» Contre toute attente, le Gouvernement du Burkina Faso vient d’adopter en conseil des ministres du jeudi 08 novembre 2018, une mesure de réajustement des prix des hydrocarbures à la pompe. Suite à cette douloureuse décision, les Burkinabè ont constaté le 9 novembre 2018, une augmentation de 75 F CFA des prix à la pompe de l’essence et du gasoil, soit respectivement une hausse de 12% et 14%. Cette mesure intervient dans un contexte de précarité des populations qui se livrent quotidiennement, depuis l’avènement du MPP au pouvoir, à une lutte âpre de survie.
Selon les arguments du Gouvernement, cette augmentation se justifie au regard de l’évolution des prix du pétrole sur le marché international d’une part, et pour la contribution patriotique à l’effort de guerre imposée au Burkina par les terroristes d’autre part. L’UPC n‘est pas contre la vérité des prix pratiqués au niveau des hydrocarbures ,et encore moins contre l’effort de guerre à consentir, car ayant été le premier parti à appeler les populations à une contribution citoyenne en soutien aux FDS pendant que certains caciques du MPP étaient contre. Cependant, l’UPC ne comprend ni les motivations profondes, ni les intentions réelles du pouvoir MPP, en procédant à une augmentation du prix du carburant d’une telle ampleur dans un contexte de morosité de l’économie nationale. Cette décision obéit–elle à une nécessité de sanctionner davantage les ménages en difficultés ou de faire chuter les chiffres d’affaires des entreprises nationales qui affrontent difficilement sur leur propre marché les entreprises étrangères pour des problèmes de compétitivité ?
Le plus inquiétant est que cette mesure vient alimenter le doute sur l’exploitation minière et beaucoup de Burkinabè qui étaient très optimistes se demandent actuellement : que devient le boom minier dans tout ça ?
Cette décision gouvernementale unilatérale et inattendue sonne comme un véritable coup de poignard dans le dos des Burkinabè, et appelle une analyse froide de la situation du pays et de l’état de la gouvernance du MPP.
L’argument selon lequel « Si les prix à la pompe sont restés bloqués au Burkina Faso depuis le mois de mai 2016, soit un peu plus de deux ans, cela est dû à un effort important du Gouvernement qui assumait la contrepartie à travers la subvention» ne résiste pas à l’analyse car, depuis 2017 jusqu’à nos jours, de l’aveu du Gouvernement, la dette vis-à-vis de la SONABHY s’élève à plus de 240 milliards de francs CFA, soit plus de 15% du budget national, du fait du non règlement des dites subventions. Déjà en 2013, un rapport du FMI faisait ressortir les transferts nets de l’État en faveur de la SONABEL et de la SONABHY estimés à plus de 172 milliards de F CFA, soit près de 10% des dépenses du budget national et 3% de notre PIB à l’époque.
Alors, l’on pourrait se demander :
Comment comprendre ce montant important des subventions aux carburants dans un contexte où les pays pétroliers étaient en difficulté financière occasionnée par la baisse du prix du baril de pétrole depuis 2014 ? En rappel, les cours du pétrole ont connu une forte contraction de près de 31% entre 2014 et 2016 passant de 112 dollars le baril en juin 2014 à 35 dollars en moyenne depuis le début de l’année 2016. Par exemple, cette contraction s’est matérialisée par des difficultés budgétaires et une déplétion des réserves de change pour le Nigeria avec pour corollaire le changement de régimes de change, trois fois au cours de l’année 2016 (voir rapports IMF 2016 et 2017 et « Perspectives économiques africaines » Encadré 2.2). C’est ce même argument qui alimentait les débats sur une probable dévaluation du F CFA dans la zone CEMAC dont les économies dépendent fortement du pétrole entre 2016 et 2017. Autrement dit, une forte hausse du prix du carburant (12-14%) en 2014 pouvait mieux se justifier, surtout au regard des évènements que le pays a connus.
En plus, il est anodin de vanter les efforts de soutien de l’État à la SONABHY et nous présenter une dette à hauteur de 240 milliards. Combien en moyenne l’État doit annuellement à la SONABHY au titre des subventions pour qu’on en arrive à cette situation de cumul de dettes ?
