Adoptée nuitamment le 25 mars dernier, la nouvelle Constitution du Togo, architecture d’une cinquième République, n’attend plus que la promulgation du chef de l’État pour entrer en vigueur. Mais beaucoup de voix s’élèvent contre cette nouvelle Loi fondamentale qui bascule le pays dans un régime parlementaire…
Les sirènes d’une nouvelle Constitution résonnent depuis quelques temps au Togo, avec pour ambition de faire passer le pays d’un système « fort présidentialisé » à un régime parlementaire.
Il s’agit en effet de tourner le dos au suffrage universel direct pour élire désormais le président de la République « sans débat » au parlement. Mais surtout, de désigner pour six ans renouvelable, également au parlement, un « président du Conseil des ministres », qui aura la réalité du pouvoir exécutif.
La nouvelle Constitution est donc validée par l’Assemblée nationale et l’on parle déjà de cinquième République au Togo, alors même qu’elle attend toujours d’être promulguée, dans les quinze jours suivant son adoption, par le président de la République.
En tout cas, pour la majorité parlementaire, le basculement dans une nouvelle République et dans un nouveau système politique que prône cette Loi fondamentale ne peut qu’emporter l’assentiment du « chef de l’État… garant de l’unité nationale… du respect de la Constitution… de la continuité de l’État et des institutions de la République » !
À l’appui de cette assurance, la présidente de l’Assemblée nationale, Yawa Djigbodi Tsègan, indique, pour répondre aux critiques formulées quant à la forme quelque peu cavalière de ce vote, que « tout au long du processus, nous avons veillé à ce que soient respectées les normes de fond ainsi que de procédure décrites aux articles 40, 65, 82, 92, 94, 110 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. C’est donc à bon droit que la sixième législature a jugé recevable et a procédé à l’étude ainsi qu’à l’adoption de cette proposition de révision de la Constitution ».
Voilà donc pour la bonne forme d’un projet qui rebat les cartes du jeu politique et des normes institutionnelles du Togo sans l’implication des populations.
Aucun débat public
Qualifié de passage en force, ce changement constitutionnel est en effet fortement critiqué par l’opposition, mais aussi par les enseignants-chercheurs, la conférence épiscopale et autres acteurs de la société civile ainsi que des observateurs de la vie politique togolaise.
Comment adopter et opérationnaliser une telle réforme qui engage la vie de la nation, sans un réel débat de fond sur ce qu’elle propose et ce que cela implique pour les citoyens ? Et puis, pourquoi initier ce changement constitutionnel alors que le mandat des députés qui l’adoptent est achevé depuis le 31 décembre 2023 et que le pays s’apprête à organiser, le 20 avril prochain, des élections législatives pour renouveler le parlement ?
En tout cas, l’opposition et diverses organisations de la société civile y voient plutôt « une nouvelle occasion offerte à Faure Gnassingbé de se maintenir à la tête du pays ». Dans une déclaration publiée le 26 mars, la Conférence des évêques du Togo indique ainsi qu’« il nous semble important d’expliquer au peuple, et pas seulement à ses Représentants à l’Assemblée nationale, les raisons d’une telle modification ».
Qu’apportera donc de mieux ce texte validé par 89 députés sur les 91 que compte l’Assemblée nationale (avec une voix contre et une abstention) « à notre marche commune et à notre vie sociopolitique ? », se demandent les évêques.
En tout état de cause, pour la Conférence des évêques du Togo, « un sujet aussi important qui va profondément changer la vie politique de notre pays devrait être précédé d’une large consultation et d’un débat national plus inclusif ».
C’est du reste pourquoi, les évêques catholiques du Togo exhortent le chef de l’État à… « surseoir la promulgation de la nouvelle Constitution et à engager un dialogue politique inclusif, après les résultats des prochaines élections législatives et régionales ».
« Pouvoir à vie »
Mais il n’y a pas que les évêques qui s’inquiètent de ce changement constitutionnel en catimini opéré au Togo. Outre les enseignants-chercheurs qui ont aussi donné de la voix, la Diaspora togolaise en Allemagne (DTA) trouve « inadmissible » ce changement qui « est susceptible de conduire le Togo vers les lendemains incertains ».
Pour sa part, Me François Akila-Esso Boko, ancien ministre de l’Intérieur actuellement en exil, a également appelé il y a quelques jours le chef de l’État togolais à faire retirer le projet de loi. Par quelle alchimie juridique et politique, s’est-il en effet demandé sur son compte X, « un parlement sortant peut-il procéder à la modification de la Constitution, à un mois d’un scrutin annoncé en vue de son remplacement ? »
Le texte ainsi querellé, faut-il le rappeler, transfère la réalité du pouvoir à l’Assemblée nationale qui, réunit en congrès, dispose du choix et de la décision en ce qui concerne les principaux gestionnaires de l’État.
Le parlement choisit ainsi, « sans débat », le président de la République « pour un mandat unique de six ans ». Il désigne aussi le « président du Conseil des ministres », qui représente le pays à la place du président de la République.
Selon la nouvelle Constitution, ce dernier est « le chef du parti ou le chef de file de la coalition de partis majoritaire à l’issue des élections législatives » et « est désigné pour un mandat de six ans ».
Pour ses détracteurs, ce nouvel attelage institutionnel expose le pays, indique notamment Me Paul Dodji Apevon, président des Forces démocratiques pour la République (FDR), à «un pouvoir à vie pour un seul individu, au détriment des aspirations profondes du peuple togolais et de la stabilité ».
D’autant que, si le texte est promulgué dans les délais prescrits par la Constitution de la IVe République qu’on veut enterrer, le rendez-vous électoral présidentiel de 2025 passera par pertes et profits.
La nouvelle Assemblée nationale issue des élections législatives du 20 avril prochain nommera le prochain président de la République, qui sera en poste pour six ans non renouvelable, ainsi que le tout nouveau président du Conseil des ministres, dont le mandat est de six ans, mais renouvelable à souhait.
Inquiétudes et récriminations
Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005 suite au décès de son père après 38 ans de règne, enfilera-t-il alors le costume de père de nation pour un mandat unique de six ans avant de dire au revoir à la République ? Ou au contraire, reviendra-t-il, après cette « parenthèse enchantée », comme l’incontestable « président du Conseil des ministres » pour gérer ad vitam aeternam les affaires du Togo ? Ou encore prendra-t-il, en tant que leader du parti majoritaire au pouvoir, les rênes de l’Exécutif dès cette année pour ne plus les lâcher ?
C’est là, sans doute, le questionnement au cœur de toutes les inquiétudes du moment qui animent le chœur des récriminations contre cette révision constitutionnelle. Car en effet, ainsi que l’explique le président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale à l’Assemblée nationale togolaise, Tchitchao Tchalim, pour justifier le bien-fondé de ce choix institutionnel, « le chef de l’État est pratiquement désinvesti de ses pouvoirs en faveur du président du conseil des ministres, qui devient celui qui représente la République togolaise à l’extérieur, qui dirige effectivement le pays dans la gestion quotidienne ». Alors, un fauteuil fort pour… Faure Gnassingbé ?
Le moins que l’on puisse dire en tout cas, c’est que ce poste de président du Conseil des ministres est de loin le plus stratégique, le plus prestigieux, le plus décisionnel de la Constitution de cette cinquième République dont l’accouchement se fait déjà par césarienne…
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