Premier pays indépendant de l’Afrique subsaharienne depuis le 6 mars 1957, le Ghana a célébré, le 64e anniversaire de la proclamation de la République le 1er juillet dernier. Une opportunité saisie par le ministre de la Défense, Dominic Nitiwul, pour adresser un message fort à l’Armée de son pays, à quelques mois des élections générales de décembre prochain. Une occasion aussi, sans doute, pour les pays de l’Afrique noire francophone de faire un état des lieux sans concession de leur évolution en cette année du 64e anniversaire de leur indépendance…
C’est bientôt la saison des indépendances des pays de l’Afrique noire, et avant le grand bal des aoûtiens qui verra défiler les drapeaux de plusieurs anciennes colonies françaises dans le gotha mondial, le Ghana était à l’honneur le 1er juillet dernier.
Non pas pour son indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni, acquise le 6 mars 1957, mais pour la proclamation de la République souveraine.
Premier État indépendant de l’Afrique subsaharienne, l’ancienne Gold Coast proclame formellement en effet son identité républicaine le 1er juillet 1960 sous le leadership de Kwame Nkrumah, son premier président, quelque deux années après les pays de l’aire francophone.
La République du Ghana existe donc depuis 64 ans maintenant et a connu, comme on le sait, des hauts et des bas sociopolitiques, institutionnels et économiques, avec une longue période trouble, marquée notamment par des coups d’État et un régime à parti unique.
Ainsi, note Ken Ochieng Opalo, professeur associé à l’Université de Georgetown qui travaille entre autres sur le développement institutionnel et la politique des législatures africaines, le pays a enregistré « un total de 17 coups d’État — cinq réussis, cinq tentatives de coup d’État et sept conspirations documentées — entre 1961 et 1985 » !
Mais depuis les années 1990, le Ghana est cité comme l’un des meilleurs exemples de la pratique démocratique en Afrique.
En atteste « une série d’élections organisées de manière réglementée et pacifique », une belle routinisation du système qui a abouti à plusieurs alternances au sommet de l’État.
Certes, l’on a assisté ces dernières années à quelques échauffourées politiques, et même à des violences à l’issue d’élections présidentielles chaudement disputées, mais la dynamique consensuelle reprend bien vite le dessus.
Préoccupés par l’insécurité
Toutefois, le pays, qui a bénéficié, en 2001, d’une réduction de sa dette extérieure dans le cadre de l’Initiative en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE), reste fragile sur le plan économique.
Les populations, qui subissent le poids de l’inflation galopante qui leur impose de dures conditions de vie, ne manquent pas d’exprimer régulièrement leur mécontentement face à la gestion économique et sociale du pays par les gouvernants.
Les Ghanéens s’inquiètent aussi de la situation sécuritaire dans la sous-région. Les évêques du pays sont même montés au créneau en mars 2023 pour indiquer leur préoccupation relativement à ce qui se passe dans « la région de Bawku, au nord-est du pays, à la frontière avec le Togo à l’est et le Burkina Faso au nord ».
Dans cette zone en effet, « les populations Mamprusi et Kusasi s’affrontent déjà depuis des années pour des questions de propriété foncière ».
Le clergé craignait ainsi que l’approche de groupes djihadistes opérant dans les États voisins n’envenime une situation plutôt délicate.
« Nous sommes profondément préoccupés par la détérioration de la situation sécuritaire dans la région (…) qui transforme progressivement Bawku en une ville fantôme », ont souligné les évêques.
Avant d’indiquer que « la situation d’insécurité dans et autour de Bawku est aggravée par l’afflux de réfugiés du Burkina Faso, fuyant la violence djihadiste ».
Toute chose qui pourrait devenir « un terrain fertile pour l’infiltration de groupes terroristes opérant dans les pays voisins », avaient alors prévenu les évêques ghanéens.
Armée et neutralité politique
On peut donc comprendre que le citoyen ghanéen regarde l’avenir avec quelques inquiétudes et scrute l’horizon pour une éclaircie sur les plans politique, économique et sécuritaire.
Surtout que 2024 est une année électorale pour le pays, qui doit renouveler ses dirigeants politiques à l’issue des élections générales de décembre prochain.
Nana Akufo-Addo, l’actuel chef de l’État, doit céder le fauteuil présidentiel après avoir exercé deux mandats de quatre ans à la tête du pays. C’est donc le vice-président, Mahamudu Bawumia, qui défendra les couleurs du Nouveau parti patriotique (NPP, au pouvoir) à cette élection présidentielle en vue de succéder à Nana Akufo-Addo, à la tête du pays depuis 2017. Le scrutin présidentiel à venir s’inscrit ainsi sous le signe de l’alternance au pouvoir ou de la continuité.
Et c’est sans doute en raison de la situation sociopolitique de la sous-région que le ministre ghanéen de la Défense, Dominic Nitiwul, a appelé, le 1er juillet dernier, l’Armée à maintenir une stricte neutralité avant, pendant et après les élections générales.
La présidentielle est prévue le 7 décembre 2024, et le ministre a saisi l’opportunité de la Journée de la République pour lancer cet appel.
En mettant l’accent sur le rôle crucial de l’Armée dans la préservation de la démocratie, notamment au Ghana, le ministre Dominic Nitiwul a « mis en garde contre toute implication partisane » de celle-ci dans le jeu politique.
« Tout alignement sur un parti politique pourrait dégrader la confiance du public et saper les fondements mêmes de la démocratie », a souligné le ministre ghanéen de la Défense.
Au surplus, a-t-il encore indiqué avec force, « l’Armée est le bastion d’espoir du pays et ne peut se permettre de faire de partialité ».
Vite, une catharsis !
En tout état de cause, l’appel du ministre indique très clairement à l’Armée son devoir envers la République pour garantir et perpétuer les fondements démocratiques de la nation.
Par ailleurs, cette journée de la République du Ghana, au cours de laquelle l’on célèbre aussi les personnes âgées pour honorer leur contribution à l’histoire du pays, nous enseigne admirablement qu’il faut toujours savoir « tresser la nouvelle corde au bout de l’ancienne ».
C’est sans doute une bonne piste de réflexion pour la plupart de nos États qui s’apprêtent à célébrer en août et en septembre 2024 — après le Cameroun le 1er janvier, le Sénégal le 4 avril et le Togo le 27 avril dernier — le 64e anniversaire de leur accession à la souveraineté nationale et internationale.
En nous demandant sincèrement, en Afrique noire francophone, ce que nous avons bien pu faire de nos plus de six décennies d’indépendance vis-à-vis de la France, nous trouverons sans doute les ressorts nécessaires pour refonder et bâtir nos nations.
Une catharsis est nécessaire pour un véritable renouveau, basé sur nos valeurs et richesses culturelles et cultuelles, sur la promotion de la vertu et de la gestion efficace de notre patrimoine, du savoir-faire et du faire-savoir de nos hommes et femmes.
C’est peut-être ainsi que nous sortirons enfin de nos dépendantes indépendances pour nous affirmer dans l’universel avec… la dignité et la personnalité de peuples fiers et travailleurs !