Où sont passés les montants prévus dans les budgets 2016, 2017 et 2018 au titre des subventions du prix des hydrocarbures ? En effet, si ces montants alloués dans ces budgets n’ont pas été décaissés, ils devraient faire l’objet de rectification des lois de finances auxquelles ils se rapportent, et portés régulièrement à l’attention des populations, afin que l’exécution des budgets reflète sincèrement les ressources et dépenses des exercices concernés et dûment approuvées par l’Assemblée Nationale chargée du contrôle de l’action gouvernementale. Ces questions pourraient, en l’absence de réponses appropriées, mettre en doute la sincérité dans l’exécution du budget de l’État.
Par ailleurs, il convient de souligner qu’il n’est pas logique que le Gouvernement soit incapable de subventionner le prix du carburant, alors qu’il dispose du budget pour les dépenses de prestige (acquisition des talismans, des véhicules 4×4 Toyota Land Cruiser de marque V8, qui consomment trop de carburant, etc.) ? Est-ce cela la gouvernance vertueuse que « ROCH, la Solution » avait promis au peuple ? Visiblement, on a l’impression que ce gouvernement MPP préfère son confort aux intérêts supérieurs et basiques des populations du Burkina Faso.
Selon le Gouvernement, cette décision vise à renflouer les caisses de la SONABHY afin de garantir l’approvisionnement régulier du Burkina Faso en carburant. Mais il convient de rappeler que la dernière mission du FMI a tiré la sonnette d’alarme sur l’état de notre économie, et sur l’état de nos finances publiques: la croissance de 6% prévue pour 2018 est revue à la baisse; le déficit budgétaire s’est creusé en 2017 et s’est aggravé en 2018; au premier semestre, les recettes fiscales ont été inférieures de 0,4 point de pourcentage de PIB par rapport aux prévisions; le ratio masse salariale/ recettes fiscales du Burkina est le plus élevé de l’UEMOA, en raison de la faiblesse de la collecte des recettes.
Les ministres des finances et de la défense ont été auditionnés récemment et ont annoncé que nous sommes en manque de trésorerie. Récemment le conseil de ministres a adopté une loi de finances rectificative qui annule plus de 200 milliards de dépenses qui étaient prévues ; les ministères ont été invités à faire des coupes sombres dans leurs budgets.
En clair, l’opération a pour objectif de renflouer un État qui est proche de la cessation de paiement. L’on pourrait remarquer que les taxes représentent près de 40% du prix à la pompe. Ce qui revient à dire que près de la moitié de cette augmentation, soit 30 FCFA, revient à l’État. Les 75 francs d’augmentation vont rapporter environ 85 milliards à l’État.
Par ailleurs, il est bon de se rappeler le mécanisme de prix de la SONABHY : l’État fixe un prix de référence et sur la base de ce prix, il calcule ses taxes et fixe le prix à la pompe. Quand le prix du marché est inférieur au prix de référence, le surplus engrangé par la SONABHY est versé au trésor. Quand le prix du marché est supérieur au prix de référence, l’État subventionne. Or, pour l’essentiel, le prix de référence était supérieur au prix du marché ; donc c’est l’État qui en a profité. Normalement, il devait garder cet argent pour faire la péréquation. Combien a t’il engrangé et qu’a t’il fait de cet argent ? En fait le MPP a-t-il renoué avec la vocation de caisse noire que joue la SONABHY ? Et si la situation de la SONABHY était si critique, pourquoi le sujet n’est-il pas ressorti lors de l’Assemblée Générale des sociétés d’Etat tenue le mois dernier ? On a tous noté que la SONABHY a été cité parmi les sociétés les plus performantes.
Une règle d’or en matière de gestion économique est de tout faire pour ne pas diminuer le pouvoir d’achat des consommateurs quand il y a ralentissement. Au contraire, on diminue les taxes pour que ce pouvoir d’achat augmente.
Sans doute, cette augmentation va non seulement contribuer à réduire davantage les pouvoirs d’achat des ménages, et partant la consommation nationale et son corollaire sur la production nationale, mais aussi rendre moins compétitives les entreprises nationales qui sont déjà sous le joug de la cherté des facteurs de production. Une analyse par récurrence, nous permet d’affirmer une hausse au prorata ou à un niveau plus que proportionnel des prix des transports, du fret et des produits de grande consommation. Le MPP est en train de faire le contraire de ce qu’on enseigne à l’école.
