Les fidèles musulmans du Burkina Faso ont entamé le mois de Ramadan depuis le dimanche 3 avril 2022. Que représente ce mois de Jeûne pour le croyant musulman? Que faut-il faire durant ce mois? Libreinfo.net a rencontré Dr Inoussa Compaoré, Imam à l’AEEMB(Association des élèves et étudiants musulmans du Burkina) et au CERFI (Cercle d’étude, de recherche et de formation Islamique).
Propos recueillis par Nicolas Bazié
Libreinfo.net : Comment vous avez accueilli le mois de Ramadan ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Vous savez, la prière du croyant c’est d’avoir un Ramadan de plus dans sa vie. Au regard de ce que signifie le Ramadan, il ne peut l’accueillir qu’avec pleine satisfaction.
De la tradition des compagnons du prophète, quand ils sortent d’un Ramadan, leur prière fondamentale dans les mois qui suivent, c’est d’invoquer Allah pour qu’il agrée ce qu’ils ont pu faire. Et six mois avant le Ramadan, ils passent tous leurs temps à demander au Seigneur de leur donner la chance pour l’atteindre.
Egalement de la tradition du prophète lui-même, quand le mois qui vient avant celui du Ramadan arrive, il avait une invocation qu’il faisait : « Seigneur Dieu, bénis nous en ce mois de chaabane et permet nous d’atteindre le Ramadan ».
Donc le souci de tous musulman, c’est d’avoir un Ramadan de plus dans sa vie, afin de profiter de tout ce qu’il y a comme bienfaits et comme miséricorde à l’intérieur.
Ainsi, c’est avec un cœur pleinement ouvert et surtout avec la reconnaissance à l’égard d’Allah, pour cette chance qu’il nous donne de vivre encore une fois, cette miséricorde qu’est le Ramadan.
Libreinfo.net : Le Burkina est l’un des pays de la sous-région à ne pas commencer le jeûne le 2 avril, faute d’avoir vu la lune, comment expliquer ce décalage ? Est-ce que cela change quelque chose ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Cela ne change absolument rien. Le prophète nous a dit : « Vous voyez le croissant lunaire et vous jeûnez. Et vous voyez également le croissant lunaire et vous rompez le jeûne. Lorsque vous êtes au 29e du jour mois de chaabane, s’il y a des nuages, complétez le mois de chaabane à 30 et commencez le Ramadan le jour qui suit ».
Mais cela ne veut pas dire que la lune n’est pas sortie, ça veut dire qu’on ne l’a pas vu. Ne l’ayant donc pas vu au Burkina, nous devons respecter les principes du prophète. Donc cela ne change pas la qualité de notre Ramadan.
Libreinfo.net : Que représente le ramadan pour un musulman ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : A l’intérieur du Ramadan se trouve une nuit, et le Coran l’appelle la « nuit du destin ». Le Coran dit que la valeur de cette nuit dépasse milles mois et milles mois c’est plus de 83 années. Ce mois se trouve dans les derniers jours de la décade, qui également se trouve dans le mois de Ramadan.
Donc si cette nuit dépasse milles mois, que vaut le Ramadan maintenant aux yeux de Dieu ? C’est inestimable. Le croyant ne peut pas estimer la valeur du Ramadan, c’est Dieu seul qui connait sa valeur.
Dans un autre Hadith, le Prophète nous a dit : « L’œuvre du croyant lui appartient et le jeûne m’appartient. C’est à moi qu’appartient la rétribution ». Le jeûne est un acte tellement intime. Moi je peux serrer ma mine avec vous et je rentre je bois mon eau et je ressors serrer ma mine. Mais c’est Dieu seul qui sait tout.
Le jeûne est cette valeur intrinsèque d’établissement de la relation étroite avec le Seigneur. C’est une activité de sincérité. Dans tous les cas, celui qui jeûne avec foi et dans l’espoir de la récompense, il rencontre Dieu avec satisfaction.
Le Prophète nous a dit : « Le Ramadan est divisé en trois décades. La première décade est un moment de miséricorde. Dieu fait abondamment miséricorde. La deuxième décade est consacrée au pardon.
La troisième décade est l’affranchissement de l’enfer. Et chaque nuit pendant le Ramadan, il y a un nombre de ces créatures dont Dieu efface totalement leurs noms de l’enfer. Dieu multiplie donc considérablement ces noms, jusqu’à la nuit du destin où le nombre est multiplié de manière exponentielle, et où Dieu libère totalement les gens de l’enfer.
Libreinfo.net : Qu’est-ce que vous recommandez à vos fidèles durant ce mois ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Il y a plusieurs éléments à recommander. Premièrement le Ramadan est une école de piété. Allons à l’école de piété en nous éduquant nous-mêmes, en éduquant l’ensemble de nos sens. Le Ramadan nous permet d’éduquer à la fois notre ventre, notre sexe par rapport à nos épouses et à nos époux.
