Me Benao Batibié est un avocat inscrit au Barreau de Ouagadougou. Il compte parmi les avocats très engagé, il fut le Secrétaire général du Syndicat des avocats du Burkina Faso (SYNAF). Sous la transition Me Benao Batibié a été désigné pour présider la commission d’enquête sur les crimes lors de l’insurrection. Suite au mouvement déclenché par les avocats depuis quelques jours www.libreinfo.net lui a posé quelques questions dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder.
Libreinfo.net: Quelles sont les dernières nouvelles de votre grève avec le gouvernement ?
Me Benao Batibié: Avant de répondre à votre question, je voudrais vous remercier d’être venu vers moi pour des échanges qui peuvent intéresser vos lecteurs. Je précise d’emblée que les propos que je tiendrai dans le cadre de ses échanges n’engagent que ma personne et personne d’autre, ni le barreau ni le syndicat des avocats sous lequel de nombreuses personnes me connaissent.
Pour vous répondre, je voudrais préciser que nous ne sommes pas en grève. La grève suppose un travail salarié de droit public ou privé, ce qui n’est pas le cas des avocats qui ne sont des salariés de personne, et, en tout cas, pas du gouvernement. Les avocats ont plutôt décidé de suspendre leur participation aux audiences depuis le mardi 22 avril 2019. Les dernières nouvelles, c’est que nous sommes à l’écoute du gouvernement sur les raisons de la suspension qui lui ont été communiquées.
Pour l’instant, hormis le fait que le ministre de la justice a reçu le Bâtonnier pour lui dire qu’il y avait des décrets dans le pipeline et qui seraient la solution aux revendications des GSP et des greffiers, il n’y a plus eu de communication officielle avec le barreau, à ma connaissance.
Libreinfo.net: Comment vous évaluez l’impact du dysfonctionnement de la justice depuis octobre 2018 ?
Me Benao Batibié: C’est une catastrophe humaine à tous points de vue. Les avocats avaient observé jusque-là et pensaient de bonne foi que le gouvernement travaillait à résoudre les causes à l’origine de la crise, avant de se rendre compte qu’il n’en était manifestement rien. Déjà, il faut savoir que s’agissant du pénal en particulier, les juridictions vont mettre au moins trois ans pour rattraper le retard dans les traitements des dossiers et, sans aucune certitude d’y parvenir.
Quant aux autres aspects liés à l’absence des greffiers aux audiences et dans les greffes, c’est encore plus grave puisque, pour ce qui est des voies de recours expirés dans les délais allant du 19 avril jusqu’à leur reprise s’il en advenait, je ne sais pas comment les usagers vont faire.
Libreinfo.net: Certains voient votre mouvement comme un sabotage du procès du putsch, pourquoi arrêter le procès alors que visiblement il n’y a pas de problème à ce niveau ?
Me Benao Batibié: A ceux qui le disent de bonne foi, je voudrais dire qu’on ne peut mener les actions de ce genre sans que des avantages et des inconvénients n’en découlent pour telle personne ou telle autre. C’est évident. Mais, il n’y a aucun plan comme je l’ai lu quelque part, soi-disant pour « bloquer le procès du putsch » en espérant que « des négociations » évitent une condamnation à des accusés.
Nous n’en sommes pas capables, nous autres ! Le dire, c’est dire des absurdités, car dès lors qu’il y a poursuite, il y aura jugement et cela est clair. Je signale par ailleurs qu’il n’a pas que le procès du putsch qui subit les conséquences de la suspension, mais il y a aussi les audiences sans greffiers, telles les audiences en matière d’état des personnes au TGI, celles devant le Juge des affaires familiales en général, et autres requêtes.
Si je fais crédit à la logique des « théoriciens du complot » que vous évoquez, cela voudrait-il dire que c’est parce que le procès du putsch se tient sans problème que les autorités publiques sont indifférentes face au blocage de tout le reste du système judiciaire ? Faut-il croire finalement que c’est parce que le procès du putsch est lui aussi touché que le Gouvernement s’est réveillé et court dans tous les sens pour résoudre la crise ? Je souhaite bonne inspiration aux différents acteurs et j’aime à croire qu’une solution durable sera trouvée bientôt.
