La chute du Président Guinéen Alpha Condé le dimanche 5 septembre 2021 a surpris plusieurs observateurs de la politique africaine dont Dr Emile Paré . Au lendemain de sa destitution, Libreinfo.net a rencontré l’un de ses amis de lutte estudiantine et politique au Burkina Faso en la personne du Dr Emile Paré. Celui ci reconnait que les conditions d’un coup d’Etat étaient plausibles.
Propos recueillis par Albert Nagreogo,
Libreinfo.net : Dr Emile Paré (E.P) : Comment vous avez appris la chute du régime d’Alpha Condé ?
Dr Emile Paré :je dois dire que c’est dimanche matin très tôt que j’ai été informé par madame et un certain nombre de camarade et amis qu’il y’a des tirs à Conakry autour du palais présidentiel. Donc nous avons suivi l’évolution jusqu’à ce qu’on nous confirme qu’il y’a coup d’Etat en Guinée. C’est comme ça que j’ai appris l’évolution des évènements, je ne dirai pas que je suis surpris, je suis surpris mais je comprends également l’avènement de ce coup d’Etat.
Pourquoi je dis que je comprends l’avènement de ce coup d’Etat ? il y’a un certain nombre d’actions politique qu’il faut comprendre lorsqu’on s’engage dans un processus politique. La première action c’est la démocratie, nous disons que nous sommes engagés dans un processus démocratique alternatif et l’alternance a été consacrée aux fruits des luttes des peuples africains dans presque la majorité des constitutions des pays africains. Et la question du tripatouillage de la constitution a été également un enjeu de lutte démocratique que les peuples effectivement ont mené.
Alors nous avons vu le cas au Burkina Faso lorsqu’il y’a eu tentative de modification de l’article 37 dont le départ du président Compaoré. Nous avons vu également en Guinée que la tentative de modification de la constitution a connu une résistance populaire et moi qui suit un démocrate, je dis qu’on soit de gauche ou de droite le consensus démocratique veut qu’on respecte la constitution qui a été votée par référendum par le peuple et quiconque tente de la modifier évidemment aura des conséquences.
La première conséquence c’est quoi, c’est encore créer des conditions de troubles, de désaccord politique et vous savez que quand il y’a désaccord politique entre la classe politique, qui met l’ordre classiquement ? c’est l’armée. Nous avons vu ça au Tchad c’est également un nième mandat qui est à la base véritablement de la situation qui a eu lieu au Tchad. Nous avons vu au Mali non seulement on part vers une paternalisation du pouvoir et c’est un des éléments aussi de la clé démocratique à savoir qu’au plan démocratique si on s’engage pour une gouvernance vertueuse il ne faut pas mettre en place une gouvernance patrimoniale, une gouvernance gabégique, une gouvernance ethniciste, une gouvernance tribale, une gouvernance régionaliste, une gouvernance de copain. Cela a également crée les conditions de désaccords de la classe politique et induit ipso facto l’irruption de l’armée dans la chose politique. Donc ces deux conditions là étaient réunies en Guinée.
Libreinfo.net : Vous avez cité l’exemple du Tchad, du Mali et aujourd’hui la Guinée. Vous n’avez pas peur que le retour au pouvoir par l’armée ne devienne une habitude?
Dr Emile Paré: Je pense que jusque-là même si l’armée revient au pouvoir il y’a une chose que l’armée ne peut pas faire. Il s’agit de venir au pouvoir et s’éterniser au pouvoir. Les peuples ont atteint un stade tel que même si l’armée prend le pouvoir, l’armée est contrainte d’organiser une transition et d’organiser une élection pour passer le pouvoir aux civils. C’est ce qui nous donne comme enseignement partout où l’armée a pris le pouvoir.
Libreinfo.net : Comment vous répondez à ceux qui pensent qu’il y’a la main de l’occident toujours derrière ces putschs ?
Dr Emile Paré: Nous sommes dans un système que tout le monde connait néocolonial des pays africains. Chacun veut être sous la coupe de la France, sous la coupe des Etats-Unis ou sous la coupe de l’Angleterre et chemin faisant nous sommes toujours dans une mondialisation où les jeux des intérêts jouent beaucoup sur la gouvernance. Et les gouvernements africains sont très faibles au point qu’aujourd’hui tout ceux qui ont connu la colonisation française, la France a tendance à toujours maitriser la gouvernance. Donc c’est naturel que les gens accusent la France.
Le cas de la Côte d’Ivoire est là Gbagbo a été plus ou moins éliminé sous la houlette de la France et on a raison de penser que l’occident est derrière ces choses mais il trouve un terro favorable au plan interne, si nous créons les conditions internes mais la France, Etats-Unis, l’Angleterre, tous les pays occidentaux, ils vont s’infiltrer et faire des coups d’Etat. Si nous regardons bien en Guinée, quand on vous donne le profil de l’homme, (rire) le simple fait de vous dire que c’est un légionnaire français suffit à dire que ça m’étonnerait que la France ne soit pas derrière ce coup d’Etat.
Libreinfo.net : Ah bon vous pensez que le Lieutenant-colonel Mahamadi Doumbouya peut-être soupçonné d’être à la solde d’un Etat ?