Le Ramadan permet de discipliner le regard et l’écoute. Au travers du Ramadan, on doit sortir en valeur ajoutée, avec la conscience de la présence de Dieu en tout temps et en tout lieu, et nous devons nous rendre compte de nos actes que nous posons devant lui. Donc, le musulman qui vit bien son ramadan, il fait attention à l’ensemble des actes qu’il pose.
La deuxième recommandation est l’abstinence. Le Ramadan est un moment d’endurance, de soif et de faim en un mois seulement. Mais Dieu par ça nous enseigne que c’est le quotidien de bon nombre de personnes.
Pour nous, c’est juste un mois d’éducation. Certains c’est pratiquement toute l’année. Je veux parler de nos déplacés internes qui sont dans des difficultés. A travers donc cette expérience, qu’Allah fait vivre au musulman, c’est pour qu’il soit sensible à son environnement.
Et le prophète nous dit : « Dieu fait miséricorde à celui qui fait miséricorde sur la terre ». Si nous voulons la miséricorde de Dieu, c’est d’être miséricordieux envers ceux qui souffrent ici-bas. Donc c’est une formation. Dans le Ramadan, on n’a un repas en moins, c’est le repas de midi. La finalité c’est que ce repas soit offert à ceux qui sont dans les difficultés. L’objectif du Ramadan est de s’abstenir et offrir à autrui, dans l’espoir de lui apporter miséricorde et d’espérer la miséricorde de son Seigneur.
Le Ramadan c’est le mois du Coran. Dieu dit que c’est dans ce mois de ramadan que nous avons fait descendre le Coran. Le musulman doit profiter pour établir une relation de proximité avec le Coran, multiplier la lecture du Coran. C’est de se donner au minimum pour objectif de finir une lecture méditée, de l’ensemble du Coran, au moins une fois dans ce Ramadan. Sinon pourquoi pas deux fois ou trois fois selon un programme, pour mieux comprendre le message de Allah et de vivre ce message.
L’autre recommandation c’est la prière. Le Ramadan est l’un des moments privilégiés au cours desquels, Dieu acceptent nos prières. Une prière peut changer un destin, elle peut changer une vie et la destinée d’un pays.
Le Burkina Faso traverse l’un des moments les plus difficiles de son histoire. C’est l’occasion pour chaque musulman en ces instants très précieux de haute spiritualité, de pleurer avec le Seigneur, afin qu’il réconcilie les fils et les filles de ce pays, et qu’il ramène la paix et la sérénité, en transformant chacun de nous, pour que nous puissions être les vecteurs de cette paix, miséricorde et stabilité.
Libreinfo.net : Quels sont les interdits d’après vous?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Tout ce qui était interdit en dehors du Ramadan demeurent interdis pendant et après le Ramadan. Cependant, spécifiquement par rapport au jeûne, il y a un certain nombre d’interdits à respecter. C’est le fait de ne pas manger, ne pas boire, ne pas vomir volontairement pour trouver un soulagement, ne pas mentir, ne pas calomnier. Le prophète dit : « Celui qui ne s’abstient pas des grossièretés et de mensonge, Allah n’a nul besoin qu’il s’abstienne de manger et de boire ».
Ce qui gâte le jeûne, c’est lorsque quelqu’un prend l’intention de rompre. Rien que par l’intention, son jeûne est rompu. En ce moment ton jeûne n’a plus de validité au sens spirituel du terme.
Libreinfo.net: Quelle vie de couple doit-on avoir dans ce mois ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : La famille a une place fondamentale dans l’Islam. D’abord à l’égard des épouses, le prophète a dit : « Le meilleur d’entre vous ne fait pas allusion ni à la qualité du jeûne ni à la qualité de la prière, mais le meilleur d’entre vous auprès du Seigneur, c’est celui qui est le meilleur en comportement avec son épouse ».
Le musulman en ce moment de Ramadan, ne doit pas charger les femmes, mais d’être également à leurs côtés dans la cuisine, tout en rappelant que ce n’est pas l’occasion d’avoir des cuisines en abondance mais continuer avec les cuisines habituelles. Comme il y a la fatigue, et qu’il fait chaud, il est important d’épauler la femme. L’entraide est aussi l’objectif de l’Islam.
Il faut ensemble prier la nuit, faire des invocations et penser à la famille dans la prière.
