En attendant la mise œuvre effective des organes de la Transition au Burkina Faso, le chroniqueur de Libre info, Kalifara Sere explique dans cet entretien ce qui peut être considéré comme des sentiers du président Paul-Henri Damiba et les burkinabè de façon générale.
Propos recueillis par Albert Nagreogo
Libreinfo.net : Vous êtes l’une des rares personnes qui, en 2018 déjà, formulaient une opinion très tranchée sur le pouvoir KABORE et exprimaient une opinion très défavorable quant à la capacité de ce pouvoir à venir à bout du terrorisme. Finalement au terme d’un cheminement « chaotique », ce pouvoir s’est effondré dans une indifférence quasi générale. Quels sentiments vous animent en ces moments particuliers de notre évolution politique ?
Kalifara Sere: Les gens faibles d’esprit et peu pénétrés par l’intelligence sociale savourent les chutes d’autrui comme des moments de satisfaction voire d’extase.
Sans faire dans la forfanterie, je dois dire comme tous les gens de ma région que mon éducation ne me permet pas de me réjouir de la catastrophe qu’a constitué la gouvernance Roch KABORE et qui restera une tache indélébile dans la vie publique de notre pays.
Les burkinabé devraient non pas s’appesantir sur là où a chuté Roch KABORE mais là où eux-mêmes ont trébuché depuis 2015.
Il est fort regrettable que les gens soient oublieux de ce passé si récent et s’engouffrent dans les sillons de l’amnésie, de la non redevabilité et de la non imputabilité politiques.
Je ne ressens aucune exaltation mais plutôt un vaste sentiment de soulagement exactement comme lorsque l’on arrive à freiner pile avant de sombrer dans un ravin. Le putsch a été ce coup de frein salvateur mais vraiment in extrémis.
Mais il faut savoir manœuvrer avec dextérité pour reculer suffisamment et contrebraquer le véhicule de la collectivité nationale.
Pour l’heure, il faut en savoir gré aux jeunes officiers qui ont décidé d’orchestrer ce qui semble aujourd’hui un dénouement logique. Il faut surtout leur être reconnaissant d’avoir opéré un coup de force élégant et raffiné selon un SIMIEX qui a privilégié la subtilité stratégique à l’impact brutal et massif.
Il s’impose à tous un devoir de mémoire pour reconnaitre les turpitudes dont nous sommes tous solidairement responsables. Ce devoir induit aussi un inventaire de nos pratiques nauséeuses ; cet inventaire est long comme le Nil. Pour ma part je retiens notamment :
-la forfaiture du Conseil Constitutionnel ayant validé une candidature clairement inadmissible au regard de loi dite Chérif ;
-la quasi-déification d’un homme à l’intelligence et au cynisme raspoutiniens. Son projet de nature « iznogoodienne » n’a été stoppé que par un très probable assassinat dans un hôtel parisien ;
-la forfaiture encore une fois, des élections de novembre 2020 qui ont consacré la fuite en avant face à la guerre de plus en plus horrible et cancérigène.
-la forfaiture des conciliabules ignobles pour organiser vaille que vaille des élections locales sur ce qui resterait du territoire national consacrant définitivement la violation du principe de l’universalité du vote ;
-Etc .
L’inventaire doit aussi indexer les oligarchies nationales, celles tradi institutionnelles, celles néo institutionnelles et les oligarchies dites de facto. Sans elle, rien de toutes ces inconduites qui ont terriblement abimé ce pays n’auraient pu être possibles.
Pour résumer mon sentiment, j’aimerais plutôt rappeler un slogan que les serviteurs de Dieu inscrivaient au fronton des lieux de culte par les temps d’incertitude et de risques majeurs ; il s’agit de la formule « venit tempus misericordiae » (il est venu le temps de la compassion !). En effet, il est venu le temps de la compassion pour les millions de burkinabé que nous avons exclus de notre démocratie et de nos projets d’avenir.
A la compassion pour notre propre chair s’ajoute une obligation incompressible et inaltérable résumée par Bob MARLEY dans sa chanson SURVIVAL: « We’ve gotta live up, wo now, wo now!» (Nous devons être à la hauteur, wo maintenant, wo maintenant!)
Libreinfo.net :Comment appréciez-vous les démarches préliminaires conçues par le MPSR visant à asseoir un agenda de la transition suivant une méthodologie très inclusive ?
