Les observateurs avertis disent que la Révolution d’août 1983 avait eu le mérite de disposer d’un Discours d’orientation politique (DOP). Cette boussole avait imprimé la marche du pays jusqu’à l’arrêt brusque du processus révolutionnaire le 15 octobre 1987.
Le Conseil national de la Révolution (CNR), quelques temps après sa prise du pouvoir, avait souhaité avoir un document d’orientation politique.
Trois personnes avaient été choisies pour rédiger ce Discours d’orientation politique (DOP). Ils s’agissaient de Valère Dieudonné Somé, de Philippe Ouédraogo et du capitaine Blaise Compaoré, le numéro deux du régime.
Le polytechnicien Philippe Ouédraogo occupait un gros ministère avec une charge de travail énorme. Le capitaine Blaise Compaoré, en plus de son ministère d’Etat délégué à la présidence, continuait de diriger le Centre national d’entraînement commando à Pô – dont il était le commandant – et y séjournait régulièrement.
Parmi les cadres commis à la tâche, Valère Somé était celui qui n’avait pas d’activité spécifique dans l’appareil du nouveau pouvoir.
Après quelques réunions, le président Thomas Sankara avait compris que les deux premiers cités n’auraient jamais le temps à consacrer à cette tâche.
Avant qu’il n’entreprenne un long voyage dans les pays de la ligne de front en Afrique australe, la veille du début de ce périple, il avait convoqué Valère Somé et lui avait ordonné de rédiger le DOP pour qu’il serve de boussole à la marche de la Révolution.
Sur la scène politique nationale plusieurs formations politiques étaient présentes :
-Le premier parti communiste du Burkina Faso, le Parti africain de l’indépendance (PAI), avait été créé clandestinement en 1963. Ce parti préconisait la Révolution de libération nationale (RLN) ;
– L’Union des luttes communistes (ULC) était l’émanation du Nouveau courant opportuniste liquidateur (NCOL), né de la pétition du 21 juin. Il avait fait l’option de la Révolution démocratique et populaire (RDP) ;
– et le Mouvement national populiste liquidateur (MONAPOL) d’où était issu le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) . Cette formation continuait de développer la thèse de la Révolution nationale démocratique et populaire (RNDP).
Valère Somé, à son corps défendant puisqu’étant finalement seul à travailler sur le document, avait entrepris de développer le point de vue de sa chapelle politique qui était l’ULC.
La position ULciste était que le pays était dans une phase de Révolution démocratique et populaire contrairement aux positions des deux autres groupes politiques cités.
Connu pour sa capacité à produire des réflexions en relation avec les orientations de la gauche, c’est presque d’un trait que le texte allait être écrit.
Quand le leader de la RDP, le capitaine Sankara aura fini de prononcer ce discours le 2 octobre 1983, les militants de l’ULC qui se reconnaissaient dans la ligne NCOL, avaient exulté parce que leur position avait ainsi triomphé.
Le dernier 2 Octobre du capitaine Sankara
Le 2 octobre 1987, lors de la commémoration du quatrième anniversaire de ce DOP, un étudiant, Jonas Somé -qui deviendra plus tard officier de l’armée burkinabè- allait porter les dissensions entre les leaders de la Révolution sur la place publique.
En effet, à cette date-là, Jonas Somé était le porte-voix des conjurés qui préparaient la chute du capitaine Sankara qui allait survenir quelques jours plus tard.
Dans son intervention ce jour-là, Jonas Somé allait accuser le capitaine Thomas Sankara de déviationnisme. Il lui reprochait également de ramer à contre-courant de la ligne tracée par le DOP.
Dans son discours de ce 2 octobre 1987, le président Sankara, apportait nettement une réponse à la critique de Jonas Somé.
Dans l’enregistrement audio de son discours, on constate aisément que la voix de Sankara avait changé. Il se dégageait l’impression qu’il était animé d’une grande tristesse.
Après avoir lavé le linge sale en public et peut-être par stratégie, l’étudiant – commis par ceux qui marchaient dans le complot – était allé ensuite faire son auto-critique auprès du leader de la Révolution d’Août 1983 et s’excuser de l’impair politique qu’il avait commis.
Mais cela n’allait pas empêcher l’avènement du 15 octobre 1987 avec l’assassinat du capitaine Thomas Sankara.
Autre fait de cette période historique du Burkina, raconté par le Pr Serge Théophile Balima lors du procès, ouvert en octobre 2021, sur l’assassinat du capitaine Thomas Sankara.
Le Pr Balima, un journaliste fonctionnaire, proche collaborateur du président Sankara au moment de ces faits, avait rapporté des propos d’une entrevue qu’il avait eus avec le Dima ou roi du royaume de Tenkodogo juste après les festivités du 2 octobre 1987.
Le roi, étonné, lui aurait demandé si c’était bien le président Sankara qui parlait à la grande place de Tenkodogo. Le Dima ajoutait, rapporta Balima, qu’il avait commis une équipe de devins qui voyaient dans les choses cachées afin de regarder ce qui pourrait advenir pendant la fête.
La réponse à cette consultation royale avait été que le président Thomas Sankara ne vivrait plus. Son âme aurait déjà quitté son corps ; et le roi avait alors affirmé à M. Balima avoir tout fait pour que ce ne soit pas à Zoungrantenga (Ndlr : autre nom de Tenkodogo, en mooré, langue nationale) que le président Sankara allait perdre la vie.
Le désormais Pr Balima avait affirmé, dans son témoignage lors du procès, que le monarque lui avait dit avoir fait immoler des bœufs pour conjurer ce mauvais présage dans son royaume.