Libreinfo.net : Comment évitez les vices (l’alcool, le sexe, la délinquance etc.)?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Tous ces vices ne sont pas liés au Ramadan. On va à l’école du Ramadan pour nous éduquer. Et voir comment éviter le péché ? Et surtout, avoir conscience qu’on va s’arrêter devant Dieu un jour, pour rendre compte de l’ensemble de nos actes.
Libreinfo.net: Comment faut-il vivre le jeûne dans ce contexte socio politique ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Le jeûne doit se faire en ayant à l’idée qu’il y a beaucoup de personnes qui sont en difficultés dans ce pays, en leur apportant notre assistance physique et spirituelle, à travers les prières que nous adressons à Dieu, pour qu’il leur fasse sortir de leurs situations et les ramener dans la sérénité. Donc le musulman a un devoir de présence auprès de ceux qui sont en difficultés.
Libreinfo.net: A l’orée du mois de Ramadan, le 1er avril, le président de la Transition Paul-Henri Damiba a parlé d’une journée de prière et de réconciliation dans son adresse à la nation. Comment avez-vous accueilli cela ? C’est une solution contre tout le mal que nous vivons aujourd’hui ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Je répète, une prière peut changer le destin d’un pays et nous croyons fortement que la prière peut être la solution des difficultés que nous vivons actuellement. En plus de ça, nous demandons aux uns et aux autres, la sincérité avec Dieu et avec nous-mêmes. Que chacun porte les soucis du pays dans son cœur, dans ses prières et dans ses actes quotidiens.
Parlant de la journée de prière annoncée par le chef de l’Etat, je pense que les autorités religieuses sont habilitées à se prononcer sur cette question. Parce que, quand il y a une mise en œuvre de quelque chose, ce sont elles qui sont interpellées.
Libreinfo.net: Quelle appréciation faite vous de l’évolution de la situation sécuritaire et les milliers de déplacés internes ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : En tant que Imam, on ne peut qu’être touché. Nous devons nous poser des questions sur ce que nous devons faire pour que ces derniers sortent de cette situation. D’ailleurs on a peur d’être interrogé un jour par le Seigneur, parce que nous n’avons pas fait ou n’avons pas assez fait pour ceux qui souffrent.
C’est pourquoi le musulman ne peut être insensible à la souffrance d’autrui. C’est dans cette dynamique que nous sommes, avec la prière et les recherches d’autres solutions, pour résorber les problèmes de ces personnes.
Libreinfo.net: Comment peut-on combattre contre ces forces du mal qui disent tuer leur prochain au nom du Jihad et même dans ce mois de Jeûne ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Nous avons un message clair de l’Islam. L’Islam est un message de miséricorde. Dieu dit dans le Coran : « Je ne t’ai envoyé que comme miséricorde pour l’univers». Le message de l’Islam est destiné à un peuple de miséricorde. Le musulman à tous les niveaux est une source et un vecteur de la miséricorde de Dieu. Cela suffit pour donner largement la vision de l’Islam. D’ailleurs, le mot « Islam » signifie la paix.
Lorsque les musulmans se croisent et se saluent ils disent : « Que la paix de Dieu soit avec toi ». Donc je pense que les musulmans sont clairs dans le vrai message de l’Islam, et il appartient à chacun de se laisser imprégner et éduquer par ce message. Il y a combien de musulmans au Burkina Faso ? Donc il ne faut pas inverser les situations. L’Islam c’est la paix et la majeure partie des musulmans le prouve tous les jours.
Libreinfo.net: Le Burkina Faso a désormais un ministère plein des cultes, pensez-vous qu’il est opportun ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : Au Ministère de l’administration territoriale il y avait une direction chargée des cultes. Il s’agit de la direction des affaires coutumières et religieuses. Mais si les autorités pensent qu’il est opportun de créer un ministre plein qui s’occupe de ce volet, je pense qu’ils ont des objectifs.
Nous attendons donc de voir ce que les résultats que ce ministère vont produire. Dans tous les cas, il appartient au ministère de travailler au rapprochement des religieux, parce que quoi qu’on dise, nous n’avons pas deux pays. Il n’y a qu’un seul et la religion n’a pas pour finalité de créer la zizanie ou le désordre.
C’est de bons cœurs que nous devons pouvoir partager les valeurs de cohésion, de vivre ensemble et de cohabitions que nos parents nous ont laissé, sans quoi nous n’allions pas trouver le Burkina Faso tel qu’il est.
Libreinfo.net: Est-ce qu’il y a un point sur lequel vous souhaiteriez insister ?
Imam Dr Inoussa Compaoré : J’appelle les musulmans à prier pour leurs familles, pour les déplacés internes, pour les malades, pour les défunts, pour l’ensemble des vivants, pour le monde qui traverse une situation de guerre, d’insécurité, de maladie et de famine. Car, on ne sait où sa prière peut mener le monde.