge contre lui sont à prendre au sérieux.  

Le ministère public soutient que des gens ont clairement identifié le prévenu tenant une arme au marché. Pour lui, il n’y a pas de doute, les faits qui lui sont reprochés sont constitués et il faille le maintenir dans les liens de la prévention. 

Quant au conseiller municipal N.M, le procureur a rappelé que les villageois ont affirmé qu’il était l’intermédiaire entre les terroristes et eux; ils disent aussi que c’est lui qui prélevait la zakat, une sorte d’impôt. 

Le procureur fait remarquer qu’il y a suffisamment d’éléments à charge contre lui et que les témoignages sont assez accablants. C’est pourquoi il a estimé qu’il faut le déclarer coupable. 

Les quatres prévenus sont de connivence avec ceux qui endeuillent les populations, poursuit le procureur qui a requis dans la foulée, à leur encontre, la peine d’emprisonnement de 21 ans, comme prévue par le Code pénal, dont 15 ans de sûreté et une amende ferme de 2 millions de francs CFA. Il demande également au tribunal de confisquer la somme de 1 million 340 mille de M.H au profit du Trésor public. 

La plaidoirie de l’avocat du conseiller…

Dans sa plaidoirie, l’avocat de N.M a clamé que son client a été déféré à la barre sur la base d’un simple témoignage, faisant noter le caractère anonyme de celui-ci. 

« Tout repose sur un témoignage, pourtant mon client a dit ici qu’il y a des gens qui lui en veulent politiquement », dit-il, poursuivant qu’au regard des éléments présentés, il y a un doute et cela doit profiter à son client. 

Le jugement…

Après une suspension temporaire, l’audience a repris avec la décision du tribunal. Le tribunal a ordonné la relaxe de M.H, l’orpailleur,  et la restitution de son argent. 

L.S, le mécanicien, est condamné à 10 ans de prison et à une amende de 10 millions de francs CFA, le tout feme. Le conseiller N.M et D.M.A, l’autre orpailleur, ont écopé d’une peine d’emprisonnement de 21 ans dont 15 ans de sûreté et d’une amende ferme de 2 millions de francs CFA. 

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