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Tribune: Harouna Kaboré dans la politique suisse (George Ignace Somé)

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Depuis la récente sortie (musclée) de l’activiste camerounaise Nathalie Yamb au sujet du voyage du ministre Harouna Kaboré en novembre dernier en Suisse, beaucoup de Burkinabè se demandent pourquoi, de tous les pays du monde, c’est un ministre du pays des hommes intègres qui a osé aller à Berne pour s’immiscer dans une campagne de politique intérieure suisse où, dans un geste inouï, il a pris position pour les plus grandes multinationales du monde et dénoncer « l’initiative citoyenne pour les multinationales responsables ». Une initiative qui a été défaite le 29 novembre et qui était soutenue par plus d’une centaine d’ONG telles Transparency International, Terre des Hommes ou Amnesty International.

De quoi s’agit-il?

Tout le monde se rappelle de l’affaire des déchets toxiques du Probo Koala en Cote d’Ivoire en 2006. Ce bateau avait été affrété par Trafigura, une société de négoce de pétrole basée en Suisse. LafargeHolcim est régulièrement accusée de polluer l’eau des rivières au Nigeria. En 2013 au Bangladesh, plus de 1000 ouvriers sont morts dans l’effondrement d’un bâtiment d’un atelier de confection d’une multinationale. Il y a aussi le drame de Bhopal en Inde en décembre 1984 où plus de 3000 personnes sont mortes dans l’explosion d’une usine chimique américaine. Ce sont là quelques exemples d’accident, de pollution et de violations graves des droits de l’homme attribuées aux multinationales dans des pays en voie de développement.

Malheureusement dans la majorité des cas, les multinationales refusent d’assumer leurs responsabilités, laissant souvent des populations locales meurtries, sans moyens de recours. C’est donc pour remédier à cela que dans plusieurs pays dont l’Allemagne et la Suisse, l’idée est née de passer des législations pour rendre les multinationales plus responsables.

L’initiative pour les entreprises responsables lancée en Suisse, était une sorte de projet de loi soumis à referendum ( la votation, une spécificité suisse) le 29 novembre 2020. Son objectif était simple: les entreprises ayant un siège en Suisse doivent veiller à ce que leurs activités commerciales respectent les droits humains et les normes environnementales partout dans le monde. Cette initiative permet aux personnes lésées d’engager une procédure civile en Suisse pour être indemnisées et demander une compensation financière du dommage subi. Le fardeau de la preuve est à la charge de la personne lésée. Si elle passait, l’initiative devait s’appliquer à environ 1500 multinationales ayant leurs sièges en Suisse. L’initiative était soutenue par 120 ONG. Les multinationales ont mobilisé les gros moyens pour la combattre. Le gouvernement suisse qui profite de la présence des multinationales ( qui vont en Suisse essentiellement pour des raisons fiscales) et qui ne veut pas les voir partir était aussi contre une telle initiative.

Pourquoi le Burkina Faso soutiendrait-elle une telle initiative?

Le Burkina Faso comme d’ailleurs tous les autres pays du monde, n’a pris officiellement aucune position dans ce débat interne à la Suisse. Si le Burkina devait prendre position, on imagine aisément que le pays de Thomas Sankara et de l’insurrection populaire de 2014 serait allé du coté des ONG contre ces multinationales. En tout cas, c’aurait été une première de voir un pays du tiers monde s’allier aux multinationales contre les plus grandes ONG du monde au sujet du respect des droits de l’homme et de la protection de l’environnement.

Et la position de Harouna Kaboré qui a qualifié  »l’initiative sur les multinationales responsable » de Neo-coloniales?

