49 soldats ivoiriens ont été accusés de «mercenariat» et arrêtés par les autorités maliennes à leur arrivée à l’aéroport international de Bamako le 10 juillet 2022. Deux jours plus tard, la Côte d’Ivoire a réclamé la libération «sans délai» de ses soldats «injustement arrêtés». Alors que les relations diplomatiques entre les deux pays ne vont pas bon train depuis l’arrivée des militaires au pouvoir au Mali, l’on se demande s’il ne s’agit pas là d’un règlement de compte politico diplomatique de part et d’autre.
Par Daouda Kiekieta
C’est encore parti pour une nouvelle brouille politico-diplomatique entre la Côte d’Ivoire et le Mali, deux pays voisins d’Afrique de l’Ouest. Le torchon brûle entre ces Etats depuis l’arrestation d’une quarantaine de soldats ivoiriens, accusés par Bamako d’être des «mercenaires».
Cette nouvelle tension vient s’ajouter à d’autres précédentes, entre Bamako et Abidjan, qui laissent penser à un «règlement de compte» entre Alassane Ouattara et Assimi Goïta.
Depuis le coup d’Etat qui a emporté le pouvoir de Ibrahim boubacar Keïta, les deux pays ont vécu des moments d’escalades diplomatiques.
Le 11 février dernier, la justice malienne a ouvert une enquête pour «atteinte ou tentative d’atteinte et complicités à la sûreté intérieure et extérieure du Mali», suite à un supposé entretien téléphonique entre le président ivoirien Alassane Ouattara et l’ancien premier ministre Boubou Cissé.
Les contenus de cet entretien, tenus dans des termes «peu élogieux» sur les autorités de la Transition, portaient notamment sur l’impact des sanctions de la CEDEAO sur le Mali. Bamako avait émis des soupçons d’un «complot de déstabilisation» sous l’impulsion de son voisin ivoirien. Cet entretien téléphonique n’a jamais été authentifié.
Bien avant cela, Boubou Cissé, le dernier premier ministre de IBK avait été accusé d’avoir voulu renverser les autorités de transition aux côtés d’autres personnalités. On se rappelle également qu’ en février 2022, Ainea Ibrahim Camara, un opposant farouche du pouvoir Goïta, s’était autoproclamé président du Mali, depuis la banlieue d’Abidjan.
Très vite condamnée par les autorités ivoiriennes, cette déclaration avait été jugée par autorités maliennes d’« injurieux et subversif » à partir d’un pays voisin qu’est la Côte d’Ivoire. Les brouilles diplomatiques entre Abidjan et Bamako se sont aggravées au fil du temps. La Côte d’Ivoire avait même ouvert une enquête contre ce politicien.
Depuis 2021, la justice malienne a émis un mandat d’arrêt international contre Karim Keïta, fils de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta. Karim Keïta serait réfugié en Côte d’Ivoire depuis la chute de son père.
Alors qu’il est visé dans une enquête sur la disparition en 2016 de Birama Touré, journaliste malien d’investigation, l’Etat ivoirien n’a pas encore donné suite à la requête d’extradition de Karim Keïta.
«Aucune décision n’a été prise à ce stade. On ne peut en dire plus », avait fait savoir, en juillet 2021, Amadou Coulibaly, porte-parole du gouvernement ivoirien.
Est-ce pour des raisons politiques ? On le saura moins.
Cependant, l’arrestation de Sess Soukou Mohamed, un des proches de l’exilé ivoirien Guillaume Soro à Bamako, avait laissé une lueur d’accalmie entre les deux pays. Ce dernier était sous le coup un mandat d’arrêt international lancé par la justice ivoirienne.
De part et d’autre, chaque pays espérait à une extradition de son citoyen afin qu’il réponde de leurs actes. Chose qui n’a abouti, ni pour Bamako ni pour Abidjan.
Par ailleurs, dans la sous-région, Alassane Ouattara est l’un des chefs d’Etat de la CEDEAO qui était inflexible pour l’imposition des sanctions contre la junte malienne.
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C’est d’ailleurs pour amener M. Ouattara à reconsidérer sa position que Faure Essozimna Gnassingbé, sollicité par le Mali pour jouer les bons offices auprès de ses pairs que le président togolais, a effectué une visite de courtoisie en Côte d’Ivoire en avril 2022.
«Nous avons consacré beaucoup de sommets à ces problèmes-là. Je pense que nous devons tout faire pour éviter l’impasse d’un côté comme de l’autre et sortir peut être des sentiers battus et réagir avec beaucoup plus d’audace, beaucoup plus de solidarité», avait déclaré le chef de l’Etat togolais après sa rencontre avec M.Ouattara, parlant de la situation au Mali, en Guinée et au Burkina Faso.
En juin dernier, le chef de l’Etat nigérien, Mohamed Bazoum était également en visite en Côte d’Ivoire. Il a plaidé pour une convergence des points de vues sur la situation en cours dans la sous-région, notamment, les sanctions imposées au Mali.
« Il y a une situation au Mali qui est loin d’être confortable. Il faut souhaiter que nous ayons les convergences nécessaires avec nos frères du Mali pour nous permettre de coordonner notre action et faire en sorte que nous mutualisons nos moyens en vue de faire face à un ennemi commun. », avait-il déclaré.
Tout porte à croire que Alassane Ouattara a joué un rôle non négligeable dans le maintien des sanctions de la CEDEAO contre le Mali. En témoigne la réaction de M.Ouattara lorsqu’un chronogramme de transition lui a été présenté en début janvier 2022.
Il avait « taxé ce chronogramme de plaisanterie », précisant que le Mali s’exposait à de sévères sanctions économiques sur le plan international. Chose qui a été faite le 09 janvier 2022 avec la prononciation des sanctions économiques et financières contre le pays de Modibo Keïta.
Et les autorités maliennes même s’ils ont une dent contre l’institution sous-régionale, ils ne l’ont pas moins contre les présidents qui ont pesé de leurs poids pour l’imposition de ces sanctions. Les autorités maliennes avaient d’ailleurs traité ces sanctions d’«illégales et illégitimes».
Dans cette affaire d’arrestation des 49 soldats ivoiriens, tout porte à croire que chacun des deux présidents ivoirien et malien tentent d’une manière ou d’une autre à régler des comptes entre eux. En tout état de cause, la suite de cette affaire nous dira plus.