Alors que le FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou) attend d’ouvrir ses portes dans quelques jours, des réalisateurs burkinabè et leurs équipes sont engagés dans une course contre la montre pour finaliser leurs films en compétition. Entre stress, passion et espoir de remporter l’Étalon d’or, certains sont dans les ultimes préparatifs à l’approche du grand rendez-vous du cinéma panafricain. Plongée dans les coulisses des derniers réglages des réalisateurs.
Quartier Pissy de Ouagadougou. Dans une salle exiguë, Aziz Nikièma est assis, concentré, le regard inquiet, devant une table de montage. Avec la souris, il navigue entre deux ordinateurs où il revisite à la fois la version finale de son film et ses rushes. En l’absence de son monteur, le réalisateur s’active pour dévoiler au grand public l’affiche officielle de son film en compétition, « Braquage à Ouaga ». Ce film, d’un genre comique, est réalisé sur fonds propres.
Du coup, il se retrouve à court de ressources financières pour boucler son film alors que la communication et la promotion, l’autre étape fondamentale, l’attendent. « À ce stade, nous ne sommes pas encore prêts car, matériellement et même financièrement, ce sont des ennuis », nous confie Aziz Nikièma, en secouant la tête.
Des soucis de sous-titrage et de doublure
Le financement, la promotion et la communication paraissent moins un souci chez Sékou Oumar Sidibé, comédien, réalisateur et producteur, connu sous le nom Inspecteur Roch de la série télé Commissariat de Tampy de feu Missa Hebié.
Il consulte régulièrement son téléphone portable afin de voir la disponibilité du programme des projections en salle de ciné qu’il attend avec impatience. Son film documentaire long métrage « Yand Baanga ou la maladie honteuse », qui est en lice à ce FESPACO, est passé par plusieurs laboratoires. Des extraits du film, accompagnés de selfies des techniciens ayant travaillé dans l’œuvre cinématographique, circulent sur Tik Tok, Facebook et dans des groupes WhatsApp après une participation à une émission télé.
Le film est tourné en langue nationale mooré mais il manque le sous-titrage et la doublure pour une meilleure compréhension du message. Et cela l’inquiète. « J’ai essayé de sous-titrer en français mais une doublure en français est peut-être encore meilleure », indique Inspecteur Roch, désemparé.

Delphine Yerbanga, auteur de deux films-fiction sélectionnés, « Vérité de cœur » et « Une si longue nuit », vit moins la pression et parait visiblement relaxe. Elle poursuit néanmoins la post-production de ses deux films sélectionnés qui se fait à cheval entre le Burkina et le Sénégal.
Au-delà de la conception des affiches, les visuels du film et la bande-annonce, elle dit être sur les derniers réglages avec le sous-titrage en anglais, l’étalonnage et le mixage. « Quand on est sélectionné, cela montre déjà que ton film est d’une certaine qualité. Donc, pour moi, j’ai déjà gagné la compétition », dit l’une des neuf femmes réalisatrices burkinabé en compétition.
A chacun ses attentes
Les réalisateurs ont tous des attentes. Ainsi, Aziz Nikièma veut « que le film soit vu par le maximum de festivaliers ». Delphine Yerbanga souhaite « qu’au soir du 1er mars 2025, le Burkina soit vainqueur du Grand Prix du FESPACO qui est l’Étalon d’or ». A défaut, des prix d’encouragement sont les bienvenus.
Dans un article du site d’informations générales et culturelles Artistes.bf publié sur sa page « Cinéma et culture », Pélagie Faridah Sawadogo, étudiante en communication pour le développement à l’Institut panafricain d’études et de recherches sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC), en 3e donne ses attentes du FESPACO 2025. « Nos attentes, c’est de voir un beau festival, de beaux films », indique-t-elle.
Pour cette 29e édition du FESPACO qui se tient du 22 février au 1er mars 2025 sous le thème « Cinéma d’Afrique et identités culturelles », 235 films provenant de 48 pays africains et du reste du monde ont été sélectionnés sur un total de 1 351 films inscrits et visionnés. 81 films du Burkina dont 47 ont été retenus pour la sélection officielle.

Le présent festival bat le record des participations des trois dernières éditions, selon les statistiques. L’introduction de la Semaine de la critique du cinéma est l’innovation majeure. Les tendances et les enjeux des films en lice préoccupent peu Abraham Bayili, président de l’Association des critiques cinématographiques du Burkina (ASCRI-B). L’une des priorités de cette association depuis 2016, selon Justin T. Ouoro, est de faire en sorte que chaque film burkinabè soit accompagné d’une critique qui va dans le sens de l’amélioration, d’une meilleure compréhension, de l’accompagnement des cinéastes qui font déjà un travail formidable.
L’association a déjà été sollicitée par l’Institut Goethe et des réalisateurs pour visionner des films avant leur sortie. Cette structure médiatrice entre le public, aux yeux de profane et l’œuvre en compétition, entend aider les réalisateurs à se corriger et à faciliter la compréhension de l’œuvre par le public. « Nous allons sortir un bulletin avec des critiques et des analyses sur les films », rassure Abraham Bayili.
Il faut aussi suivre les films des autres
Le FESPACO est un cadre d’échanges et d’expériences. Certains réalisateurs ne suivent même pas les films des autres. Issiaka Konaté est le président de l’Association des réalisateurs de cinéma et audiovisuel (ARCA) et enseignant à l’ISIS-SE (Institut supérieur du son et de l’image-Studio école). Il est à sa cinquième sélection et son film « Yerikan, la voix du bois » est encore retenu cette année pour le FESPACO classique. « Quand on inscrit son film en compétition, on a le devoir d’aller voir tous les films en compétition afin de voir comment les autres ont travaillé et apprécier », suggère le président d’ARCA.
« On ne fait pas un film pour un festival et pour un prix. Il faut mettre d’abord la passion dans la création », ajoute-t-il. « Ils doivent venir au débat-forum pour mieux chercher à comprendre certains aspects qui se sont déroulés dans le film. Cela peut aider le réalisateur à se corriger », fait savoir Abraham Bayili.
Un film à ce stade déjà requiert des conditions et techniques minimales sur le plan artistique. Dr Bangbi Francis Fréderic Kaboré est enseignant vacataire à l’Université Joseph Ki Zerbo de Ouagadougou et Directeur général de l’ISIS-SE. Cet ingénieur en son, producteur et réalisateur, a plusieurs fois été membre du jury des Prix spéciaux au FESPACO. Il y a des subtilités dans toute œuvre artistique. Le film est d’œuvre d’art livré à la sensibilité du spectateur. « La compétition pour un film, c’est délicat », prévient M. Kaboré.
Le FESPACO entend donner l’occasion de découvrir de nouveaux talents, d’apprécier des œuvres originales et de célébrer la créativité africaine sous toutes ses formes.
Cette biennale ouvre une fenêtre inédite sur la mécanique créative du 7ᵉ art africain, tout en humanisant les figures souvent invisibles derrière les films. Un idéal pour susciter l’engouement du public et valoriser la diversité culturelle du continent à travers ses cinéastes. Avant que les lumières ne s’allument sur les écrans du FESPACO, c’est dans l’ombre et la fièvre que s’écrit l’histoire du cinéma africain de demain.