Effectivement début novembre Harouna Kaboré était à Berne en Suisse. “Une visite privée” selon le Département Fédéral des Affaires Étrangères (DFAE) suisse cité par le journal suisse 24heures. (

Lire aussi: La visite du ministre burkinabé passe mal chez les initiants

La visite du ministre de Roch Kaboré a été organisée par Isabelle Chevalley, une politicienne suisse qui était dans le même camp que les  multinationales contre “l’initiative sur les multinationales responsables”. Isabelle Chevalley qui a ses entrées dans les hautes sphères du gouvernement burkinabè, est une amie de Harouna Kaboré. “Isabelle Chevalley nous a alertés de la tenue de cette votation et nous nous devions d’intervenir pour faire passer notre message” a avoué Harouna Kaboré devant la presse suisse.

C’est donc en pleine campagne qu’Harouna Kaboré débarque en Suisse. Voici ce qu’écrivait le journal 24heures dans un compte-rendu: « Mardi, à Berne, le ministre du Commerce du Burkina Faso, Harouna Kaboré, s’est présenté devant une poignée de médias suisses, dont celui-ci, pour dire tout le mal qu’il pense de l’initiative, soumise au vote le 29 novembre prochain. À ses côtés, la conseillère nationale Isabelle Chevalley (Vert’lib/VD) arborait un large sourire: fer de lance romand des opposants, la Vaudoise est à l’origine de cette conférence de presse qui souffle un peu plus sur les braises d’une campagne aussi inhabituelle que tendue. » Donc, pour se faire aider dans un débat de politique interne, Isabelle Chevalley a fait venir un ministre burkinabè en renfort. « C’est du néocolonialisme et c’est grave. On nous infantilise », a notamment dit le ministre Kaboré aux Suisses.

Bien sûr que cette ingérence sautait à l’œil. «Un ministre qui vient se mêler d’une votation interne en s’exprimant publiquement, c’est pour le moins inadéquat. On n’imagine pas Alain Berset faire de même dans un pays étranger», avait lancé l’ancien conseiller national Dominique de Buman (PDC/FR).

 »Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la politique suisse est inventive, puisqu’il s’agit d’une première. Jamais un ministre étranger ne s’était hasardé à intervenir dans une campagne de votation suisse. Jamais un politicien suisse n’avait eu recours à l’expédient d’un appui étranger. Mais il faut un début à tout. » avait écrit sur son blog https://blogs.letemps.ch/jacques-neirynck/2020/11/13/le-beau-message-de-harouna-kabore/, Jacques Neirynck, professeur honoraire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Et qu’en est-il de cette affaire du travail des enfants dans le secteur du coton au Burkina que le ministre dit être allé défendre?

C’est bien l’argument trouvé pour brouiller les pistes de cette sortie. L’initiative suisse sur les multinationales responsables ne vise aucun pays, encore moins le Burkina Faso. Lors de sa visite, Harouna Kaboré a profité mentionner un rapport vieux d’un an, qui avait été publié fin 2019 par l’ONG suisse Solidar https://www.solidar.ch/fr/stop-travail-enfants . Ce rapport concernait le travail des enfants au Burkina dans le secteur du coton. Ce rapport n’a aucun lien avec la votation sur la responsabilité des multinationales. Solidar a aussi produit des rapports similaires sur l’industrie du jouet en Asie, sur  le travail des enfants dans l’exploitation de l’huile de palm, ou le travail des enfants dans la fabrication des casseroles suisses en Chine, etc. Aucun de ces pays ne s’est mêlé au débat sur “l’initiative des multinationales responsables”, sauf Harouna Kaboré.  Vouloir donc associer ce rapport 2019 sur le travail des enfants dans le secteur du coton à l’Initiative citoyenne sur les multinationales responsables, est une façon savante, pour M. Kaboré et Mme Chevalley de brouiller les pistes.

Voici comment le professeur Jacques Neirynck ironise sur son blog cette sortie du ministre Kaboré:  »Même les pays prétendument exploités viennent clamer leur indignation jusqu’à Berne. C’est du jamais vu. Et l’on ne peut que souhaiter que l’habitude s’en prenne. Soit dit en passant, on peut déplorer qu’aucun ministre thaïlandais ne soit venu se plaindre, jusqu’à présent, de la répression en Suisse des pédophiles suisses agissant dans son pays. »

George Ignace Somé

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