Libreinfo.net: Est ce qu’il était du ressort des avocats de lancer ce mouvement, quelles sont vos rapports avec les organisations des droits humains ?
Me Benao Batibié: Bien sûr ! ce n’était que du ressort des avocats de le faire ! Les avocats sont les défenseurs et protecteurs quotidiens des droits humains. Toutes les fois qu’un avocat prend sa plume ou prend la parole, ce n’est que pour obtenir la sauvegarde et la protection d’un droit humain, ou pour dénoncer la violation de droits humains. Toutes les procédures juridictionnelles ont ce but. Tous les jours, la justice ne tranche que des questions relatives aux violations des droits humains.
Des organisations associatives faisant dans la promotion et la protection des droits humains ont recours aux avocats pour la mise en œuvre concrète de cette protection et sauvegarde. Certaines d’entre elles ont eu et ont encore des partenariats avec le barreau ou les syndicats des avocats ou encore l’Union des jeunes avocats pour pourvoir à cette protection et sauvegarde.
Libreinfo.net: Vous semblez défendre les justiciables alors que le barreau ne s’était pas prononcé vigoureusement sur le rapport d’enquête du CSM qui avaient épinglé des juges pour fait de corruption, pourquoi ?
Me Benao Batibié: D’abord, je ne vois pas le lien entre la question et la décision de suspension. Ensuite, nous ne « semblons pas défendre » les justiciables, mais, nous les défendons au quotidien.
Libreinfo.net: Le fait de corruption avérée ne constitut il pas un dysfonctionnement de la justice ?
Me Benao Batibié: La corruption est plutôt une infraction qui, comme telle, a un caractère personnel et individuel. S’il est révélé un cas de corruption d’un acteur de la justice quel qu’il soit, et qu’un usager victime requiert l’assistance d’un avocat, celui-ci peut parfaitement saisir d’une plainte l’autorité compétente sans problème. Personnellement, j’ai initié des procédures dans ce sens et certains de vos confrères le savent bien.
Cela dit, le barreau en tant qu’institution, n’a pas à se prononcer « vigoureusement » sur un rapport d’enquête du CSM (Conseil Suprême de la Magistrature). A quelle fin le ferait-il ? Savez-vous que bien des dossiers dont a été saisi le CSM provient de dénonciations faites par des avocats sur lettre circulaire expresse du barreau ? Le CSM fait son travail en toute indépendance et il en est de même pour le barreau. Quant au Syndicat des avocats, à moins que vous n’ayez pas bien suivi, il a apporté son soutien au CSM lorsque ce dernier était dans la tourmente du pouvoir exécutif dans le cadre de ce même rapport. C’est cela qui importait à l’époque lorsque tous les vertueux autoproclamés ou considérés comme tels s’étaient mus comme des carpes, pour ne pas déranger le régime en place.
Des médias n’ont-ils pas dénoncé aussi des faits de corruptions chez des juges comme chez des avocats ?
Me Benao Batibié: Des faits de corruption supposés ont été évoqués par des médias au sujet d’acteurs de la justice dont des magistrats et au moins un avocat. A ma connaissance, ces faits ont fait l’objet d’une plainte qui est actuellement en traitement au sein de l’appareil judiciaire. Cette plainte a été introduite par un avocat qui a requis par un justiciable. Quand la justice aura fini d’enquêter, on en saura un peu plus sur la véracité ou non des faits rapportés par le média en question. Vous voyez bien que c’est tout autre chose ! Après, la différence entre nous réside dans le respect de la présomption d’innocence qui est une chose importante à nos yeux, qu’importe la personne soupçonnée.
Propos recueillis par
Albert Nagreogo
Libreinfo.net