Kalifara Sere: De quelle transition parle-t-on ? Je reste pantois lorsque j’entends parler de transition. Le concept de transition est devenu obsessionnel et les burkinabé font une fixation pathologique sur tout processus de changement transformationnel. Ce que je sais (et cela me suffit amplement pour bâtir ma confiance au MPSR) est que les militaires nous promettent d’une part la sauvegarde de la Patrie (c’est-à-dire la défense conservatoire de ce qui nous reste comme territoire et la reconquête re-normalisatrice du territoire hors contrôle), et d’autre part la restauration comprises comme la réappropriation des trajectoires historiques positives de cette Nation.
Pensez-vous que le Général DE GAULLE et ses compagnons du Conseil National pour la Libération et des Forces Françaises de l’Intérieur pensaient « transition » en juin 1940 ? Ce sont les historiens qui à posteriori, ont défini la période 1940-1946 comme une période de transition politique vers la renaissance de la France.
Trois facteurs expliquent l’omniprésence du mot transition dans le discours politique ambiant ; omniprésence qui, à mon sens peut être fatal au processus vital de sauvegarde.
-primo : l’hyper constitutionnalisme qui est de mode et envahit par flots rugissants les espaces de coopération et de concertation inter Etats en Afrique, aux Nations Unies en général et dans le sous-continent ouest-africain en particulier. Ce constitutionnalisme forcené est une ode à la démocratie à l’occidentale unilatéralement labellisée comme universelle. La CEDEAO s’inscrit dans cette logique.
Elle professe des valeurs de convergence régionale tendant à paramétrer, calculer et contenir le risque d’une part (probabilité d’occurrence d’événement anti démocratiques et inconstitutionnels) et à l’incertitude d’autre part (degré de doute et de manque d’information pour envisager le retour à une gouvernance démocratique). L’exigence de convergence démocratique au sein du même espace renvoie à une transition vers les normes de laïcité, d’égalité citoyenne et de libre élection des dirigeants.
A contrario, cette optique de transition vise à proscrire les régimes dits autoritaires ou de démocratie contrôlée ou déléguée, les régimes semi-autoritaires, ceux à pluralisme limité, et tous les systèmes politiques caractérisés par le non libéralisme, le bonapartisme, , bref …. tous les systèmes de violence d’Etat d’essence militaire excluant la civilité démocratique.
La CEDEAO en particulier pousse l’aveuglement jusqu’à appliquer les mêmes poncifs aux États en guerre. En écho, beaucoup de burkinabé entonnent la chanson de « ne nous mettons pas à dos la CEDEAO. Elle est un précieux allié ! » C’est cette approche qui justifie les extraordinaires contorsions pro-transitionnistes et devant aboutir à une normalisation du putsch dans un canevas acceptable.
Pour ma part, je reste convaincu que la CEDEAO sera victime des transitions factices au pas de charge. Elle devrait à moyen terme voler en éclats ; les anglophones, dégoutés par tant d’incuries francophones devraient se retrancher dans un ECOWAS, laissant les oripeaux CEDEAO aux satrapes bornés de l’AOF et à leur colonisateur.
-Secundo : La transition pour moi est un appel du vide et renvoie inexorablement à la « trappe à la transition » Ce terme usité pour la première fois dans les années 1930 pour caractériser l’accession au pouvoir de KAMAL ATTATURK est entré dans le jargon courant des politistes et des écoles de Sciences Politiques. Depuis lors, la transition est passée à la trappe sous divers paradigmes au Burkina en 2015, au mali actuellement mais aussi chez bon nombre de dirigeants tels que KAGAME, ERDOGAN, POUTINE…
Gageons que pour cette fois ci, les burkinabé sauront organiser « leur trappe » et éviter cette nouvelle transition chantée sur tous les toits contrairement à Mme Rolande BŒUF, actrice française qui s’écriait : « la transition est toujours une agonie phénoménale ».
Pour mériter la dénomination de « processus de transition », il faut que les dirigeants actuels parviennent à garantir par une démarche cohérente et coordonnées le passage de l’Etat de négation (actuel) vers les cimes radieux (restauration/refondation). C’est tout le mal que nous formulant à l’endroit des jeunes officiers qui ont accepté prendre tout simplement leurs responsabilités pour l’honneur et la dignité de l’Armée Nationale.
Je souhaite que, nous inspirant entre autres clairement et intelligemment des maliens, nous apportions tous notre concours à la conduite vigoureuse de la guerre (mission fondatrice du MPSR).
Libreinfo.net: Le MPSR a mis sur pied une Commission technique chargée d’élaborer des projets de textes et un agenda de la Transition. Il a par ailleurs lancé un appel à contributions d’idées. Pensez-vous que toutes ces démarches pourraient accélérer le processus de refondation promis par le Lieutenant- Colonel Damiba ?
Kalifara Sere: Par principe, on ne peut répondre que par l’affirmative. Les démarches inclusives et les approches bottom-up sont par essence la clé du management stratégique principalement dans les domaines politique et social.
