Abdoulaye Soma, est professeur de droit public à l’Université Thomas Sankara du Burkina. Il est aussi le président de la Société Burkinabè de droit constitutionnel (SBDC) et Directeur du Centre d’études et de recherches sur le droit international général et les droits de l’homme (CERDIH). Expert-Consultant international en droit constitutionnel, il fut candidat malheureux à l’élection présidentielle de novembre 2020. Dans une interview accordée à Libreinfo.net le vendredi 28 janvier 2022, il est revenu sur la suspension de la constitution par la junte au pouvoir au Burkina Faso. Il a donné également sa lecture sur comment éviter le tripatouillage de la constitution en Afrique.
Par Rama Diallo
Libreinfo.net : Comment se porte Abdoulaye Soma et son parti Le Soleil d’Avenir ?
Abdoulaye Soma : Je vais bien. Le Soleil d’Avenir se porte très bien. Nous avons participé aux élections couplées présidentielle et législatives de 2020. Nous avons fait notre première expérience qui était bonne pour nous. Nous avons entrepris de rattraper les erreurs et les dysfonctionnements pour pouvoir repositionner le parti dans le leadership politique Burkinabè. Nous sommes dans un travail politique continu, de renforcement des bases et des capacités du parti.
Libreinfo.net : Le dimanche 23 janvier 2022, Ouagadougou s’est réveillée avec des crépitements d’armes qui se sont soldés le lundi 24 janvier 2022 par un coup d’Etat. Comment avez-vous accueilli la destitution du président Roch Kaboré ?
Abdoulaye Soma : J’ai accueilli cela avec désolation mais aussi réalisme. La désolation résulte de ce que l’intervention des militaires dans la gestion d’un Etat démocratique est quelque chose de regrettable. La récupération du pouvoir d’Etat par un groupe de militaires est quelque chose qui n’est pas souhaitable dans la vie d’une république. Toutefois, en tant qu’homme politique j’ai compris. J’ai pu comprendre les motivations qui ont amené les militaires à faire irruption sur la scène politique. Ils ont, dans leur proclamation, annoncé un certain nombre de raisons liées à l’incapacité de l’ancien régime à gérer le plus grand problème du Burkina Faso qui est la question sécuritaire. On peut reconnaître qu’on avait des attentes non assouvis à cet égard aussi bien en tant qu’homme politique que patriote. On avait vraiment besoin d’un renforcement de la capacité du gouvernement dans la lutte contre l’insécurité.
Libreinfo.net : Vous en tant que constitutionnaliste, quel commentaire pouvez-vous faire de cet acte qui porte atteinte à la constitution ?
Abdoulaye Soma : Il y a une constitution qui existe. Cette constitution fixe la manière d’accéder au pouvoir au Burkina Faso et cela est codifié. C’est par les élections qu’on accède au pouvoir. Si on accède au pouvoir autrement que ce qui est prévu par la constitution, il y a violation de la constitution. C’est ce qu’on appelle un changement anticonstitutionnel de gouvernement. Aujourd’hui personne ne peut contester qu’un coup d’Etat est un changement anticonstitutionnel de gouvernement. Du point de vue des principes juridiques et démocratiques, la récupération du pouvoir politique d’Etat par les militaires est quelque chose qui est contraire aux principes. En même temps, le juriste, n’est pas en apesanteur de la société. Le juriste analyse le droit en fonction de la dynamique sociale. C’est pourquoi, même si je réaffirme ces principes en tant que constitutionnaliste, je suis un être humain qui vit dans une société burkinabè qui est capable de comprendre l’avènement d’une situation en fonction de ses réalités.
Libreinfo.net : Peut-on dire qu’avec ce coup d’Etat le Burkina Faso a fait un recul démocratique ?
Abdoulaye Soma : Au niveau démocratique et constitutionnel c’est sûr, mais c’est un problème qui a amené les auteurs à faire un coup d’Etat.
Libreinfo.net : Que signifie en termes simples, la suspension de la constitution et qu’est-ce que cela implique ?
