Alors que le Sénégal pleure le patriarche Amadou Mahtar Mbow, ancien directeur général de l’Unesco, décédé ce 24 septembre, les partis politiques ont la tête dans les législatives anticipées du 17 novembre prochain. Un rendez-vous politique crucial à un moment où le duo exécutif sénégalais, en quête de majorité parlementaire, sort de l’euphorie de la folle élection présidentielle du 24 mars 2024. D’autant que, dans un pays comme le Sénégal où le débat politique est toujours vif, les alliances et les intérêts peuvent faire mal dans des réalités à géométrie variable…
Le Sénégal a célébré, en 2021, le centenaire du patriarche africain Amadou Mahtar Mbow. Trois ans après, cet universitaire et intellectuel de renom qui avait aussi lutté pour l’indépendance de son pays, a tiré sa révérence ce 24 septembre.
L’émotion est grande, aussi bien au Sénégal, qu’en Afrique et dans le monde, et les hommages, unanimes, se multiplient. « C’est un des patriarches de la Nation sénégalaise qui s’est éteint, en laissant un héritage inestimable, marqué par son combat pour une justice éducative et culturelle mondiale », a notamment indiqué le président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye.
Grand défenseur du multilatéralisme, Amadou Mahtar Mbow a dirigé l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) pendant treize ans, de 1974 à 1987.
Tout premier Africain à diriger cette auguste organisation onusienne, il était une figure emblématique du Sénégal et son engagement en faveur de l’éducation et de la paix est manifeste.
Personnage charismatique et doté d’une grande sagesse, cet intellectuel de haut vol, pétri d’éducation et de culture, a présidé, en 2008, les « Assises nationales » qui devaient secréter « des solutions face à la crise politique et économique que traversait le Sénégal à cette époque ».
Plusieurs fois ministre sous la présidence de Léopold Sédar Senghor et très respecté dans le monde, Amadou Mahtar Mbow, s’en est allé au moment où son pays se projette dans des élections législatives anticipées.
Situation politique paralysante
Le paysage politique sénégalais est donc en pleine effervescence dans la perspective de ces consultations fixées au 17 novembre prochain, soit près de huit mois après l’élection présidentielle du 24 mars 2024.
Porté au pouvoir sous le tempo de la rupture, Bassirou Diomaye Faye, ainsi que son mentor, Ousmane Sonko, nommé Premier ministre, ne disposaient en effet pas d’une majorité à l’Assemblée nationale.
Une situation politique paralysante, qui a amené le chef de l’État à dissoudre le Parlement le 12 septembre dernier, alors que la Déclaration de politique générale du Premier ministre, point de discorde entre l’Exécutif et le Législatif, était finalement programmée pour le lendemain, 13 septembre.
Cette dissolution de l’Assemblée nationale fait ainsi écho aux propos de Ousmane Sonko qui avertissait, en s’adressant au personnel de la Primature, que le 12 septembre, « ces gens auront autre chose à faire que d’être députés ».
Évitant ainsi la motion qui planait sur sa tête pour censurer le gouvernement, le Premier ministre sénégalais promet « la tolérance zéro » contre la corruption.
C’est donc pour corriger un tableau plutôt inconfortable et se donner les moyens d’obtenir, dans les urnes, les leviers nécessaires pour asseoir sa politique de rupture que le président Bassirou Diomaye Faye a décidé de rebattre les cartes législatives.
La question aujourd’hui est donc de savoir si cette initiative produira les résultats escomptés. Les urnes des élections législatives anticipées du 17 novembre prochain octroieront-elles les leviers nécessaires au nouveau pouvoir sénégalais afin qu’il déroule sereinement son programme politique ?
« Shake hands » des anciens…
La question mérite d’être posée, au moment où le duo exécutif sénégalais sort déjà de l’euphorie de la folle élection présidentielle du 24 mars 2024. Le nouveau pouvoir a ainsi déjà essuyé quelques griefs qui peuvent se convertir, sur le terrain électoral, en inimitié politique.
D’autant que, dans un pays comme le Sénégal où le débat politique est toujours vif, les alliances et les intérêts peuvent faire mal dans des réalités à géométrie variable.
C’est sans doute dans cette optique qu’il faut inscrire la convergence de forces que viennent de sceller le Parti démocratique sénégalais (PDS) de l’ancien président Abdoulaye Wade et l’Alliance pour la République (APR) du non moins ancien président Macky Sall.
Un « shake hands » des anciens donc, deux formations politiques qui se sont vigoureusement combattues jusque-là et qui sonnent aujourd’hui, de concert, la trompette de l’opposition pour espérer gagner la bataille législative à venir.
Dans un communiqué commun publié le 22 septembre en effet, le PDS d’Abdoulaye Wade et l’APR de Macky Sall affichent leur « désir de créer une grande coalition, ouverte à d’autres partis et mouvements souhaitant rejoindre cette initiative ».
Peut-on y voir le signe d’un basculement politique pour rééquilibrer les pouvoirs au Sénégal, au point d’imposer une « cohabitation » au duo Faye-Sonko ?
Les urnes du 17 novembre y répondront proprement, mais ce rapprochement entre les deux grands adversaires politiques d’hier semble procéder, aussi, observe-t-on, d’une « volonté d’unification face à un environnement politique en pleine mutation ».
Le premier défi de la mise en commun de ces forces politiques est d’assurer la transparence des opérations de vote. Un enjeu central qui amène l’APR et le PDS à adhérer à l’Alliance pour la transparence électorale (Atel), une structure portée sur les fonts baptismaux le 19 septembre dernier par 110 partis et mouvements politiques réunis en Assemblée générale constitutive.
Gagner ou subir !
Pour le pouvoir en place, les données du problème sont d’une évidence cristalline : gagner dans les urnes la majorité parlementaire qui lui fait tant défaut, pour ne pas passer sous les fourches caudines d’une opposition aguerrie et revigorée ! Ces législatives anticipées seront donc âprement disputées avec, sans doute, de nouvelles alliances stratégiques ou des adhésions à tel ou à tel autre camp pour peser sur la balance électorale.
Le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko sont donc prévenus. Rien ne leur sera offert sur un plateau d’argent.
La dynamique électorale de la présidentielle de mars 2024 est déjà bémolisée par la réalité du pouvoir et chaque voix leur sera comptée.
Du reste, ils sont bien payés pour le savoir, eux qui sont venus de loin, traînant leurs croix sur le chemin du Golgotha politique qui les a enfin ressuscités à la tête de l’État sénégalais…