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Bobo Dioulasso :  Les infrastructures culturelles se meurent, les acteurs s’indignent

Bobo Dioulasso

Bobo Dioulasso est une ville culturelle par excellence. Cela peut se justifier par la qualité des créations et des événements culturels qui s’y déroulent. Cependant, quelques infrastructures culturelles de création, de production et de diffusion ne fonctionnent pas, car  plusieurs centres culturels ont fermé, depuis quelques années. Reportage.

Par Nicolas Bazié (de retour de Bobo Dioulasso)

Le 27 avril 2023, nous nous sommes rendus dans la ville de Bobo Dioulasso, située à 365 kilomètres de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. À 14h, à Ouagadougou, nous embarquons à bord d’un car d’une compagnie de Transport en commun pour parcourir  ladite distance en 6 heures.

Sur la route, chaque passager adopte la position qui lui convient le mieux. Alors que certains dorment, d’autres écoutent de la musique. Arrivés à Boromo dans  la province des Balé, région de la Boucle du Mouhoun, nous marquons un arrêt.

L’hôtesse invite ceux qui veulent se soulager à le faire. Quelques minutes après, nous reprenons la route. Bobo Dioulasso est encore à environ 178 kilomètres. Depuis nos sièges, nous contemplons la beauté de la nature.

Après de longues heures de circulation, nous voilà enfin à l’entrée de la ville de Sya. Il est 20h.

Des évènements, de l’ambiance, ce n’est pas ce qui manque dans la belle cité de Sya, Bobo-Dioulasso. La ville bat  son plein.

Bobo Dioulasso est encore appelée «la capitale culturelle et artistique du Burkina» ou «la capitale du balafon». Mais, des acteurs rencontrent de véritables soucis dans la promotion de la culture dans cette partie du pays. C’est ce que Libreinfo.net a constaté.

Les lieux, tels que le Centre culturel «Les Bambous Idrissa Koné» accueillent des spectacles presque chaque jour. Avec la SNC, assez de répétitions se font dans cet espace, vieux de 25 ans, créé en 1997 par le Français Bernard Gascar qui faisait des diffusions de spectacles sur des petites scènes.

Le Centre culturel «Les Bambous Idrissa Koné» accueillent des spectacles presque chaque jour.
Le Centre culturel «Les Bambous Idrissa Koné» accueillent des spectacles presque chaque jour.

Le centre culturel est depuis 8 ans, sous la direction de Alexandre Sangaré. Nous l’avons retrouvé en ce lieu précis. Assis, le  téléphone en main, la tête baissée, il dit avoir débloqué beaucoup d’argent pour que le centre réponde à tous les besoins. En plus des spectacles, le centre abrite des salles de formation, une école de musique et de danse, etc.

Sangaré confie qu’il se bat comme il peut avec ce centre pour le rayonnement de la culture à Bobo Dioulasso. Sauf qu’il n’a jamais reçu «même 100 FCFA» comme financement.

Visiblement en colère, le visage crispé, Alexandre Sangaré dit ses vérités en ces termes : « Nous avons besoin de faire vivre la chose culturelle dans les Hauts-Bassins. C’est notre objectif. Pourtant, on reçoit zéro subvention. Que les autorités réfléchissent à notre situation. Je n’ai jamais reçu un financement burkinabè, pas même 100 FCFA».

« Nous mêmes, acteurs majeurs de la culture, sommes obligés de postuler à des fonds. Nous ne devrions pas être dans cette compétition. L’État devrait venir évaluer tout ce que nous faisons et nous appuyer techniquement et matériellement», fulmine M. Sangaré.

« Il faut que je vous le dise. On est délaissé; on se sent abandonné», s'attriste Alexandre Sangaré, le directeur du Centre culturel "Les Bambous"
« Il faut que je vous le dise. On est délaissé; on se sent abandonné», s’attriste Alexandre Sangaré, le directeur du Centre culturel « Les Bambous »

Il soutient que le Fonds  de développement culturel et touristique ne l’a jamais accompagné et, pire, il n’est même pas accessible. «Il faut que je vous le dise. On est délaissé; on se sent abandonné», s’attriste-t-il avant d’ajouter que tout ce qui se trouve dans le centre a été construit sur fonds propres.

«Au début, nous n’étions pas des commerçants; nous ne nous sommes pas lancés dans la culture pour chercher de l’argent. Je suis devenu entrepreneur, commerçant sans le vouloir. C’est le destin qui l’a voulu. Ma vision était de travailler à ce que la culture apporte au PIB burkinabè ».

Dans ce sens, la question de savoir si Bobo Dioulasso pourrait mourir culturellement, Alexandre Sangaré répond par la négative: « Malgré toutes ces difficultés, Bobo Dioulasso vit. Sans la culture, Bobo ne va plus rester. La ville est culturelle. Bien au contraire, les difficultés révoltent les gens qui travaillent à même la terre battue. Il y a de la matière, de la potentialité ici. Il suffit juste que l’autorité ait un regard là-dessus ».  

