Bassiaka Dao est le président de la Confédération paysanne du Faso (CPF),dans cette partie de l’entretien,il explique les problèmes de la production cotonnière. En cette période d’hivernage, Libreinfo.net a rencontré ce grand défenseur de la cause paysanne. Dans cet entretien, il explique le déroulement de la saison agricole, les difficultés liées à l’accompagnement de l’Etat et des pistes de solutions pour le développement de l’agriculture.
Libreinfo.net : Le Burkina Faso tente de reconquérir sa place d’antan dans le domaine du coton. Qu’est ce qu’il y a lieu de faire pour cela ?
Bassiaka Dao : En ce qui concerne le coton, c’est une question qui est liée à des prix, à des bonifications. Le Bénin nous a détrôné, la Côte d’Ivoire vient de nous détrôner, nous qui étions le premier producteur de coton en Afrique de l’Ouest. C’est-à-dire que ces gens ont mis un certain nombre de mécanismes en place pour permettre aux producteurs d’être toujours compétitifs. Aujourd’hui, si on n’a pas tous ces accompagnements au niveau du secteur coton, on ne peut que régresser. On est dans un cercle infernal où les Groupements des Producteurs de Coton(GPC) sont liés par la caution solidaire. Il y’a des gens qui travaillent et qui arrivent à faire de bonnes productions mais au niveau de ces GPC, ils tombent en impayé. Et rien n’est fait pour les accompagner.
Il faut mettre en place des mécanismes et faire des états généraux du coton. Et que ces états généraux ne soient pas uniquement initiés par des intellectuels. Travaillons avec les hommes de terrain et voir qu’est ce qui leur manque pour que nous puissions retrouver notre place d’antan. Voilà ce qu’il faut faire au lieu de rester avec les techniciens à Ouagadougou, s’enfermer dans une salle climatisée tandis que les acteurs qui sont concernés ne sont pas impliqués.
Li : Le ministre Harouna Kaboré du Commerce a initié des tournées ces dernières années dans des champs de coton. Il y a eu aussi la création du Salon international du coton et du textile (SICOT). Est-ce que cela n’est pas de nature à encourager les paysans ?
B.D : Non, ça ne suffit pas. Tourner dans les champs n’est pas synonyme de discussions entre acteurs. Si au cours de ces tournées, il échangeait véritablement avec les premiers concernés pour comprendre pourquoi la production régresse, il pouvait alors prendre des dispositions pertinentes. Il faut des ateliers dans chaque province qui regroupent uniquement les acteurs de terrain, les producteurs de coton avec quelques personnes qui les accompagnent, notamment le ministère de l’Agriculture.
C’est ce que nous appelons une concertation. Mais si on rencontre les techniciens et quelques acteurs qui n’ont pas la main à la pâte et qui disent que la production est bonne, les choses ne peuvent pas avancer.
Li : L’État burkinabè a annoncé une augmentation du prix du coton. Est ce que cela n’est pas un encouragement des paysans ?
B.D : Ce n’est pas de nature à encourager les paysans parce que ce prix n’atteint pas ceux du Bénin et de la Côte d’Ivoire.
Li : Vous voulez dire que ce n’est pas un prix concurrentiel ?
B.D : Ce n’est pas un prix qui est bon pour les producteurs. Pour que le secteur avance, nous devons faire des sacrifices. C’est ce sacrifice qui n’est pas là. Quand le Président Alassane Ouattara a augmenté le prix du cacao, tous ceux qui étaient découragés se sont réinvestis dans leurs exploitations et la production ne peut que monter parce qu’il a fait des sacrifices. Ce sont ces sacrifices que nos dirigeants ne veulent pas faire.
Si on met aujourd’hui le prix du kilogramme de coton à 500 francs, l’année prochaine le Burkina sera le premier pays producteur de coton en Afrique de l’Ouest. C’est un sacrifice que l’État doit faire. Le peu qu’il va débourser va permettre aux gens de se réinvestir dans la production cotonnière et nous allons reconquérir notre place d’antan.
Li : Etes-vous sûr qu’à 500 francs le kilogramme, l’État burkinabè pourra supporter le budget d’achat ?
C’est un sacrifice. Quand l’Europe au sortir de la deuxième guerre mondiale a dit qu’il faut créer un espace de paix et de sécurité alimentaire, il y a eu des sacrifices. On a accompagné les acteurs de terrain à acquérir des équipements et bien d’autres choses. Au bout d’une année on a constaté que la production céréalière a augmenté et petit à petit les choses se sont réglées. Au lieu de continuer de nous subventionner à outrance, il faut faire quelque chose qui va intéresser, qui va engager les gens. Les producteurs vont se réinvestir en se disant que si je perds cette année, je vais gagner l’année prochaine. A un certain moment, les prix vont se stabiliser. Un fonctionnaire ou un salarié sait qu’elle est la masse salariale qu’il gagne en douze mois. Un agriculteur professionnel qui est lié à la pluviométrie ne sait pas combien il gagne.
Même quand vous produisez 100 tonnes de maïs, vous ne savez pas à quel prix vous serez mangé, c’est la loi du marché. Ceux qui détiennent le cordon de la bourse, ce sont les commerçants et ils ne font que descendre les prix. Cette année, comme il n’y a pas de maïs, un sac de maïs coûte 25 000 francs à Ouagadougou.
Nous ne disons pas de nous venir en aide tous les jours. Mais de mettre en place quelque chose qui incite les acteurs à mieux s’investir dans ce domaine. On ne veut pas affamer nos populations. Pour le producteur, c’est la population qui est son marché. Tant que la population a les moyens d’acheter, le producteur lui aussi a les moyens de produire. On veut des prix qui sont stables. Il faut au moins que moi en tant qu’agriculteur je me dise que chaque année, ce que je gagne tourne autour de 12 ou 15 millions.
On souhaite que dame nature arrose bien le pays avec de très bonnes pluies qui seront bien réparties dans le temps et dans l’espace pour que nous puissions bien produire en quantité et en qualité suffisante. Le gouvernement doit travailler à sécuriser le territoire et résoudre les questions sanitaires liées à la COVID-19. Quand les gens ne sont pas tranquilles, ils ne peuvent pas faire une très bonne production.
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