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CEDEAO: Combat tutélaire entre renaissance et implosion

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La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) commémore, ce 28 mai, le 49e anniversaire de sa création sous le thème « Renforcer l’unité, la paix et la sécurité régionales ». Un choix dicté par la volonté de la Commission de l’institution communautaire de « refléter nos défis actuels et de rappeler à tous la nécessité d’œuvrer à la préservation de l’unité et de la paix régionales ». Les initiatives entreprises pour recoller les morceaux épars de cette Communauté décrédibilisée et dévalorisée permettront-ils de la sauver de l’implosion ?

Par Serge Mathias Tomondji

Une, deux trois… 49 bougies, ce 28 mai, sur le gâteau de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ! Un anniversaire qui intervient dans un contexte tendu, marqué notamment par des crises sécuritaires et sociopolitiques dans nombre de pays membres.

Un 49e anniversaire marqué en outre du sceau de la division, trois pays — le Burkina, le Mali est le Niger — ayant décidé de quitter les rangs de l’institution communautaire. 

Portée sur les fonts baptismaux le 28 mai 1975 à Lagos, au Nigeria, pour, au départ, « promouvoir la coopération et l’intégration avec l’objectif de créer une union économique et monétaire ouest-africaine », la Cedeao a évolué au gré des mutations sociopolitiques de son espace.

Le traité de 1975, signé par les chefs d’État et de gouvernement des seize pays qui la composaient à l’époque — Bénin, Burkina, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo — a ainsi été révisé en juillet 1993 à Cotonou, au Bénin.

Un Traité révisé qui érige la Cedeao comme « entité économique régionale unique », ses responsables étant « conscients de la nécessité impérieuse d’encourager, de stimuler et d’accélérer le développement économique et social des États membres en vue d’améliorer le niveau de vie des peuples ».

Maintien de la paix…

Mais les difficultés et l’instabilité politiques amènent la Cedeao à intégrer la sécurité, la bonne gouvernance et la démocratie dans ses prérogatives. Le pouvoir de l’institution s’étend donc, à partir de 1990, au maintien de la stabilité régionale avec la création de l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (Ecomog).

Ce groupe militaire d’intervention, créé pour « l’observation et la supervision des cessez-le-feu, le maintien de la paix, l’intervention humanitaire, le déploiement préventif, la construction de la paix, le désarmement et la démobilisation », est devenu permanent en 1999 et est notamment intervenu dans des situations de crise au Libéria, en Sierra Leone et en Gambie.

Ainsi, bien que son rôle soit purement économique lors de sa création, « la Cédéao s’est assez vite intéressée au maintien de la paix, condition essentielle pour qu’une union puisse se réaliser ».

Suite au départ de la Mauritanie en 2000, les quinze États membres de la Cedeao ont adopté, le 21 décembre 2001 à Dakar, au Sénégal, le « Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ». 

À noter que le retrait de la Mauritanie était motivée par le désir de ce pays de se consacrer au développement de l’Union du Maghreb arabe. Mais explique-t-on, « ce projet ne s’étant pas finalisé, le pays demande, en mai 2017, à réintégrer l’organisation et en est un membre associé ».

De même, le Maroc, membre observateur depuis 2005, a formulé, le 27 février 2017, une demande d’adhésion à la Cedeao. La décision finale de l’instance communautaire, qui devait être rendue en 2018, attend toujours d’être annoncée, alors que le Maroc a opéré, le 30 janvier 2017, son grand retour au sein de l’Union africaine, après 32 ans d’absence.

Le protocole de la division

De fait, l’adoption du protocole additionnel de décembre 2001 constitue un grand tournant dans la vie de l’institution communautaire, à un moment où la demande et les désirs de démocratisation réelle de nos États était très forte.

Le principal enjeu de cet important instrument reste ainsi « le développement de l’État de droit, la consolidation de la démocratie et l’adoption de principes communs de bonne gouvernance dans l’espace Cedeao ».

Mais c’est aussi de l’interprétation et de l’application des dispositions de ce protocole que s’allumeront, ces dernières années, les flammèches d’une implosion de l’institution communautaire, suite à la série de coups d’État qui ont secoué plusieurs de ses États membres : 24 janvier et 30 septembre 2022 au Burkina ; 5 septembre 2021 en Guinée ; 18 août 2020 et 24 mai 2021 au Mali ; 26 juillet 2023 au Niger.

