L’ Association des femmes du secteur minier du Burkina (AFEMIB) œuvre pour la promotion du genre dans le secteur minier. Le 15 juin 2024, elle a célébré la journée internationale de la femme du secteur minier. Occasion est donnée à Lucie Kabré/Kaboré, présidente de L’AFEMIB, de revenir sur les défis que rencontrent les femmes dans le secteur.
Propos recueillis par Prisca Konkobo
Libreinfo.net : Pouvez-vous nous présenter brièvement l’AFEMIB ?
Lucie Kabré/Kaboré : L’AFEMIB est une association qui regroupe des femmes qui travaillent dans le secteur minier ou qui ont un intérêt particulier avec le secteur des mines. Elle a été créée en 2000 et travaille pour la promotion du genre dans le secteur minier. Nous sommes environ 100 membres.
Donc, c’est une structure qui œuvre pour que la femme qui travaille dans le secteur minier soit épanouie, qu’elle puisse se prendre en charge et contribuer efficacement aux charges du ménage. Et c’est une structure dont les domaines d’intervention sont la bonne gouvernance, la promotion du genre, des droits humains…
Nos moyens d’action, ce sont la sensibilisation, les informations, les formations. Nous menons des études, nous faisons des plaidoyers. C’est une association, c’est du bénévolat. Donc, nous n’avons pas assez de ressources pour réaliser les activités.
Nous menons des compétitions comme les autres structures pour obtenir des ressources pour réaliser nos activités. Nous avons des membres qui sont purement techniciennes. Nous avons des membres qui sont des orpailleuses, des étudiantes.
Libreinfo.net : Pour les étudiantes qui veulent être membres de l’association, y a-t-il un type de filière déjà défini ?
Lucie Kabré/Kaboré : Généralement, celles qui sont membres sont celles qui font déjà mines et carrières, environnement. Tout ce qui a trait à l’exploitation minière.
Libreinfo.net : Quelle est l’importance de la Journée internationale de la femme du secteur minier ?
Lucie Kabré/Kaboré : C’est pour pouvoir mettre en lumière la contribution des femmes dans le secteur. Vous savez que c’est un secteur qui est resté longtemps masculin. Même au Burkina Faso, on a beaucoup de mines. On dirait que nous sommes devenus un pays minier. Mais il y a beaucoup de gens qui ne savent pas qu’autant de femmes assez compétentes et pluridisciplinaires travaillent dans les mines.
Donc, c’est de pouvoir donner plus de visibilité à ce que les femmes font, c’est faire découvrir le visage de ces femmes, quelle est leur part contributive à la gouvernance et au développement de ce secteur.
Libreinfo.net : Pourquoi le thème « Je suis de l’activité minière et j’appartiens » ?
Lucie Kabré/Kaboré : Le thème a été choisi par notre grande organisation mondiale. C’est-à-dire que si je suis dans l’activité minière, je fais mienne cette activité et je m’engage à travailler pour que cette activité rayonne davantage.
Libreinfo.net : Dans le cadre de la célébration de la Journée, vous avez organisé une journée portes ouvertes. Quel impact espérez-vous que cette journée aura sur la perception et l’intégration de la femme dans le secteur minier ?
Lucie Kabré/Kaboré : Le premier impact visé, c’est de faire découvrir tout ce beau monde par le public burkinabè. Nous avons commencé par une campagne digitale. Chaque jour, nous publions une photo d’une de nos membres avec un message précis, un message interprétatif. Et je pense qu’avec le retour de toutes ces personnes qui nous suivent, qui nous interpellent, c’est déjà un impact.
On a pu faire l’état des lieux aussi pour savoir le nombre de femmes qui travaillent dans ce secteur. Donc ça permet de découvrir qu’il y a des femmes qui travaillent dans le secteur des mines. Et jusque-là, le taux de représentativité n’est pas assez élevé. Donc c’est en même temps, pour interpeller les autorités du pays et les responsables des compagnies minières, à faire des efforts pour intégrer davantage la gent féminine dans les activités minières.
Et vous savez, les femmes ont des besoins spécifiques. On sait déjà qu’il y a des efforts qui sont faits, mais beaucoup reste à faire encore. Comment les sociétés minières, les autorités vont prendre en compte ces besoins spécifiques pour permettre vraiment à ces femmes de s’épanouir totalement, et d’être des modèles pour les étudiantes, pour la relève qui est en train de se positionner.
Libreinfo.net : Quels sont les principaux défis que rencontrent les femmes dans ce secteur ?
Lucie Kabré/Kaboré : On a aussi besoin de tenir compte des besoins spécifiques des femmes. Au niveau des mines industrielles, il y a déjà beaucoup d’efforts qui ont été faits. Mais il reste encore à faire. Par exemple, on prend certaines mines qui offrent des possibilités aux femmes en matière de congés de maternité. Nous aimons prendre le bon exemple sur Essakane qui donne jusqu’à 14 mois de congé de maternité.
Au niveau de Endeavour mining, il y a un certain nombre de mois qui sont octroyés. Il y a d’autres mines où il n’y a aucune faveur faite aux femmes par rapport à ce volet maternité.