Abdoulaye Soma : La suspension de la constitution signifie que la Constitution n’est pas applicable pendant un certain temps. Dans le cas du Burkina Faso, cela prend effet dès la proclamation jusqu’à la réhabilitation de la constitution. Nous avons déjà vécu cette situation en 2014. Lorsque Zida avait pris le pouvoir, il avait suspendu la constitution le 31 octobre 2014. La constitution a été réactivée le 16 novembre 2014. C’est une période où les mécanismes de la constitution ne sont pas applicables.
Les conséquences sont ce qu’on appelle techniquement un vide constitutionnel. C’est ce que j’appelle un vide constitutionnel temporel. C’est un temps pendant lequel la constitution existe, mais est inactive. La suspension de la constitution ce n’est pas la mort de la constitution, mais c’est comme le coma de la constitution.
Libreinfo.net : Est-ce que les dossiers en cours en justice peuvent se poursuivre, notamment le procès Thomas Sankara ?
Abdoulaye Soma : Les dossiers en justice sont gérés conformément à la loi. On ne juge pas en fonction de la constitution. Quand on juge en matière pénale, tous les crimes sont cités dans le code pénal. C’est au regard du code pénal qu’on ouvre et juge un dossier. La loi est toujours en vigueur. La suspension de la constitution n’implique pas la suppression du droit. Cela implique la suspension d’un acte de droit qui est la constitution. L’Etat est un ensemble d’actes juridiques. Les militaires ont choisi de suspendre un acte juridique évidemment qui est l’acte fondamental. La constitution est un acte extrêmement important en droit. Comme c’est la constitution qui édicte comment le pouvoir se gère et que leur façon de faire n’est pas dans le cadre de cette constitution, il leur fallait forcément procéder ainsi. Ici c’est la force qui prend le pas sur le droit.
Libreinfo.net : La CEDEAO a pris des mesures sévères contre le Mali. Comment appréciez-vous ces sanctions ?
Abdoulaye Soma : Je n’ai pas de commentaire. Je pense que la CEDEAO est dans son rôle. Elle a édicté ses principes. Si ses principes sont violés, normalement la CEDEAO doit réagir, donc c’est normal. Dans le cas du Mali, les sanctions sévères sont venues beaucoup plus tard. La CEDEAO ne commence pas par les sanctions aussi graves que celles prises contre le Mali. C’est lorsque les choses dégénèrent que telles sanctions sont envisagées. Il y a une réaction graduelle de la CEDEAO en matière de sanction. Dans le cas du Burkina Faso, l’organisation a juste annoncé la suspension. Cela veut dire qu’une délégation de la CEDEAO va venir pour discuter avec les nouveaux dirigeants, pour trouver une issue. Si l’issue est favorable, la CEDEAO accompagnera la transition, comme en 2014. Je pense que ces sanctions sont arrivées au Mali parce qu’il n’y avait plus de dialogue entre l’organisation et le Mali. Alors que toute chose se règle avec le dialogue. Il faut rétablir le dialogue pour faciliter les possibilités de coordination des positions des parties prenantes.
Libreinfo.net : Le Burkina Faso encourt-il le même risque que le Mali ?
Abdoulaye Soma : Evidemment que oui si on ne tient pas le langage diplomatique convenable. Si le dialogue se grippe avec la CEDEAO, on risque d’être dans la même situation que le Mali. Evidemment encore, cela n’est pas souhaitable.
Libreinfo.net : Que faire pour éviter les violations des constitutions par les chefs d’Etat africain ?
Abdoulaye Soma : Il faut que les dirigeants politiques adoptent de meilleures méthodes de gouvernement démocratique qui assouvissent l’intérêt supérieur des peuples. Cela éviterait que les gouvernants soient en déphasage avec les aspirations du peuple. Il faudrait aussi que les organisations internationales intéressées, comme la CEDEAO et l’UA, instituent et fassent fonctionner correctement les mécanismes de réaction préventives dans les cas où les dirigeants d’un pays ont des attitudes de gouvernement critiques.