Son ami Alain Hema, un acteur de cinéma burkinabè, s’invite dans les échanges. Selon lui, Bobo Dioulasso a seulement besoin de la formation, des infrastructures culturelles qui fonctionnent et des moyens pour mieux vivre.

Alain Hema, un acteur de cinéma burkinabè
Alain Hema, un acteur de cinéma burkinabè

Très réputé à Bobo Dioulasso, « Le Bois d’Ebène» est à la fois un restaurant, un cabaret et un espace culturel où la musique live est jouée dans la soirée. Il est situé dans le quartier Sikasso-cira de la ville.

À plusieurs reprises, nous avons joint le propriétaire du centre qui a promis de nous rencontrer. Il nous donne finalement un rendez-vous qu’il n’a pas honoré. Nous l’avons attendu pendant plusieurs heures. En vain.

La troupe de danse Farafina et le problème de statut de ses membres

Parmi les spectacles faits au Centre culturel «Les Bambous Idrissa Koné», il y a ceux de la célèbre troupe de danse Farafina qui veut dire en langue Dioula « Chez nous les noirs». Le nom Farafina a été donné dans l’esprit de présenter la musique originaire de l’Afrique noire, sans mélange avec les instruments des autres continents.

C’est feu Mahama Konaté qui a créé la troupe en 1978. Elle est connue à la fois au plan national et international.

Au plan national, Farafina participe à de nombreuses manifestations. Au plan international, elle fait régulièrement des tournées en Europe (France, Suisse, Allemagne, Suède…), au Japon et en Amérique du Nord (USA et Canada).

Le couronnement de cette période faste est la participation de la troupe de danse à un concert à Wembley (Afrique du Sud), en 1989, dédié à l’ancien président Nelson Mandela. C’était le seul groupe africain à participer à cet évènement mondial.

Actuellement, Désiré Ouattara est le président du groupe. Quand on parle de la troupe de danse Farafina à Bobo Dioulasso, presque  tout le monde sait de quoi il s’agit. Elle marque la vie culturelle de la cité. Problème? Elle fait face à un souci de statut de ses membres. C’est sans hésitation que Désiré Ouattara en parle.

« Le statut de musicien, surtout du musicien traditionnel pose problème dans ce pays. Il est juste considéré comme un animateur de baptême, de funérailles ou de mariage», fait-il savoir, précisant qu’avec l’administration culturelle, « il est difficile d’avoir un document qui justifie le statut du musicien ou du groupe de musique». C’est « un vrai parcours du combattant, alors que  neuf (9) musiciens sur dix (10) sont analphabètes». 

« Lorsque tu souhaites faire une carte ou une attestation , on te demande une carte du BBDA (Bureau burkinabè du droit d’auteur, ndlr) et il est difficile d’avoir cette carte. Les musiciens ont un sacré problème de compréhension avec le BBDA et l’administration culturelle», fait comprendre M. Ouattara.

Pourtant, Bobo-Dioulasso a le potentiel d’une ville culturelle, car « il y a pas mal de festivals, des studios d’enregistrement, des promoteurs de spectacles et c’est vraiment encourageant», poursuit-il.

Qu’à cela ne tienne, rien ne semble empêcher les Bobolais de poursuivre leurs objectifs. Et, c’est ce que Désiré Ouattara tente de dire: « À l’allure où vont les choses, dans 10 ans, si nous maintenons le même dynamisme, Bobo-Dioulasso ne sera pas seulement la ville culturelle, mais aussi le carrefour Africain de la culture.»

Des salles de cinéma non fonctionnelles à Bobo Dioulasso

Faire rayonner le 7e art à Bobo Dioulasso, le réalisateur Drissa Touré en fait son cheval de bataille. Très connu dans la sphère culturelle du pays, il a beaucoup contribué au développement du cinéma burkinabè, depuis les années 80.

Il était chauffeur au FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou). C’est là-bas qu’il a rencontré le célèbre cinéaste sénégalais Sembène Ousmane. Ce fut le déclic pour le cinéma.

« Il y a zéro salle de cinéma ici à Bobo», déclare le réalisateur Drissa Touré
« Il y a zéro salle de cinéma ici à Bobo», déclare le réalisateur Drissa Touré

En mars 2023, un film documentaire long métrage intitulé : « Le Taxi, le cinéma et moi » a même été réalisé pour lui rendre hommage. Un film qui retrace son histoire et aborde ses vingt ans d’absence sur la scène cinématographique.

Lire aussi : FESPACO À BOBO-DIOULASSO : LE FILM D’OUVERTURE REND HOMMAGE AU RÉALISATEUR DRISSA TOURÉ, 71 ANS

Nous sommes entrés en contact avec lui, grâce à Jonas, un habitant de la ville. « Drissa Touré connaît l’histoire culturelle de Bobo. Il pourra vous dire beaucoup de choses», nous assure-t-il.