En effet, pendant que la Cedeao n’est pas parvenue à réguler la question récurrente du coup d’État constitutionnel et a pour ainsi dire fermé les yeux sur les « troisièmes mandats » présidentiels, le terrorisme a gangrené plusieurs pays sans réponse adéquate.

Les résolutions des rares sommets qui se sont penchés sur cette grave situation sécuritaire et qui ont proclamé la mise en place de fonds pour y faire face ont fait flop.

Les lourdes sanctions imposées aux pays dans lesquels les militaires ont pris le pouvoir, contrairement aux règles constitutionnelles et aux dispositions de la Cedeao, ont fait le reste.

Le Burkina, le Mali et le Niger font ainsi bloc et instituent, le 16 septembre 2023, l’Alliance des États du Sahel (AES), qui devrait évoluer vers l’établissement d’une confédération.

Ces trois pays du Liptako-Gourma ont même renforcé leur alliance en décidant de créer, le 7 mars 2024 à Niamey, une force conjointe pour mener la lutte contre les groupes terroristes.

Et leur annonce simultanée, le 28 janvier 2024, de leur divorce d’avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest reste un coup dur pour l’institution qui souffle 49 bougies aujourd’hui.

Réformer la Cedeao…

Depuis, un axe de médiation semble se dessiner, avec notamment le Nigeria et le Sénégal, dont le jeune et tout nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, milite pour une réforme de la Cedeao et pour sa dynamisation, plutôt que pour son éclatement.

Enfilant son costume d’homme du « changement systémique » et de garant d’une « démocratie renforcée », il n’a ainsi pas fait mystère, dès son premier discours officiel de président de la République du Sénégal, de son souhait de voir les trois pays de l’AES revenir dans le giron d’une Cedeao repensée et renouvelée. 

Le Premier ministre de Guinée, Bah Oury, ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme récemment que « nous voulons réformer la Cedeao, pas la quitter » ! Une volonté qui épouse l’appel du Conseil des sages de l’institution communautaire, mené par l’un de ses pères fondateurs, l’ancien président nigérian Yakubu Gowon. 

Instance créée en 2005 pour la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique de l’Ouest, le Conseil des sages de la Cedeao a ainsi invité, suite à sa réunion des 29 et 30 avril 2024 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le Burkina, le Mali et le Niger à reconsidérer leur position de retrait « dans l’intérêt de l’unité de la communauté, de la cohésion, de l’intérêt général de leurs populations et de l’intégration régionale ».

Le président de ce Conseil des sages prévient d’ailleurs que « ni la génération de nos pères fondateurs, ni les générations présentes ou futures ne sauront comprendre ou pardonner l’éclatement de notre Communauté ».

Pour une Cedeao des peuples !

C’est aussi le sens du message du président de la Commission de la Cedeao, Omar Alieu Touray, qui note fort justement qu’au moment où elle commémore son 49e anniversaire, « l’insécurité continue de menacer notre région. Certains de nos États membres luttent quotidiennement contre des groupes terroristes, et une grande partie de notre population est confrontée au déplacement et à l’insécurité alimentaire ».

Le président de la Commission de la Cedeao estime ainsi qu’« il est de notre devoir de rester unis si nous aspirons à la victoire dans la lutte contre l’insécurité ». Et constate avec amertume que c’est cette unité même qui est aujourd’hui menacée. Aussi, exhorte-t-il, « nous devons tout mettre en œuvre pour préserver notre unité ».

Reste à savoir si la diplomatie et la médiation parviendront à ressouder les fils rompus du dialogue pour redynamiser les objectifs de la Vision 2050, qui ambitionne de faire de la Cedeao « une communauté de peuples pleinement intégrée dans une région paisible et prospère, dotée d’institutions fortes, respectueuses des libertés fondamentales et œuvrant pour un développement inclusif et durable ». 

Le moins que l’on puisse dire en tous les cas, c’est que la Cedeao est plus que jamais à la croisée des chemins, à la veille de son cinquantenaire d’existence. Et elle mène actuellement le combat pour sa renaissance sur le ring d’une regrettable implosion qui écrirait peut-être son oraison funèbre… 

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