Les députés togolais examinent actuellement une proposition de révision constitutionnelle qui basculerait le pays dans un régime parlementaire. Si elle est adoptée, l’actuel président de la République, Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, pourrait potentiellement rester à la tête de l’État jusqu’en 2038 !
Les laboratoires de ciselage des Constitutions tournent à plein régime en Afrique. Dans plusieurs pays en effet, on cherche à « améliorer l’existant », jugé improductif, voire inopérant.
Ainsi en va-t-il du Togo où le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, qui soutient l’action du parti au pouvoir, l’Union pour la République (Unir, 55 députés sur les 91 que compte le parlement), vient de déposer une proposition dans ce sens.
Une opération de révision constitutionnelle qui vise ainsi, selon ses initiateurs, à assurer «le renforcement de la démocratie et de la séparation des pouvoirs, l’amélioration de la stabilité gouvernementale et l’adaptation aux évolutions sociopolitiques du pays ».
C’est sur ce socle que le pouvoir actuel à Lomé veut remodeler la Loi fondamentale du pays, en instaurant un régime parlementaire en lieu et place de celui présidentiel, actuellement en vigueur.
Dans ce nouveau projet, « le chef du gouvernement serait le Président du conseil des ministres, tandis que la fonction de chef de l’État, assumée par le Président de la république, deviendrait essentiellement symbolique, avec un rôle de soutien à la cohésion et l’unité de la nation ».
Il s’agit donc en clair de changer complètement la donne constitutionnelle du moment afin d’élire le président de la République, indique la proposition de révision en son article 37, « sans débat par le Parlement en séance conjointe de ses membres », à l’issue d’un « scrutin secret à la majorité absolue ». Plus d’élection directe pour le président de la République donc, qui restera en fonction pour un septennat renouvelable une seule fois (article 39).
Nouvelle République
La proposition de révision constitutionnelle évince en quelque sorte de poste de Premier ministre, ou en tout cas d’un chef de gouvernement nommé par le président de la République.
En lieu et place, l’article 54 établit un président du Conseil, qui « détermine et conduit la politique générale de la Nation, définit la politique étrangère, et est responsable de la défense nationale ».
Ce dernier, qui est donc le chef du gouvernement, est lui aussi « élu sans débat par l’Assemblée nationale à la majorité de ses membres ». Une fois nommé par le président de la République, il dirigera le gouvernement de la République, avec des ministres qu’il choisit.
En faisant évoluer la pratique républicaine actuelle pour une option parlementaire, le groupe parlementaire initiateur de la présente révision constitutionnelle plaide pour une nouvelle République — la cinquième — qui, de son point de vue, « remettra au centre de la vie politique nationale le Parlement dans ses deux chambres que sont notre Auguste Assemblée Nationale et le Sénat qui sera en grande partie l’émanation des collectivités territoriales de notre pays ».
Cette évolution, soutient-il, « vise à poser les bases d’une gouvernance qui garantisse une représentation fidèle de la volonté du peuple togolais, tout en assurant la stabilité et l’efficacité nécessaires à notre progrès économique et social ».
Questions pertinentes
Il n’en fallait cependant pas plus pour qu’affleurent des questions des plus pertinentes. La plus emblématique d’entre elles est de savoir pourquoi initier une telle réforme maintenant, alors qu’on s’achemine vers des élections législatives censées justement renouveler le parlement en avril prochain ?
Ne serait-il pas plus indiqué d’entreprendre cette réforme substantielle de la Loi fondamentale, qui convoque le passage à une nouvelle République, avec la nouvelle Assemblée nationale ?
Et puis, estiment de nombreux observateurs, cette profonde réorganisation de l’agencement et des attributions des hautes institutions de l’État devrait en principe faire l’objet d’un dialogue politique et d’un référendum.
De fait, si cette proposition de révision est adoptée par l’Assemblée nationale, l’actuel président de la République, Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, pourrait potentiellement rester à la tête de l’État jusqu’en 2038, soit pendant deux septennats ! Alors que les dispositions de l’actuelle Constitution prévoient une élection présidentielle en 2025 et un dernier mandat de cinq ans pour Faure Gnassingbé s’il est élu.
En tout cas, pour l’opposition, la cause est entendue car, martèle Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC, sept députés) qui dénonce un coup d’État constitutionnel, « si la proposition passe, il n’y aura pas d’élection présidentielle en 2025 vu que dans les nouveaux textes, c’est le parlement qui va élire le Président. C’est ce que ce régime prépare pour maintenir Faure Gnassingbé au pouvoir ».
Indéniablement, ce virage constitutionnel que veut emprunter le Togo n’est pas sans rappeler la sortie d’un certain Salifou Diallo, qui avait alors suggéré le même schéma en 2009, alors qu’il était ambassadeur du Burkina en Autriche.
Au détour d’une interview publiée dans les colonnes du quotidien L’Observateur Paalga, l’ancien président de l’Assemblée nationale — décédé le 19 août 2017 à Paris — avait ainsi suggéré d’aller « vers un régime parlementaire, qui nous éviterait une patrimonialisation de l’État ». Déjà débarqué manu militari du gouvernement le jour de Pâques 2008, cette sortie lui a valu, on s’en souvient, une volée de bois vert.
Mais, sans doute, le temps a fait son œuvre et le biais de Salif Diallo d’offrir, en son temps, un enterrement de première classe à la IVe République, en donnant naissance, dans une Ve République « consensuelle », à un régime parlementaire, dans lequel le vrai détenteur de l’Exécutif sera un Premier ministre, responsable devant le Parlement, est ouvertement admise aujourd’hui. On n’écarte ainsi plus, aussi bien au Burkina Faso qu’ailleurs, l’idée de sortir des régimes présidentiels et semi-présidentiels en Afrique de l’Ouest.
D’ailleurs, si la majorité des pays évolue encore actuellement sous le joug d’un régime semi-présidentiel, avec un Premier ministre nommé par le président de la République dans un scrutin direct, quelques différences ont déjà été introduites ci et là. Exemple de la Côte d’Ivoire qui expérimente un système exécutif à trois piliers avec un président, un vice-président et un Premier ministre. Exemple aussi au Bénin qui a… glissé le poste de vice-président dans son système de gouvernance depuis la révision constitutionnelle de 2019. Toutefois, il n’y a pas Premier ministre ici, le chef de l’État assurant lui-même les fonctions de chef du gouvernement et se présentant chaque année devant le parlement pour y décliner la situation de la nation.
Au final, plusieurs pays de l’espace ouest-africain semblent vouloir saisir le bouleversement et le bouillonnement actuel du contexte géopolitique et sociopolitique pour opérer des changements institutionnels majeurs. Reste à savoir si l’intérêt majeur des populations est/sera réellement pris en compte dans ces nouvelles architectures ainsi que le proclament leurs initiateurs.
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