C’est le contexte et les extrants attendus qui peuvent prêter à confusion. Le contexte est celui de l’émergence en filigrane de nouvelles aspirations, en rejet de la fameuse démocratie en leurre que l’on nous sert depuis 1991.
Mais la refondation pré suppose une édification méthodique et structurée à partir de matériaux de base pour les fondations. Ces matériaux doivent être les plus appropriés pour assurer la portance des charges de réformes et de restructuration de la société burkinabé sur tout le territoire national.
Pour l’heure le souci principal du peuple est l’intégrité territoriale alors que le contexte sous régional se complexifie de jour en jour et que le Burkina Faso est victime d’un phénomène de chape de plomb. Ce phénomène est dû d’une part à la musculation des armées du sud (Togo, Bénin, Ghana) et à une montée en puissance des FAMAs au nord et singulièrement au nord-ouest du Burkina où les maliens (appuyés par les russes ?) semblent déterminés depuis quelques semaines à prendre les forces jihadistes à revers. Du coup l’on note une grande stabulation ou traversée vers la bande lisière de notre pays allant de Kombori à Niankorodougou en passant par Djibasso, Madouba, Doumbala, Tansila, Sami, Ouéléni, Loumana,
La note d’optimisme est la réorganisation encours de l’Armée Nationale en clé de voute la création du Centre de Coordination des Opérations du Théâtre National (CCOTN) que j’ai appelé de tous mes vœux depuis 2018 sous l’appellation Etat-Major de zone de guerre.
Désormais, les burkinabé doivent prier à l’unisson et rejoindre les structures dédiées à la défense civile. Désormais, les forces combattantes ont un visage et un nom : BAMOUNI et OUOBA. Nous sommes confiants qu’ils reviendront morts ou vifs mais couverts de gloire et de l’immortalité que procurent les victoires qui entrent dans l’histoire.
Pour la commission technique des textes et de l’Agenda, je pense qu’il s’agit plutôt d’un stratagème permettant de placer à l’horizon des objectifs non prioritaires afin de donner d’une part des gages aux organisations « vigiles de la démocratie » et d’autre part faire patienter à l’intérieur toutes les oligarchies dont certaines (surtout les néo oligarchies), vivant au-dessus de leurs moyens ne peuvent entretenir leur train de vie (duplex, V8…) sans une sinécure argentée dans les entrailles de l’Etat.
Je ne sais pas si cela suffira à calmer tous ceux qui piaffent d’impatience pour revenir, ou accéder enfin aux délices de la démocratie. Évidemment, au-delà d’une certaine période de latence, se multiplieront les nuits des longs couteaux inspirés par d’irréductibles pasteurs du retour à une «vie constitutionnelle normale ». Ce sont nos victoires aux fronts qui assureront la désoligarchisation du pays et fonder le socle du renouveau.
Libreinfo.net: Que pensez-vous des dernières décisions du Conseil Constitutionnel et de la toute prochaine investiture du Président Damiba le 16 février prochain ?
Kalifara Sere: Je n’en pense que du bien car le Conseil Constitutionnel est dans son rôle en Afrique francophone : il s’en fout de quelqu’un sauf de ceux qui ont le pouvoir. Avez-vous quelque chose à reprocher à l’élection dès le premier tour de crépitements AK47 du candidat Paul-Henri Damiba à la majorité absolue lors du scrutin présidentiel du 24 janvier 2022 ?
Mon jeune frère et ami, l’excellentissime constitutionnaliste Abdoulaye SOMA peut vous confirmer qu’une forte légitimité génère une forme de légalité ! Je crois savoir aussi que toute l’axiologie des chaines de rapports entre les différents acteurs et sujets de la vie politique, corrobore que les burkinabé acceptent que le Droit Constitutionnel est supérieur à la baïonnette, car comme la baïonnette, le Droit Constitutionnel permet tout, y compris s’asseoir dessus !C’est vrai qu’il y’a encore des puristes sur les formes juridiques dans un pays où des milliers d’enfants vivent à la belle étoile, dans les ordures, loin de leur domicile familial.
Il est bon de rappeler aux jeunes qui ne se font plus un devoir de lire les « éducateurs du prolétariat » (cela fait trop ringard aujourd’hui) que Karl MARX a écrit ceci « Lors même qu’une société est arrivée à découvrir la piste de la loi naturelle qui préside à son mouvement…, elle ne peut ni dépasser d’un saut ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel ; mais elle peut abréger la période de la gestation et adoucir les maux de leur enfantement ».
A méditer pour ne pas trop stresser la société burkinabé et lui faire courir des risques d’infarctus !