M. Drissa Touré nous donne rendez-vous chez lui à domicile au quartier Sikasso-cira où il vit avec sa famille. Âgé de 71 ans, c’est avec le sourire qu’il nous accueille.

Son combat actuel reste la réhabilitation du Ciné Sanyon de Bobo-Dioulasso, la plus grande salle cinématographique de la région des Hauts-Bassins qui a ouvert ses portes en octobre 2007.

Pour lui, il est inconcevable de constater, aujourd’hui qu’il n’y a plus une seule salle de cinéma en activité à Bobo, autrefois le centre culturel cinématographique. « Il y a zéro salle de cinéma ici à Bobo. Les projections de films se font à la maison de la culture Mgr Anselme Tatianma Sanon », explique-t-il.

Bobo Dioulasso
La Maison de la culture Mgr Anselme Tatianma Sanon de Bobo Dioulasso

« En 2019, j’ai été voir la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) à Ouagadougou, en tant que cinéaste, pour demander à louer le Ciné Sanyon. J’estime que cette ville doit continuer à vivre culturellement. J’étais convaincu que si la salle restait inoccupée, ce sont d’autres esprits qui allaient y être, c’est-à-dire des voleurs, des bandits. Car, dit-on, la nature a horreur du vide»,  fait remarquer le septuagénaire.

Il poursuit: « La CNSS m’a réclamé la somme de 1 million de francs CFA. J’ai négocié et j’ai pu louer la salle à 500 mille francs CFA. C’est ainsi que je suis allé à la direction générale du cinéma prendre l’agrément d’exploitant. J’ai eu à faire une formation à cet effet. Je savais ce que je faisais; j’étais conscient que l’exploitation de la salle de cinéma n’allait pas être une mince affaire ». 

Le réalisateur décide de la construction de boutiques à l’intérieur du ciné, question d’avoir les 500 000 mille francs CFA pour remettre à la CNSS. Grande fut sa surprise, la Mairie lui intime l’ordre de ne rien construire.

« La mairie m’a dit que si je construis quoi que ce soit, elle viendra tout casser. Je repars à nouveau à Ouagadougou pour revoir le Directeur général de la CNSS d’alors. C’était fatiguant. J’ai fait la navette entre les deux villes à plusieurs reprises. C’est en ce moment que j’ai appris le processus de décentralisation des institutions de l’État». 

Le Directeur général de la CNSS lui donne un accord écrit sur une lettre. « Il m’a indiqué que tout ce que j’allais faire à l’intérieur du Ciné est à la Caisse et que je pouvais construire des boutiques sans soucis. J’ai construit un premier magasin et un restaurant que j’ai loués à des gens. Curieusement, la mairie venait prélever des taxes. Je n’ai rien dit.»

L’homme commence à reconstruire les magasins abandonnés. C’est ainsi que la mairie vient avec un huissier de justice pour lui dire qu’il n’a pas le droit de construire. « J’ai été emmené au poste de police. Heureusement pour moi, j’avais la lettre du directeur général de la CNSS sur moi. Les agents de police m’ont dit que même ma propre maison, si je veux construire à niveau et que je n’ai pas la signature du maire, c’est impossible de le faire », se rappelle-t-il comme si c’était hier.

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« Tant que je vivrai, je vais continuer à me battre pour la reprise des activités du ciné Sanyon» confie Drissa Touré

Après six mois de gestion du ciné Sanyon, la mairie refuse de signer à nouveau  un contrat avec Drissa Touré qui a fini par jeter l’éponge. « Ce sont des fonctionnaires qui ont entre leurs mains, cette salle de cinéma. J’ai tout de suite compris qu’ils ne se foutent pas mal d’elle». 

Avant de nous séparer, le septuagénaire déclare ceci: « Tant que je vivrai, je vais continuer à me battre pour la reprise des activités du ciné Sanyon».

Au lendemain de notre entretien avec monsieur Touré, nous avons effectué une visite sur le domaine du ciné Sanyon. À l’entrée, un vigile est assis sous un manguier, visiblement pensif. Nous lui demandons l’autorisation de visiter la salle.

Il nous fait comprendre qu’il doit d’abord s’adresser à qui de droit, avant de nous laisser entrer. « Il est sorti. Mais, vous pouvez l’attendre, il va revenir d’ici là», nous a-t-il dit.

A quelques pas de notre position, sur la terrasse, des gens sont en train de manger. Nous faisons le tour du bâtiment. Devant la salle, nous avons pu voir la rouille qui a fini par effacer les lettres peintes en blanc qui indiquaient les programmes de projection des films.

Seul le restaurant est en activité. De 13h à 17h, le gérant du Ciné Sanyon n’est pas là. Nous demandons son numéro au vigile qui refuse catégoriquement de nous le communiquer.

Lire aussi: SNC 2023 : 23 PERSONNALITÉS CULTURELLES DÉCORÉES À BOBO-DIOULASSO

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