Ce 13 Décembre 2022 marque le 24ème anniversaire de l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo tué en 1998 sur la route de Sapouy. 24 ans après, le drame de Sapouy n’est toujours pas élucidé. Quelles sont les dernières nouvelles du dossier Norbert Zongo ? Où en est-on avec l’extradition de François Compaoré ? Libreinfo.net s’est entretenue avec Me Prosper Farama, un des avocats dans l’affaire Norbert Zongo.
Propos recueillis par Antoine Boni
Libreinfo.net: Quelles sont les dernières nouvelles du dossier Norbert Zongo ?
Pas grande chose n’a évolué pour être sincère. Il y’a des inculpations et le dernier épisode est la demande d’extradition de François Compaoré qui est toujours à la cour européenne des droits de l’homme avec son lot de lourdeurs procédurales.
Sur cette procédure l’issue est attendue pour donner suite à l’affaire. Nous espérons que dès les mois à venir, cette situation sera dénouée.
Libreinfo.net : Où en est-on avec l’extradition de François Compaoré?
Le dernier rebondissement est que la cour avait demandé des éléments complémentaires à l’état Français qui s’est référé à l’Etat Burkinabé. Le Burkina n’est pas partie à ce procès.
D’un point de vue de la procédure, l’affaire oppose l’état Français à François Compaoré. Ces éléments concernaient les garanties des droits de François Compaoré au Burkina. Après clarification de l’Etat Burkinabé, tout est rentré dans l’ordre.
Libreinfo.net : D’où se situent les obstacles ? du côté du gouvernement burkinabè ou de la Cour de l’Union européenne?
Au stade actuel on ne peut pas parler d’obstacles mais d’une procédure qui suit son cours. Il faut savoir que les procédures sont longues.
Libreinfo.net: Que répondez- vous par rapport aux garanties des droits de François Compaoré soulevées par les avocats de ce dernier ?
C’est de bonne guerre ! Quand on est dans un procès, on peut comprendre qu’on use de tous les moyens pour se sortir d’affaire. Mais je dis que François Compaoré n’est pas le seul Burkinabé qui est sujet à des questions de justice au Burkina.
Beaucoup de ses concitoyens ont été jugés mais avez-vous entendus que leurs droits ne sont pas respectés. Bien au contraire, d’après mes informations, à la MACA (Maison d’arrêt et de correction des armées) ou à la MACO (Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou) les droits minimums sont respectés.
François Compaoré n’ira pas dans une maison de détention que celle où vont tous les autres Burkinabé. Je ne sais pas en vertu de quoi François Compaoré aura un palais à titre de détention comme en a eu Pablo Escobar quand il a été condamné.
Notre droit ne le reconnaît pas et si c’est cela qu’il demande, je pense que ce n’est pas acceptable. Mais au-delà de ça je fais partie de ceux qui pense que les droits de François Compaoré doivent être respectés. Nous ne demandons pas vengeance contre François Compaoré mais nous demandons simplement Justice.
Libreinfo.net : 24 ans après l’assassinat de Norbert Zongo, toujours pas de justice. Peut-on juger le dossier aujourd’hui sans François Compaoré?
D’un point de vue purement technique Oui ! Rappelez-vous on a jugé l’affaire Thomas Sankara sans la présence de Blaise Compaoré. Mais ce n’est pas moi à titre personnel, ni pour les burkinabè encore moins la famille de Norbert Zongo, le souhait.
Ce n’est pas une question de justice pour la justice, c’est une question de rendre justice pour savoir la vérité. Il faut avoir suffisamment de courage et de responsabilité pour faire face à son destin et pouvoir dire, je viens devant la justice de mon pays et devant la justice populaire pour m’expliquer.
Quand bien même on dira que la justice n’est pas indépendante. Mais ce serait bien que François Compaoré admette de revenir au Burkina pour répondre devant la justice de son pays et on verra la suite.
