Le procès Thomas Sankara se poursuit toujours. Les auditions ont pris fin. Les plaidoiries ont débuté le 2 février 2022. La parole est à la partie civile. Libreinfo.net s’est entretenu avec l’un des avocats de la famille Sankara pour avoir ses impressions concernant ce procès historique. Il s’agit de Me Olivier Badolo, avocat inscrit au barreau du Burkina et du Québec au Canada.
Propos recueillis par Rama Diallo
Libreinfo.net: Comment appréciez-vous le déroulement du procès Thomas Sankara jusque-là ?
Me Olivier Badolo : Le procès a débuté le 11 octobre 2021. Nous sommes présentement à la phase des plaidoiries des parties civiles qui, normalement, doivent se terminer aujourd’hui le 7 février 2022. On peut dire que depuis l’ouverture du procès, tout se passe bien dans l’ensemble.
Libreinfo.net: Quelles sont les difficultés rencontrées dans le déroulement de ce procès jusqu’à maintenant ?
Me Olivier Badolo : Nous avons eu des témoins amnésiques, des témoins qui parlent à demi-mots alors qu’ils sont très bavards dans la presse. Nous avons également eu des accusés qui refusent de dire la vérité. Dans ces conditions, le travail de la poursuite devient difficile puisqu’elle doit prouver que l’accusé est bel et bien coupable de l’infraction qui lui est reprochée.
L’autre difficulté est que certains témoins clés sont décédés même si heureusement certains ont été auditionnés par le juge d’instruction. Je pense à Valère Somé, Salif Diallo, Étienne Zongo, Jerry Rawlings, etc. Nous déplorons également l’absence de Blaise Compaoré et de Hyacinthe Kafando qui sont des accusés clés dans cette affaire et qui, malheureusement sont en fuite.
Ils seront donc jugés par défaut. Enfin, il y a d’autres personnes soupçonnées de faire partie du commando qui a assassiné le président Sankara et ses 12 compagnons d’infortune le 15 octobre 1987 et qui sont régulièrement citées lors des débats mais qui, malheureusement, ne sont plus de ce monde pour répondre. Il s’agit notamment de Otis Ouédraogo , Nabié N’Soni et Pathé Maiga .
Libreinfo.net: Vous parlez de témoins qui avaient parlé à demi-mots ou qui ont refusé de parler. N’existent-t-elles pas des dispositions qui obligent les témoins à parler ou sanctionner ceux dont leurs «mensonges» sont flagrants?
Me Olivier Badolo : Ce n’est pas que certains témoins ont refusé de parler mais qu’ils sont devenus amnésiques lorsqu’on leur pose certaines questions alors qu’étant donné leurs fonctions au moment des faits, ils étaient les personnes les mieux indiquées pour éclairer le tribunal. Oui, la loi oblige le témoin à témoigner et ce dernier jure de dire la vérité et rien que la vérité.
D’ailleurs, c’est tout ce que l’on attend du témoin à savoir, dire la vérité et rien que la vérité. La bonne question à se poser est celle de savoir si le témoin dit la vérité et toute la vérité? Surtout quand il vient jouer à l’amnésique ou parler à demi-mot. S’agissant du faux témoignage, effectivement la loi prévoit que lorsque la déclaration d’un témoin paraît fausse, le président du tribunal peut faire procéder à son arrestation sur le champ. Et c’est sur cette base que nous avons demandé au tribunal de procéder à l’arrestation du témoin Gabriel Tamini dont les déclarations paraissaient fausses.
Libreinfo.net: Les différentes déclarations des accusés et témoins permettront-elles de rétablir la vérité sur la mort de Thomas Sankara ?
Me Olivier Badolo : Comme je viens de le dire, certains témoins sont devenus amnésiques et d’autres parlent à demi-mots. Quant aux accusés, exceptés Élysée Yamba Ilboudo, personne ne veut reconnaître l’évidence. Toutefois, les éléments dont nous disposons nous permettront de connaître la vérité judiciaire qui n’est pas forcément la vérité réelle.
Libreinfo.net: D’aucuns parlent d’un procès juste pour la forme où la vérité ne jaillira pas. Êtes-vous de cet avis ?
Me Olivier Badolo : Ce n’est pas du tout un procès pour la forme. Pour que ce procès puisse se tenir, il a fallu des hommes et des femmes déterminés. Je pense d’abord à Mme Mariam Sankara. Même si ce procès ne permettra pas d’avoir la vérité réelle sur la mort du président Sankara, à l’étape actuelle, il a déjà permis de découvrir le vrai visage de certains hommes politiques burkinabè de cette période révolutionnaire.
Il a permis de savoir qu’à un moment donné de sa vie, le président Sankara était isolé et il était le seul à croire à la révolution. La preuve est qu’après sa mort, la révolution s’est arrêtée. Et on voit le train de vie de ses tombeurs. C’est bien visible et déplorable.
Libreinfo.net: Avez- vous espoir que le verdict sera à la hauteur des attentes des parents des victimes et du peuple burkinabè ?
Me Olivier Badolo : En tant qu’avocat des parties civiles, nous avons fait notre travail, à savoir démontrer hors de tout doute raisonnable que les infractions sont constituées. Le dernier mot revient à la chambre criminelle.