Un week-end, deux sommets ! Deux sommets au pas de charge : le premier qui consacre la naissance, le 6 juillet à Niamey, au Niger, de la Confédération Alliance des États du Sahel, regroupant le Burkina, le Mali et le Niger ; et le second qui a réuni, le 7 juillet à Abuja, au Nigeria, la 65e Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la CEDEAO. Un week-end à double détente donc, qui consacre le divorce entre les trois États sahéliens et l’institution communautaire…
Les chefs d’État du Burkina, du Mali et du Niger se sont retrouvés le 6 juillet dernier à Niamey pour porter sur les fonts baptismaux la Confédération Alliance des États du Sahel. Les trois pays comptent ainsi faire bloc pour affronter, avec plus d’intégration, leurs défis sécuritaires, économiques et géopolitiques.
Cette première rencontre au sommet des présidents Ibrahim Traoré du Burkina Faso, Assimi Goïta de la République du Mali et Abdourahamane Tiani de la République du Niger, a précédé la 65e Conférence au sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Une session ordinaire qui intervient à un moment crucial où les pays de l’ouest africain continuent de souffler sur les braises de la division.
Niamey : Et voici la Confédération AES !
C’est Niamey, la capitale du Niger, qui a abrité, le 6 juillet dernier, le premier sommet des chefs d’État de l’Alliance des États du Sahel (AES). Créée le 16 septembre 2023, cette Alliance formée des trois pays du Liptako-Gourma ont tourné le dos, le 28 janvier 2024, à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Depuis, les appels à une reconsidération du divorce entre ce « trio du Sahel » et l’institution communautaire ouest-africaine sont restés lettre morte, et la région s’est installée dans un dialogue de sourds.

De fait, l’Alliance des États du Sahel est restée sur sa ligne programmatique, indiquant jusque-là que le départ du Burkina, du Mali et du Niger de la CEDEAO est irrévocable. Annonce fermement réaffirmée le week-end dernier et formellement concrétisée par la création d’une confédération.
Dirigés actuellement par des régimes militaires suite à différents coups d’État — 24 janvier et 30 septembre 2022 au Burkina ; 18 août 2020 et 24 mai 2021 au Mali ; 26 juillet 2023 au Niger — ces trois pays partagent en effet la même communauté de destin et se retrouvent, plus que les autres, sous les fourches caudines du terrorisme.
Les dirigeants affichent ainsi une identité de vue sur les questions sécuritaires, ainsi que sur la gestion politique de leur nation.
Et c’est dans ce creuset que les chefs d’État ont adopté, après plusieurs réunions ministérielles, le « Traité instituant une confédération entre le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger ».
Le traité indique ainsi, en son article 4, que « chacun des États confédérés conserve son indépendance et sa souveraineté à l’exception des compétences déléguées à la confédération ».Et précise que ces compétences déléguées concernent notamment « la défense et la sécurité, la diplomatie, le développement ».
Sur un plan formel et juridique, il s’agit donc bien d’une association d’États indépendants, décidés à mutualiser leurs forces dans certains domaines et à promouvoir notamment, selon l’article 5 du traité, « l’intégration des peuples par la facilitation de la libre circulation des personnes, biens et services, ainsi que le droit de résidence et d’établissement dans l’espace confédéral ».
Antagonisme d’approche et de vision
Dans le fond, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ne vise pas autre chose. Le droit de résidence et d’établissement est d’ailleurs déjà une réalité au sein de l’espace communautaire des 15 États membres. Et quoique mise à mal par des tracasseries routières et dérives policières, la libre circulation des personnes et des biens est actée au sein de la CEDEAO : on peut voyager d’un pays à un autre sans visa et avec seulement sa carte nationale d’identité.
Les différends sont donc ailleurs. Ils sont politiques, stratégiques et diplomatiques. Et le discours musclé de la baïonnette, associé à la mise en œuvre d’une batterie de sanctions extrêmes et disproportionnées envers des pays qui ont rompu avec l’ordre constitutionnel, ont fini de discréditer la CEDEAO aux yeux des peuples qu’elle est censée servir.
