Voilà plusieurs mois que les hôpitaux du Burkina tournent au ralenti. Cette situation fait suite à la demande du Syntsha, le principal syndicat de la santé au gouvernement d’appliquer son protocole d’accord signé en mars 2017. Les mois passent, la paralysie des hôpitaux publics devient de plus en plus totale, le nombre des morts augmentent mais aucune lueur d’espoir de sortie de crise. Chaque partie campe sur sa position. Libreinfo.net a rencontré le secrétaire général du Syntsha Pissyamba Ouédraogo avec qui nous avons eu un entretien.
Libreinfo.net (LI) : Est-ce que vous pouvez revenir sur votre plateforme revendicative ?Pissyamba Ouédraogo (PO) : Je pense qu’il faut même rappeler que la lutte en cours du Syntsha ; ce n’est pas en tant que tel autour d’une plateforme revendicative. Nous exigeons l’application d’un protocole d’accord que nous avons signé avec le gouvernement le 13 mars 2017. Donc nous ne sommes plus en train de négocier des revendications. Nous avons négocié depuis deux ans et demi et le gouvernement ne veut pas appliquer ses engagements.
LI : Quelle est la situation actuellement avec le gouvernement burkinabè ?
PO : Pour vous faire le point, je vais rappeler l’historique de ce protocole d’accord. En décembre 2015, le syndicat a tenu son treizième congrès qui a adopté une plateforme minimale que nous avons transmis au gouvernement en avril 2016. Il a fallu attendre le 13 mars 2017 pour voir le gouvernement ouvrir les discussions avec nous clairement sur les revendications du congrès qui a abouti à la signature du protocole d’accords. La signature a été assortie de la mise en place d’un comité de suivi, qui comprend les deux parties [gouvernement et syndicat]. Ce comité de suivi a fait le point de la mise en œuvre du protocole d’accord en mars 2018 pour constater que les choses n’ont pas bougées. Malgré nos interpellations les choses ne bougeaient toujours pas. C’est pourquoi en avril et mai 2018 nous avons fait deux actions de lutte. Puis notre syndicat a décidé de tout suspendre ; comme le gouvernement dit qu’il veut mettre en œuvre le protocole d’accord. Ainsi nous avons suspendu tout action de juin 2018 a mars 2019, pour constater que le gouvernement a profité de cette période pour nous tourner en rond. Reporter les réunions, manque de volonté décisionnelle…
LI : Donc le gouvernement s’est joué de vous en quelque sorte ?
PO : Absolument ! Il se joue de nous parce que dans le comité de suivi par exemple, les représentants de la fonction publique changent d’une réunion à une autre. Et quand on demande à celui qui est là (le Premier Ministre) qu’en est-il des résolutions prises pour la dernière réunion ? Il répond que comme il n’était pas là, il n’est au courant de rien. Et celui qui était là, ne lui a rien dit non plus. C’est pourquoi en avril 2019 ainsi qu’en début juillet nous avons refait une nouvelle action. Depuis le 26 juillet le gouvernement a quitté la table des négociations et n’est plus revenu. Les négociations sont rompues ? Suspendues ? Coupées ? Nous on ne sait pas. Le gouvernement en nous quittant, le 26 juillet a promis nous revenir pour fixer une autre date et n’a plus donné signe de vie.
LI : Est-ce que cette grève qui peine à finir ne cause pas un problème d’éthique ? d’autant plus qu’il y a des patients qui n’arrivent pas à se faire soigner, dans certains districts sanitaires ?
PO : Poser un problème d’éthique voudrait dire qu’il y a des malades qu’on ne soigne pas. Le mouvement que nous faisons, on soigne les malades.
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LI : Oui les gens sont soignés, mais pas comme avant…
Si c’est comme avant, ce n’est pas la peine de faire grève. L’article 2 de la constitution dit que : << la protection de la vie, la sureté et la garantie de l’intégrité physique sont garanties au Burkina.>> Et l’article 26 dit que, << le droit à la santé est reconnu et c’est l’Etat qui est chargé de le promouvoir.>> Alors le problème d’éthique se pose à qui ? Aujourd’hui on parle partout de la gratuité des soins… Mais la gratuité, c’est quel produit qui existe ? Pour des raisons d’éthique et parce qu’on est en insécurité, vous préférez qu’on aille s’asseoir au service sans les matériels adéquats pour travailler et regarder les malades mourir ? Nous nous pensons en toute modestie, que nous sommes des citoyens responsables. Voilà pourquoi nous utilisons notre énergie pour contribuer à améliorer le travail de la santé. Mais est-ce que ce choix lèse les usagers du service sanitaire ; mais naturellement oui ! Nous avons tous cru que compte tenu du caractère sensible du secteur ; le gouvernement n’allait pas laisser les choses perdurer. Vous venez ; vous suspendez et vous partez en vacances ; est-ce que l’aviation est plus importante que la santé ? Pour nous il n’y a pas d’antinomie entre interpeller l’autorité pour regarder le fonctionnement du système de santé et la lutte contre l’insécurité qu’il y a dans notre pays. Il n’y a pas du tout de question d’éthique dedans. Nous pensons que s’il y en a ; c’est plutôt l’Etat qui n’assume pas ses devoirs.
LI : Où en est-on avec les coupures de salaires ?
PO : Nous on n’a pas été saisi. On entend dans les rumeurs. On attend de voir. Quand il en aura ; on réagira.
LI : Donc si les autorités ne viennent pas vers vous ; vous n’êtes pas prêt à aller vers eux ?
Nous sommes une organisation syndicale. Est-ce que nous on peut convoquer l’Etat ? Aller vers eux renvoie à les convoquer ! Ils prennent l’engagement de nous rappeler et ils ne le font pas. Vous voulez qu’on fasse quoi ? Qu’on aille faire des courbettes pour qu’ils reprennent les négociations ? On ne fera pas de courbette ! S’ils pensent que ce qu’on fait n’est rien, ok, allons-y !
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LI : Ainsi prend fin notre entrevue,un dernier mot ?
Ce qui est important dans une lutte, c’est que les causes soient connues. Si les causes sont connues ; on est compris autant. Moi j’imagine que cet entretien va participer de l’information auprès des citoyens. Toute entreprise humaine, dépends des ressources humaines. Donc on réclame qu’on paye l’augmentation comme convenu dans le protocole d’accords. Pour nous, la lutte est intégrée entre les conditions de travail et les conditions de vie des agents. Si on a l’un sans l’autre ; il n’y a pas de soins et de prestations de qualités pour les populations.
Propos recueillis par Stéphane Bassalia Ouattara, stagiaire
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