Dr Emile Paré : Non (rire) mais quand on écoute le parcours de l’homme il est venu en 2018 sur instruction ou acceptation d’Alpha Condé, donc comment vous pouvez expliquer qu’il fasse un coup d’Etat puisqu’il n’est pas véritablement du sérail de l’armée guinéenne. Quand on regarde son parcours il a fait l’Afghanistan, il a fait Israël, il a fait le Sénégal il a été instructeur de la légion d’honneur en France. Et il est venu récemment, c’est-à-dire, il y’a à peine, pour dire même à la veille des élections du troisième mandat d’Alpha Condé. Donc normalement si c’est logique, c’est quand même d’autres officiers qui feraient le coup d’Etat et on le comprendra mais si c’est lui, je pense qu’il a eu quand même une facilitation quelque part. voilà ma conception mais ce que je dois dire, Alpha Condé demeure un camarade de gauche.
Libreinfo.net : On sait qu’Alpha Condé compte beaucoup d’amis au Burkina Faso, je veux parler du président Kaboré ce n’est pas un secret, également de Zéphirin Diabré, Emile Paré et bien d’autres, vous étiez à son investiture d’ailleurs, vous avez fait le voyage ensemble y compris Simon Compaoré. Aujourd’hui vous apprenez sa chute qu’est-ce que cela vous fait ?
Dr Emile Paré: Bon ! je pense que je suis peiné, véritablement de la manière dont il sort mais lui-même il a créé les conditions de sa sortie par la petite porte. Je dois dire qu’au plan politique ce n’est pas parce qu’un camarade est camarade qu’il faut le soutenir dans toutes ses bêtises, mais il faut avoir le courage de dire au camarade qu’il s’est trompé. Bien entendu quand vous prenez le président Condé non seulement c’est un camarade mais c’est notre leader historique du mouvement étudiant, la Fédération des étudiants de l’Afrique noire français (FEANF) ce qui fait qu’il compte beaucoup d’amis dans le mouvement étudiant africain et burkinabè.
Vous avez cité Roch Kabore, je peux vous citer Me Halidou Ouédraogo, il faut citer Valère Somé et bien entendu je peux dire que nous qui avons été étudiants c’est notre leader. On était content qu’aujourd’hui la Guinée arrive à être dirigée par un ancien dirigeant de la FEANF. Mais très vite ça ne suffit pas, la gestion du pouvoir d’Etat, personnellement j’étais à son investiture au premier mandat avec feu le camarade Salif Diallo, Simon Compaoré, Alpha Barry, vous avez cité Zéphirin Diabré, le président Roch Kabore n’a pas pu assister parce qu’il venait d’être élu président et il ne pouvait pas faire le déplacement.
Nous avons retrouvé là-bas tous nos anciens compagnons de lutte étudiant et de la gauche africaine, Bazoum (Mohamed Bazoum ndlr), le président nigérien était là-bas. C’est pour dire qu’il était véritablement un camarade qui montre que la gauche peut aussi gérer, malheureusement deux facteurs ont limité le président Condé. Il y’a l’âge je persiste et je signe qu’en tant que médecin à partir de 75 ans il faut abandonner la gestion du pouvoir d’Etat parce que le chef de l’Etat c’est du boulot. Pourquoi le Pape et l’Eglise Catholique mettent les évêques en retraite à 75 ans? parce qu’à partir de 75 ans c’est la dégénérescence cérébrale donc tu ne peux plus capter tous les facteurs, ton cerveau n’est plus vigilant, capable encore de comprendre les phénomènes qui t’entourent.
Mais Alpha à 83 ans était fatigué. De mon point de vue, il demeure quand même historiquement un de nos camarades. Mais ce sont les conditions dans lesquelles il a voulu le troisième mandat et je dois vous dire que les signes annonciateurs étaient là. Alpha Condé allait pratiquement pour ce troisième mandat entrer en divergence avec tous ces camarades de gauche africain. On lui a fait la remarque mais il était allergique au point qu’il n’est même pas venu à l’investiture du camarade Bazoum au Niger. Donc la crise était déjà là avec nous sur la question de ce troisième mandat.
Libreinfo.net : Vous étiez opposé à ce troisième mandat en tant que camarade ?
Dr Emile Paré : Très opposé oui, en tant que camarade, nous étions opposés au troisième mandat mais ça ne suffit pas pour dire qu’il n’est pas un camarade, tu sais bien que s’il y’a bien quelqu’un qui va s’opposer à un troisième mandat du président Roch Kaboré, je serai le premier. Non il faut que nous soyons conséquents avec nous même partout où le troisième mandat a été forcé il y’a eu des difficultés.
La Côte d’Ivoire, Ado(Alassane Ouattara ndlr) a forcé le troisième mandat, mais il est en difficulté, Macky Sall qui tente de jouer au chat et à la souris est déjà en difficulté. Et vous avez vu le nigérien qui a déclaré deux ans avant la fin de son mandat qu’il n’est pas question d’un troisième mandat pour lui, Mahamadou Issoufou, il a donné tranquillement et pacifiquement et le peuple nigérien a accepté cette transition pacifique. La question du troisième mandat dans les démocraties africaines est un gros problème.
Libreinfo.net : A l’image de Yaya Jammeh, de Blaise Compaoré qui ont fini par trouver un exil, vous pensez qu’Alpha Condé a besoin nécessairement d’un exil ?
Dr Emile Paré : Oui je pense que très souvent quand on vous renverse dans des conditions comme ça, si ce n’est pas un arrangement, un coup d’Etat de palais, il vaut mieux un peu se retirer. De ce point de vue, moi je pense que le président guinéen qui est notre camarade burkinabè parce que dans la sous-région ouest africaine l’essentiel de ses camarades sont au Burkina Faso et moi je souhaite qu’il demande à venir se reposer au Burkina Faso pourquoi pas à Bobo-Dioulasso, une ville qu’il chérit tant donc voilà mon point de vue.
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