Même les équipements de protection individuelle (EPI). Il y a des endroits où on a lutté vraiment pour qu’ils tiennent compte de la morphologie des femmes, lorsqu’on veut leur offrir des EPI. Il y a eu des cas où on coud les EPI et on vient donner. Oubliant que les femmes ont des morphologies différentes. Ce sont des défis que nous essayons chaque jour de relever et d’interpeller.
Un autre défi, dans les mines industrielles, c’est d’accepter et de faire des transferts de compétences, au niveau des jeunes. Aujourd’hui, c’est difficile d’avoir un stage parce que encadrer un étudiant, ce n’est pas facile.
Je dirais que c’est du temps perdu parce qu’il faut vraiment du temps pour l’encadrer. Du coup, ça piétine sur toi ton travail. Et de deux, ça engage des frais.
Je ne dirais même pas que ce sont les frais le problème parce que là, ce n’est pas grand-chose. Mais le temps qu’il faut prendre. Et il y a des choses, par moments, c’est confidentiel. Tant que tu ne travailles pas dans le service, tu n’as pas accès à tout.
C’est demander aux sociétés minières d’accorder plus de temps, d’accorder des postes de stages aussi à nos jeunes membres étudiantes pour qu’elles puissent bien se former.
Libreinfo.net : Quels sont les programmes ou initiatives mis en place par l’AFEMIB pour soutenir la femme dans le secteur minier ?
Lucie Kabré/Kaboré : Nous avons des activités de renforcement de capacités qui se résument à des formations. Quand on part sur un site d’orpaillage, il y a des réformes qui sont là, des textes réglementaires et des dispositifs juridiques qui encadrent le secteur. Il faut donner cette information. Quand je prends, par exemple, au niveau des mines industrielles qui versent des revenus, qui contribuent. Il y a beaucoup de femmes qui ne savent pas que les mines qui opèrent dans leur localité contribuent d’une manière ou d’une autre à la vie de la commune. Il faut donner cette information. On dirait que c’est banal, mais c’est important. Quand les femmes sont informées, elles vont se préparer pour pouvoir bénéficier de ces revenus qui vont être dans les caisses.
Nous menons aussi des plaidoyers et nous avons des activités d’autonomisation à l’endroit des femmes impactées par l’activité minière et des femmes sur les sites d’orpaillage. Nous les exhortons à diversifier leurs sources de revenus. De ne pas être focus seulement sur l’exploitation. Parce que l’or, ça se tarit, ça ne se renouvelle pas.
Maintenant, si tu gagnes aujourd’hui 100 francs, il faut songer à économiser 50 francs. Ou bien, tu peux prendre ces 50 francs et investir dans un autre domaine pour que si, d’ici 5 ans, là où tu es ça ne marche plus, que tu puisses continuer ton activité économique.
Pour les jeunes étudiantes, nous menons également des activités de renforcement, de formation, de partage d’expériences pour les préparer à assumer et à renforcer leur leadership.
Libreinfo.net : Quel est l’impact de la crise sécuritaire sur l’activité minière surtout au niveau des femmes ?
Lucie Kabré/Kaboré : L’impact est palpable. Ce n’est plus facile. Quand je prends au niveau des compagnies de recherche, présentement, la plupart de ces compagnies sont fermées. Donc, les femmes qui y travaillaient sont au chômage. Je suis un cas palpable. Je travaillais dans une compagnie de recherche. A cause de la crise sécuritaire, on a subi des attaques avec mort d’hommes. On a fermé la structure. Il y a beaucoup de cas comme ça. Notre secrétaire générale est dans une société de forage. Donc, ils ne peuvent plus aller sur le terrain.
Et même celles qui y travaillent, ce n’est plus aussi simple. Avant, tu te déplaçais facilement pour y aller. Mais maintenant, on ne peut plus aller sur les sites avec les bus. Il faut aller par voie aérienne. Ça engage de grosses ressources financières pour les sociétés minières. Du coup, on ne peut que réduire le temps de son activité et qui parle de réduction, parle d’incidence quelque part.
On ne peut plus travailler comme on le faisait avant. On ne peut plus se consacrer à 100% au niveau des sites d’orpaillage. Par exemple Yéou, c’est un site d’orpaillage où nous avons mené une activité de renforcement de la résilience économique des femmes.
C’était un site qui ne donnait plus. Et on a essayé d’accompagner 10 hommes et 40 femmes. On a essayé de les accompagner pour se reconvertir à autre chose.
Donc, ils ont été formés en alphabétisation, en éducation financière, en entrepreneuriat. On a aménagé tout un périmètre qu’on a équipé. Trois hectares ont été équipés en système goutte à goutte avec forage et tout le dispositif pour faire la maraîcher culture. On a même utilisé beaucoup de ressources pour leur permettre d’accéder au crédit auprès d’une institution financière par la mise en place d’un fonds de garantie.
Ils ont exploité ça 3 ans. Ça a commencé en 2017 et en 2020, ils ne pouvaient plus travailler. La première année, elles ont produit de la pomme de terre, du sésame, etc. Avec la crise sécuritaire, tous ces gens ont été déguerpis. Et l’espoir qui était né dans le cœur de ces personnes s’est effondré.