Tant et si bien qu’à trop tirer sur la corde, elle a fini par se casser, disloquant le bloc Afrique de l’Ouest à travers un antagonisme d’approche, de vision et de moyens d’actions entre la CEDEAO et l’AES.
Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est qu’avec le double sommet du week-end dernier à Niamey, au Niger, et à Abuja, au Nigeria, deux capitales ouest-africaines sœurs de deux pays voisins, distantes de 767,39 kilomètres (938,35 kilomètres par la route), la cassure est accomplie au sein de la région. Une cassure qui consacre « le détachement géopolitique progressif du Sahel de l’Afrique de l’Ouest institutionnelle incarnée jusque-là par la CEDEAO », que redoutait depuis sept ans maintenant Gilles Yabi, directeur exécutif du Think tank Wathi.
La fragmentation de l’Afrique de l’Ouest n’est donc plus une vue de l’esprit et la CEDEAO emporte une grosse responsabilité dans cet état de fait.
Abuja, quelle CEDEAO pour demain ?
Sommet ordinaire, mais sommet exceptionnel à Abuja, capitale fédérale du Nigéria, qui accueille, le 7 juillet, les… désormais douze chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO.

Au-delà de l’ordre du jour établi et des discussions sur la marche et les chantiers de la communauté, tout le monde sait que l’heure est grave. D’autant que les trois pays de l’Alliance des États du Sahel ont imprimé la marque la veille, en réaffirmant plus clairement le divorce qu’ils ont annoncé le 28 janvier 2024.
La Confédération AES devient alors le sujet principal de ce sommet ordinaire… Un sommet ordinaire qui en appelle déjà un autre, extraordinaire cette fois-ci, pour tenter de garder le Burkina, le Mali et le Niger dans le giron de la CEDEAO. Et normalement, rien n’empêche que la toute nouvelle confédération devienne membre de l’institution communautaire. Il faut faire vite et arriver à un compromis utile avant fin janvier 2025, date d’effet du retrait effectif des trois pays.
Pour cela, les présidents Bassirou Diomaye Faye du Sénégal et Faure Gnassingbé du Togo sont chargés, par la CEDEAO, de mener les discussions avec les« dissidents », d’écouter leur cri de cœur et de conclure ce fameux compromis utile. Une mission plutôt difficile pour ces missionnaires, dans un contexte où les chefs d’État de la Confédération AES ne veulent plus entendre parler de CEDEAO. D’autant que la posture de l’institution est éminemment critiquée et pose question.
En effet, que met-on dans la corbeille pour repenser effectivement la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique de l’Ouest ? Et quels gages peut-on donner aujourd’hui sur une véritable émancipation de la CEDEAO du diktat de puissances étrangères, et notamment de la France, si l’on en croit le verbatim des militaires au pouvoir dans les trois pays de l’AES ?
Au final, la CEDEAO peut-elle vraiment être réformée pour répondre plus efficacement à l’aspiration légitime des peuples à la paix, à l’intégration et au développement d’une région qui a tout pour réussir ? En effet, constate encore avec justesse Gille Yabi,
« les acteurs politiques civils qui n’ont jamais cru aux vertus de la démocratie et de l’État de droit ne veulent pas d’une CEDEAO réformée pour être plus efficace. Ils veulent une CEDEAO affaiblie, qui laisserait chaque dirigeant faire ce qu’il veut dans son pays ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on y est ! On est en plein dans une désintégration de l’Afrique de l’Ouest, avec des conséquences qui peuvent être désastreuses d’un côté comme de l’autre. La polémique qui a ponctué le tableau présenté sur la question par le président de la Commission de la CEDEAO, si les deux parties n’arrivaient pas à s’entendre, est symptomatique de la défiance qui semble gagner les cœurs.
Alors qu’elle vient à peine d’entamer la 50e année de sa création, le 28 mai 1975, la CEDEAO n’est jamais aussi près de l’implosion. Va-t-elle dresser les épines de sa disparition ou tresser l’osier de sa renaissance ?