Suite à la conférence de presse des ressortissants de Karma et villages environnants le samedi 29 avril 2023 au siège provincial du MBDHP/Yatenga, région du Nord, quelques survivants ont livré des témoignages effroyables sur la drame du 20 avril 2023 survenue à Karma (dans le Nord du Burkina Faso). En effet, 147 personnes y ont perdu la vie selon les conférenciers.
Des témoignages recueillis par Zakiss Ouédraogo, Correspondant
M. Ousmane Ouédraogo, natif de Karma dans le département de Barga, confirme que la tuerie s’est bel et bien produite le jeudi 20 avril 2023 aux environs de 5 h du matin.
Son témoignage est le suivant : « Je suis jardinier. Je me suis rendu au lieu de mon travail ; peu après 5 h du matin, mes enfants m’ont rejoint au jardin. L’un d’eux m’a dit avoir vu certaines personnes passer à moto ; il m’a demandé si ces gens sont de notre armée ou si ce sont des terroristes.»
A cette question, j’ai rassuré les enfants en répondant que ce sont nos soldats. Bien évidemment, à cause de la tenue. Du coup, les enfants ont commencé à applaudir parce que, pour eux, nos prières implorant le secours des militaires ont été exaucées.
Au fil du temps, j’ai instruit les enfants de rester pour surveiller les fruits dans le jardin, le temps pour moi d’aller à la maison chercher la charrette.
A l’approche du village, j’ai vu que tout le village était encerclé par nos FDS (Forces de défense et de sécurité) avec des véhicules blindés. Quand je me suis approché d’eux, deux soldats sont venus à ma rencontre et m’ont crié «Halte ! » et j’ai obéi.
Ils ont procédé à des fouilles. Mais rien n’a été trouvé sur moi. Ensuite, place aux questions : «D’où viens-tu ? Pourquoi vous n’avez pas de pièce d’identité ?». « J’ai répliqué que j’étais matinal, voilà pourquoi j’ai oublié de prendre ma pièce d’identité. Je suis retourné chez moi et une fois arrivé à la maison, c’est ma fille qui m’a remis ma pièce. En outre, elle m’a informé de ce que, à l’arrière des concessions, il y avait des gens assis.»
M. Ousmane dans son témoignage a ajouté : « Ils ont fouillé ma boutique mais aucune arme n’a été trouvée. Cependant, tout ce que j’avais de précieux a été emporté par les assaillants. Quand certains soldats échangeaient avec nous, nous avons entendu des coups de feu provenant du fond du village et nous tous, y compris les soldats, nous nous sommes couchés à même le sol.»
Après, précise M. Ouédraogo, « ils sont entrés fouiller ma maison de fond en comble ; rien n’a été trouvé de suspect mais une somme de 310 150 F CFA a été emportée. En plus de l’argent, ils ont tenté, maintes fois de m’éliminer ; heureusement pour moi, d’autres soldats se sont opposés à mon assassinat. C’est ce qui m’a d’ailleurs sauvé la vie.»
Et M. Ouédraogo, le rescapé d’ajouter : « Ils ont même exécuté des personnes devant nous. Ils nous ont aussi dit que nous n’allions pas échapper à la mort ce jour-là. Ils nous ont demandé pourquoi les habitants des autres villages ont déguerpi alors que ceux de Karma sont restés. J’ai répliqué que les terroristes n’étaient jamais venus, ici, à Karma. Ils nous ont également dit de beaucoup prier car c’ était fini pour nous».
«Quand nous étions assis, deux personnes ont essayé de s’évader mais l’un a été retrouvé puis exécuté. Étant sous le soleil, ils nous ont donné de l’eau mais nous n’avons pas pu en boire. C’est en poursuivant leur sale travail qu’ils ont oublié notre groupe et nous avons pu ainsi nous échapper …j’ai rejoins Ouahigouya, à pieds.»
Selon Mme Ami Kindo, une autre rescapée, comme c’était la veille de la fête de Ramadan, la majeure partie des femmes étaient à la fontaine en train de faire la lessive. «Soudain, nous avons aperçu des éléments de notre armée en file indienne sur des motos, dans des véhicules pick-up et des camions.»
Pour elle, «quand nous les avons vus, certaines d’entre nous ont eu subitement peur et ont tenté de s’enfuir. Nous, nous nous sommes réconfortées et nous sommes restées sur place en nous encourageant mutuellement. Pour nous, c’étaient nos vaillants combattants ». Et elle poursuit : « Ils ont bastonné et torturé nos maris avant de les tuer. »
Mme Kindo poursuit son témoignage : «En fouillant les concessions, ils ont trouvé mon mari à l’intérieur de notre maison ; il était malade ; ils l’ont fait sortir pour l’assassiner froidement avant de continuer leur chemin. Ils nous ont intimidé avec leurs armes, nous sommant de montrer où se trouvaient les hommes. Lorsqu’ils ont fini avec les hommes, ils ont commencé à incendier nos greniers et ont pillé nos biens sous nos yeux impuissants. Ils nous ont ordonné de ne pas passer la nuit à Karma ; c’est ce qui nous a d’ailleurs contraint à quitter Karma pour Ouahigouya. Nous n’avons absolument rien apporté de Karma ».
Quant à M. Abdoulaye Ouédraogo, ressortissant de Kèrga, village situé non loin de Karma, dans le département de Barga, il raconte : « Ils sont arrivés aux environs de 13h dans notre village. Avant leur arrivée, très vite nous avions appris le drame de Karma. Donc, nous nous sommes dit qu’il fallait que chacun se débrouille pour leur échapper. Paniqués, des gens se sont enfermés dans leurs concessions. Lorsque les assaillants n’ont trouvé personne dehors, ils ont commencé à fouiller les maisons ; ils demandaient aux enfants où se trouvaient les armes de leurs parents.»
Autre question posée : « A qui appartient la tenue militaire que nous avons vue au bord de la route ?». A toutes ses questions, les réponses étaient négatives.
Dans son témoignage, M. Ouédraogo a dit ceci : « Au cours de la fouille, ils ont intercepté un jeune qui revenait de voyage ; il ne possédait pas de pièce d’identité mais avait un laissez-passer. Sur instruction des assaillants, le jeune, qui voulait aller chercher ses documents chez lui, a été exécuté sous nos yeux. Ce n’est pas tout, il y a eu certaines personnes qui ont été tuées aux alentours du village. Nous avons pu en identifier trois dans notre village.»