L’UPC pense qu’en ce qui concerne le mode choisi pour combler le déficit de la SONABHY, le MPP veut utiliser des solutions conjoncturelles pour résoudre des problèmes structurels. Une analyse rigoureuse de la structure des prix permettrait d’aboutir à d’autres propositions qui n’affecteraient pas autant le pouvoir d’achat des populations déjà vulnérable. En effet, la renonciation de la part des recettes prévues au budget de l’État au titre des taxes, pendant un certain temps, la réduction des marges financières des parties intervenant dans la chaine des approvisionnements, pouvaient permettre à la SONABHY de retrouver son équilibre financier et sa solvabilité mis à mal par les impayés de l’État et maintenir le peu du pouvoir d’achat des ménages Burkinabè. De telles options doublées d’un assainissement des finances de la SONABHY par une gestion rigoureuse de la société seraient de meilleures alternatives.
Aussi, l’UPC invite le Gouvernement à faire preuve d’anticipation et à aller au charbon dans la réflexion stratégique en vue de la mise en place d’un fonds de stabilisation des prix des hydrocarbures et des produits de grande consommation au Burkina Faso. Cette piste offre l’avantage d’assurer une veille stratégique sur l’évolution des prix au niveau international et, en même temps, fournit un « matelas » de sécurité à l’État afin d’éviter les conséquences désastreuses de décisions hasardeuses sur les conditions de vie des populations.
Il serait difficile de comprendre que les prix de l’essence et du gasoil soient respectivement de 55O FCFA et 540 F CFA au Niger voisin, alors que les hydrocarbures quittent depuis les entrepôts des pays côtiers en traversant le territoire du Burkina Faso pour le Niger. Tout laisse à croire maintenant que les consommateurs Burkinabè vont se substituer aux partenaires techniques et financiers pour trouver les 18 000 milliards pour le PNDES. Mais le problème n’est pas le sacrifice qu’on demande à la population, mais plutôt la mauvaise utilisation des ressources financières, soit pour des dépenses de prestige, soit pour des infrastructures « biodégradables » (voir ponts et écoles qui s’effondrent après leurs réceptions pompeuses).
C’est pourquoi l’UPC invite instamment le Gouvernement à engager des réflexions avec les compétences nationales et internationales avérées en la matière, afin de limiter l’hémorragie financière de cette structure en posant clairement la problématique de la libéralisation de la filière des hydrocarbures au Burkina Faso, comme cela s’est opéré avec bonheur sous d’autres cieux.
En plus, pour une solution structurelle aux problèmes de carburant, le Gouvernement devra travailler à développer le transport en commun pour réduire les dépenses en carburant des citoyens burkinabè qui consacrent près de la moitié de leur salaire aux moyens de déplacements.
L’effort de guerre devait faire l’objet d’une proposition de loi à soumettre à l’Assemblée Nationale pour trouver des ressources additives afin d’équiper nos FDS en matériels adéquats et les motiver pour affronter efficacement cet ennemi invisible et imprévisible. À ce propos, qu’en est-il de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire ?
En conclusion et au regard de tout ce qui précède, l’UPC, le parti du vrai changement :
dénonce avec vigueur l’amalgame fait par le MPP pour faire passer sa pilule amère de hausse inconséquente des prix de l’essence et du gasoil décidée, et l’invite à la suspendre ;
invite le Gouvernement une fois de plus à donner suite aux interrogations légitimes de populations sur la gestion de l’affaire SONABHY pour situer les responsabilités ;
invite le Gouvernement à explorer des voies plus novatrices pour stabiliser les prix des hydrocarbures, ainsi que des produits de grande consommation au Burkina Faso. Mieux, l’UPC invite le Gouvernement à engager des réflexions avec les compétences nationales et internationales avérées en la matière, afin de limiter l’hémorragie financière de cette structure en posant clairement la problématique de la libéralisation de la fourniture des hydrocarbures au Burkina Faso ; la SONABHY pourrait se contenter d’un rôle plus maîtrisable qui est le contrôle de la qualité et de s’assurer de l’approvisionnement régulier du pays ;
réitère ses propositions au Président du Faso à savoir :
mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ;
impliquer toutes les forces de la nation dans cette guerre asymétrique ;
doter les FDS de moyens et d’équipements adéquats ;
réunir les conditions nécessaires pour une vraie réconciliation nationale, gage de l’unité tant recherchée des fils et filles du pays des hommes intègres.
La vie ou la survie de la nation vaut la peine que les egos surdimensionnés soient mis de côté pour qu’ensemble, nous mettions hors d’état de nuire l’ennemi commun afin de réunir les conditions d’un développement durable pour le bonheur des populations laborieuses déjà éprouvées par dame nature. »
Ouagadougou, le 12 novembre 2018
Pour le Bureau Politique National de l’UPC,
Le Secrétariat national chargé de l’économie, du développement de la planification