Si François Compaoré est condamné et qui ne vient pas purger sa peine, c’est regrettable. Pour moi aujourd’hui que Blaise ne purge pas sa peine, croyez-moi personnellement, juridiquement, ça me pose un problème.
Mais d’un point de vue du résultat, moi, je n’en suis pas moins satisfait parce qu’aujourd’hui, s’il y a quelqu’un qui se trouve dans une situation inconfortable, ce n’est certainement pas ceux qu’il a assassiné, c’est lui aujourd’hui, en étant vivant, qui se trouve incapable de rentrer dans son propre pays. J’ai bien compris qu’il aimerait bien le faire. C’est ça aussi le sens de la justice. C’est ça le sens du combat contre l’impunité.
Libreinfo.net : Votre conviction est désormais faite que c’est François Compaoré le commanditaire du crime ?
J’ai mon opinion à moi, je me réserve de la développer lors d’un procès éventuel. Mais si vous voulez oui, je pense que François Compaoré a été impliqué dans ce crime.
Je pense aussi qu’il y a des responsabilités à aller chercher autour du pouvoir de son frère. Sans rentrer dans les détails des faits qui sont en instruction.
Au regard du rapport qui a été rendu par la commission d’enquête indépendante, ceux qui ont assassiné Norbert Zongo, ce sont des suspects sérieux issus de la garde présidentielle de Blaise Compaoré.
Chacun peut se faire une idée. Mais pour la culpabilité à établir, permettez-nous d’attendre un procès pour y revenir.
Libreinfo.net: Comment appréciez-vous la liberté d’expression au Burkina ces dernières années ?
D’abord, les choses ont évolué en partant de l’affaire Norbert Zongo jusqu’aujourd’hui. Mais si j’ai un pincement au cœur, c’est l’attitude des gouvernants.
Quand les gens ne sont pas au pouvoir, ils critiquent les atteintes aux libertés mais quand ils accèdent au pouvoir, ils sont ceux-là qui demandent à leurs champions de mater les autres parce que c’est des dérives. Et c’est le nouveau combat que doit mener tous les partisans de la liberté.
Que nous soyons de la gauche, de droite, du centre, de quelques obédiences politiques et religieuses culturelles, que ce soit, il y a un dénominateur commun sur lequel nous ne devons pas transiger, la liberté d’expression.
Les libertés démocratiques restent les libertés démocratiques au profit de tout le monde et nous devons, quel que soit le camp dans lequel nous sommes, nous battre pour les consolider.
Libreinfo.net : A votre avis y’a-t-il des dérives à craindre sur la toile de même que dans les médias ?
Oui, absolument toute liberté va avec des dérives. Il n’y a pas de liberté sans dérives. Pour rebondir sur une question d’actualité qui est toute bête, quand on suspend un média comme le cas de RFI (radio France internationale) et quelquefois d’autres médias, moi je pense qu’il faut travailler à conscientiser les médias et au-delà à conscientiser les peuples, ceux qui écoutent les médias.
La décantation de l’information, le cadrage des dérives vient de l’intelligence de ceux qui écoutent. C’est plus facile de lutter dans ce sens-là que de vouloir régenté des médias.
Parce que ce qui ne se dit pas sur les réseaux sociaux, ce qui ne se dit pas dans les médias, on n’empêchera pas que ça se dise dans des cabarets donc qu’est-ce que vous aurez changé ? La communication, c’est la communication, qu’elle soit dans un cabaret ou dans un réseau social.
Librefino.net: Comment expliquez-vous les mauvais rapports entre les régimes de Transition et la liberté d’expression ?
C’est déjà peut-être parce que la plupart des régimes de transitions qu’on a vécue, étaient des régimes d’exception. Tout régime d’exception, par essence, rejette la contradiction.
Ensuite, dans les régimes de transition, il se pose aujourd’hui la question fondamentale de ceux qui gouvernent. Ces pouvoirs ne répondent de personne.
Et enfin, on a l’impression que c’est la manipulation de l’opinion qui permet d’accéder au pouvoir et surtout de le conserver. Malheureusement ça devient un cycle infernal.